Il est terrible de se dire qu’il ne restait plus que douze jours au soldat sénégalais avant que sa mission ne soit finie et qu’il rentre chez lui. Trois jours avant sa mort, il téléphone à sa femme, Yacine : « Je vais bientôt rentrer au Sénégal. Tu dois prier pour nous ». Au cours de ce dernier appel, Mbaye lui parle beaucoup de la mort. Yacine s’en souvient : « J’étais vraiment contrariée. Il ne parlait jamais ainsi. Je pense que les choses qu’il a vu là-bas l’avaient profondément affecté ». Afin de protéger leurs deux enfants, Cheikh et Coumba, âgés seulement de 2 et 4 ans, Yacine choisit de taire la mort de leur père pendant deux années. « Ils n’auraient pas compris », dit-elle. Aujourd’hui, ils savent que leur père était un héros. Cheikh, Coumba et Yacine perpétuent sa mémoire, à travers l’Association du Capitaine Mbaye Diagne pour la culture de la paix (Nekkinu Jàmm, en wolof). Une bande vidéo, filmée par le soldat au mois de mai 1994, a notamment été retrouvée et mise en ligne par sa veuve et le lieutenant-colonel Babacar Faye. Ces images reflètent tout ce que Mbaye Diagne était : humoristique, poignant et profondément humain. Personne ne sait combien d’hommes, de femmes et d’enfants lui doivent leur vie. Des centaines certainement, un millier peut-être. En 2011, le département d’Etat des Etats-Unis a parlé d’environ 600 personnes. Mais peu importe le nombre, vingt ans plus tard, tous ceux qui se souviennent du capitaine lui rendent hommage. Ainsi, à l’occasion de la séance du Conseil de sécurité des Nations Unies le 8 mai 2014, le représentant du Rwanda a rappelé que Mbaye avait compris mieux que quiconque en quoi consistait sa mission. L’homme politique a conclu son discours, en larmes, en soulignant que la médaille capitaine Mbaye Diagne constituait « un outil d’introspection pour les Nations Unies, garantissant le fait que l’humanité sera toujours protégée par la communauté des nations guidée par des principes et des règles morales plutôt qu’uniquement par les actes de courage exceptionnel d’individus1». Peu importe combien de temps vous restiez avec le capitaine Mbaye Diagne, vous repartiez toujours avec un sourire. Son sourire à lui était plein d’humilité. Comme tous les Justes dont nous faisons ici le portrait, Mbaye est une véritable leçon de courage, d’espoir et de tolérance. Un soldat désarmé qui sauva tant de civils, un musulman dévoué qui sauva tant de chrétiens. Un homme à l’humanité bien au-delà des ordres, bien au-dessus de tout mandat.
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