Mourir en héros

Mbaye s’expose quotidiennement au danger, armé seulement de son aplomb et de son sourire. Car tous ceux qui l’ont connu en attestent : le capitaine était passé maître dans l’art de négocier et son contact facile, son sens de l’humour l’ont beaucoup aidé. « Il adorait plaisanter et parler », se souvient le lieutenant colonel Babacar Faye, un casque bleu sénégalais qui servit au Rwanda à ses côtés1. Le capitaine Diagne franchit les barrages de miliciens au culot. Mark Doyle, journaliste britannique à la BBC, doit d’ailleurs probablement sa vie à une plaisanterie du soldat.

Un jour, le journaliste et le capitaine Diagne se rendent à un orphelinat où plusieurs sources rapportent que des centaines d’enfants se cachent. Leur véhicule est arrêté à une barrière tenue par des miliciens. L’un d’entre eux s’approche et secoue une grenade sous le nez du journaliste. « Qui est cet homme ? Est-ce qu’il est Belge ? », demande-t-il au capitaine2. Mbaye regarde le milicien, sourit et dit : « Non, c’est moi le Belge. Regarde ! », en pinçant la peau de son bras, « Un Belge noir ! ». La tension redescend d’un coup. Il en profite alrs pour rajouter : « En fait, cet homme travaille pour la BBC, regarde son badge. Il est britannique, il n’a rien à voir avec les Belges ». Le capitaine ordonne au milicien de s’écarter et ce dernier s’écarte instinctivement.

Un autre jour, après avoir découvert vingt-cinq Tutsi cachés dans une maison de Nyamirambo à Kigali, le capitaine les emmène tous, en cinq voyages, jusqu’au siège des Nations Unies, franchissant à chaque fois une vingtaine de barrages tenus par des miliciens.

En effet, Mbaye a réussi à se faire connaître des miliciens qui tiennent les barrières, et à gagner leur confiance. Il monnaie la vie des gens qu’il transporte à l’aide de bières, de whisky, de cigarettes ou de billets qu’il a souvent sur lui ou dans son véhicule. Le soldat donne parfois ses propres rations alimentaires et ses collègues l’imitent lorsqu’ils découvrent son stratagème.

« Dans toute cette horreur, cette haine, à partir du moment où vous pouviez apercevoir son sourire ou entendre son rire, vous vous y accrochiez », raconte Gregory Alex, un responsable du Programme des Nations Unies pour le développement. Selon lui, cela comptait aussi pour les miliciens.

Cette douce lumière dans les jours les plus sombres du Rwanda s’est pourtant éteinte. A la fin du mois de mai, le FPR a le dessus, mais les forces armées gouvernementales livrent un dernier combat au centre de Kigali. Tous les jours, des affrontements intenses ont lieu. C’est au cours de l’une de ces journées, le 31 mai 1994, qu’on demande au capitaine Mbaye Diagne de transmettre un message du chef d’état-major de l’armée rwandaise, Augustin Bizimungu, au général Roméo Dallaire de la MINUAR. Alors qu’il se trouve à un check-point gouvernemental, un mortier tiré par le FPR explose juste à côté de sa Jeep. Un éclat transperce la carrosserie. Mbaye est touché et meurt sur le coup.

Le lendemain, sa dépouille s’apprête à être rapatriée au Sénégal. Les moyens de la MINUAR sont tellement dérisoires qu’aucun cercueil n’est disponible. Le corps de Mbaye est emballé dans une bâche en plastique bleue, normalement utilisée pour abriter les réfugiés. Un drapeau des Nations Unies est placé au-dessus de lui.