Ils furent 24 Luxembourgeois à Han Yang pour construire les usines sidérurgiques les plus modernes, les plus puissantes de toute la Chine ! Le mardi 30 octobre 2012, Robert Léon Philippart nous exposera leur histoire.
Résumé de la présentation de Robert Philippart
L’initiative remonta à l’ingénieur luxembourgeois Emile Hiertz, directeur des hauts-fourneaux de Cockerill Seraing. Pendant ses études d’ingénieur métallurgiste à Aix-la-Chapelle, il avait fait la connaissance d’Eugène Ruppert, qu’il recruta pour occuper le poste de directeur technique des Iron & Steel Works que la Société Cockerill montait à partir de 1892 à Han Yang en Chine.
Cockerill agissait dans l’intérêt du Gouvernement belge et plus particulièrement de Léopold II qui visait à créer autour de Hankow (Wuhang) un réseau d’industries belges et de « forteresses commerciales ». Leur ambition fut également de construire et de contrôler le « Grand Central », ce chemin de fer traversant la Chine du nord au sud et servant d’épine dorsale à l’économie du pays.
Ayant le goût de la fortune et de l’aventure, et convaincu que seul l’Occident pouvait relever la Chine, Eugène Ruppert embarqua pour la Chine le 4 février 1894. Il fut accompagné de deux maître-fondeurs luxembourgeois, Nicolas Lentz et Nicolas Delage. Au bout d’un périple de 6 semaines en train et en paquebot, ils découvrent une Chine arriérée, consumé par l’opium, abattue par la pauvreté, bloqué par l’analphabétisme.
Leur mission concrète fut de monter les Iron & Steel Works que le Vice-Roi Tsang Tsi Tung, Gouverneur de la province de Heipeh, avait commandées auprès de la Tee Sides Compagnie de Middlesbrough. Le projet ne fut pas simple, car les ressources naturelles étaient séparées du lieu de production jusqu’à 600 km ! D’autre part, le site des usines à Han Yang, au confluent du Han et du Yang Tse fut marécageux. La sélection du site était le choix de la politique. Le Vice-Roi voulut garder le contrôle sur le projet, voilà pourquoi il retint Han Yang à deux pas de sa résidence. D’autre part, le site avait été financé de la poche privée de Léopold II. Le roi des Belges avait également favorisé l’implantation d’un vicariat belge dans le bassin industriel de Hankow confié aux Pères Franciscains.
Rapidement l’équipe luxembourgeoise fut augmentée de François Lentz, le frère de Nicolas, et de Pierre Abens, contre-maître originaire de Kopstal. En 1894, les ingénieurs luxembourgeois et belges mirent en marche le 1er haut-fourneau de Han Yang.
Or, les hostilités des Chinois contre les Occidentaux prennent de l’ampleur dès 1897 et culminent avec l’assassinat sauvage du Père Delbrouck. Plusieurs collaborateurs européens engagés à Han Yang perdent leur emploi ; Eugène Ruppert retourne à Luxembourg pour des raisons de santé. Les Iron & Steel Works passent sous le contrôle du Gouvernement, et plus particulièrement de Sheng Kung Pao, précepteur de l’Empereur. La direction fut confiée au Dr Lee, les usines fonctionnant sous la responsabilité de gestionnaires belges.
Le calme revenu, Lee réclame aussitôt le retour d’Eugène Ruppert, qui finit par accepter. Cette fois-ci ce fut le décollage du projet. Sous son conseil les mines de Tayeh, les charbonnages de Pingshian et les usines de Han Yang durent être fusionnés. Une nouvelle usine devait être construite à Tayeh, celle de Han Yang abandonnée. Ruppert eut satisfaction sous le premier point avec la création de la Hanyehping S.A., mais non pas sur le deuxième, car Han Yang restait bien le site de production des Iron & Steel Works. Il réussit pourtant à agrandir les usines en place de deux hauts-fourneaux, à assainir les installations existantes, à les moderniser, à augmenter leur rentabilité, à accroître leur production journalière. Avec une production de 127.000 t/ an de fonte, il réussit à faire des Iron & Steel Works la première usine sidérurgique de la Chine. Elle comprit en 1912 4 hauts-fourneaux, 7 fours martin, des aciéries, 6 laminoirs, une centrale électrique. Les Iron & Steel Works étaient spécialisées dans les armes, les outils agricoles, les clous, les marmites, le tout destiné au marché interne. L’entreprise eut une telle ampleur que les grandes encyclopédies internationales rappellent ce succès, et que ces faits sont même présents dans la mémoire collective contemporaine.
Pour monter ce projet, Ruppert fit recruter entre 1905 et 1911 pas moins de 16 ingénieurs et contre-maîtres luxembourgeois[1]. Son ambition était de monter une entreprise luxembourgeoise comme il notait dans son carnet : « Je désirais voir toute place devenant vacante entre des mains de Luxembourgeois, la métallurgie étant notre industrie principale. Il serait de valeur à voir nos compatriotes à la tête de la première usine de la Chine ». Pour réussir cette ambition, il recourait à des headhunters efficace chargés d’offrir à leurs recrus un salaire 10 fois supérieur à celui qu’on payait dans l’industrie luxembourgeoise, lorraine ou sarroise. Jules Fischer, ingénieur et membre du Conseil d’Etat, Fritz Kintzlé, directeur des usines de Rothe Erde (Aix-la-Chapelle) et cousin de Ruppert, l’ingénieur Bodson et les recrus eux-mêmes recherchaient des candidats potentiels pour le projet de Han Yang.
Quiconque pense que la Révolution de 1911 mit définitivement un terme au fonctionnement des usines s’y trompe. Eugène Ruppert les confia au Chinois qu’il avait formé Woo Tsang Tse Tien qui augmenta le nombre de leurs hauts-fourneaux à 6. De nouveaux recrus luxembourgeois l’assistaient dans cette tache difficile : Albert Kayl, chef du laboratoire (Niederpallen) et les frères Michel et Nicolas Reis, maîtres-fondeurs originaires de Dudelange tout comme Léopold Paquet l’unique Luxembourgeois à ne pas être rentré en 1911. Tien exploita les Iron & Steel Works jusqu’à ce que les pillages des révolutionnaires nationalistes empêchent tout fonctionnement. La société fut dissoute en 1923. Les installations furent à l’état de ruines en 1930.
La révolution fut extrêmement pénible, car les Luxembourgeois durent monter la garde civique pour protéger la concession belge. Camille Beissel, François Hoffmann et Ferdinand Schanen rentraient le plus tôt possible à Luxembourg. Ruppert y retourna seulement en avril 1912 après avoir réussi la transmission des usines aux Chinois. Sur le moment, la Révolution avait brisé la carrière des ingénieurs : « Je serais heureux de pouvoir vous être utile avec quoi que ce soit, j’attends avec impatience votre appel, et vous pouvez disposez de moi comme vous le jugez » supplia Jean-Pierre Soisson Ruppert en 1912. Or, qui avait réussi à Han Yang ne pouvait faire naufrage dans sa vie: Soisson deviendra ingénieur au Brésil, au Caucase, au Portugal et en Espagne ; Arend devint directeur des usines de Dommeldange, Beissel allait occuper le poste de directeur des usines de Dudelange ; Schanen ouvrit avec l’ingénieur Engel un bureau technique à Chemnitz. Paquet se lança dans l’immobilier ; Enfin, Ruppert s’associa avec François Cox pour diriger un bureau-conseil. Eugène Ruppert lui-même représentait les Iron & Steel Works à Luxembourg et en Europe jusqu’à leur dissolution.
[1] Jean Hauffels, contre-maître, Berdorf, 1906 ; Dr Jean-Pierre Arend, chef du laboratoire, Medernach, 1907 ; François Cox, ingénieur en chef, Remch, 1907 ; Bernard Duchscher, ingénieur en chef, Esch-sur-Alzette, 1907 ; Jean Grof, maître-fondeur, Mondercange, 1907 ; Michel Schroeder, électricien, Ettelbruck, 1907 ; Jean-Pierre Soisson, chef de service du laminoir et de l’aciérie, Lorentzweiler, 1907 ; Mathieu Grof, maître-fondeur, Mondercange, 1908 ; Emile Hamélius, électricien, Dudelange, 1908 ; Léopld Paquet, contre-maître en chef, Beaufort ; Camille Beissel, chef des hauts-fourneaux, Pétange, 1910 ; Jean Biver, ingénieur, Luxembourg ; François Hoffmann, ingénieur, constructeur, Gonderange, 1910 ; Jean Mich, sculpteur, 1910 ; Ferdinand Schanen, ingénieur électricien, Luxembourg, 1910 ; Victor Moyen, ingénieur constructeur, Bettembourg, 1911.