Le numérique transforme le monde, notre regard, nos activités et l’université. L’ UCL lui dédie, en 2017-2018, une année Louvain des mondes numériques.
Une vision critique, mais positive
Pourquoi une ‘année Louvain des mondes numériques’ ? « L’ UCL veut montrer que les transformations liées au numérique peuvent générer davantage de collaborations, de créativité et d’ ouverture entre les acteurs parce qu’il offre de nouveaux moyens », explique Yves Deville, conseiller du recteur pour l’université numérique et co-pilote de cette année thématique. « Wikipédia, par exemple, est un modèle d’encyclopédie collaborative dont le résultat est exceptionnel ». Cette année thématique n’arrive pas par hasard : l’université numérique est un des axes de la stratégie de l’université, le ‘plan Louvain 2020’, basé sur l’ouverture. Les fameux MOOCs, pour lesquels l’UCL est pionnière, sont un des volets les plus spectaculaires de cette stratégie, mais ils ne sont pas seuls. « L’ objectif est de montrer au chercheur que ses recherches auront un plus grand impact grâce à l’open access, à l’enseignant que l’open education met ses ressources à disposition du monde entier », poursuit Yves Deville.
Le co-pilote de l’année Louvain des mondes numériques pointe avant tout le rôle de formation et de conseil que doit jouer l’UCL. « L’ ouverture que permet le numérique nous permet de remplir ce rôle plus facilement grâce à des outils accessibles à tout moment. » La vision développée sera critique tant sur le numérique que sur ses implications sociétales – c’est le rôle de l’université –, mais aussi positive. « On ne dira pas ‘attention, il faut freiner’. Le discours sera plutôt ‘qu’est-ce que cela peut nous apporter ?’ ».
Dominique Hoebeke
> https://uclouvain.be/fr/mondesnumeriques
« L’angle n’est pas que technologique »
« L’objectif de cette année thématique est de montrer que la transition numérique est un paradigme, une culture qui modifie notre rapport au monde », explique Aurore François, co-pilote de l’année thématique. Pour la professeure en histoire et archiviste de l’université, il est intéressant de voir la manière dont chaque discipline s’empare du numérique. « Il modifie le fonctionnement, les outils, le regard. Dans mon domaine, l’histoire, on peut désormais étudier des corpus de données énormes, brosser des archives par mots clés plutôt que d’ouvrir des fardes successives, ce qui permet des croisements impossibles à faire auparavant. Cela nécessite une réflexivité des chercheurs par rapport à leurs pratiques », insiste-t-elle.
L’UCL a choisi d’évoquer les mondes numériques car « l’angle n’est pas que technologique, l’année thématique n’est pas réservée aux techniciens. Elle entend prendre en compte la manière dont le numérique transforme tous les secteurs, l’environnement, l’économie, les rapports humains, les liens sociaux, la culture,… L’ année des mondes numériques, c’est aussi aller au-delà des outils en visant le partage des méthodes, des concepts, des visions. » Comme historienne et archiviste, Aurore François peut témoigner du fait que l’ université s’est construite sur l’écrit… la transition numérique amène donc l’université à se réinventer. Elle plaide pour que l’UCL développe une vision qui s’inscrive en cohérence avec les valeurs que l’université défend. Quand on lui demande quel est son projet numérique idéal, la réponse ne fait aucun doute : « Que l’humain soit replacé au centre, comme acteur à part entière des transformations liées au numérique », conclut-elle.
« Il faut penser le numérique »
Une année consacrée au numérique ? Miguel Benasayag, philosophe, psychanalyste, se réjouit du choix de l’UCL. « On ne peut pas adopter le numérique sans penser le numérique », dit-il. « En général, on l’adopte comme si on adoptait une machine électrique. Il est évident que les objets digitaux que l’on introduit dans notre vie ont un impact. Le problème n’est pas le numérique, le problème, c’est de ne pas penser le numérique ». L’invité de PointCulture ne choisit pas plus la voie du refus : « S’opposer au numérique c’est regarder l’avenir avec un rétroviseur en regrettant une ‘pureté’ qui n’existe pas », souligne-t-il.
Pour l’auteur de ‘Cerveau augmenté, homme diminué’ (2016), le fait de dire, écrire ou lire mobilise des connexions neuronales différentes. Les comédiens, par exemple, sont capables de se remémorer de longs textes parce qu’ils les associent aux gestes produits au même moment. Le fait de déléguer au numérique modifie donc les connexions cérébrales. « Or les circuits neuronaux ne sont pas réductibles à la pensée et les fonctions du cerveau ne sont pas ‘algorithmisables’. Nous vivons dans une culture qui n’est plus capable de dire ce que la machine ne peut pas faire, ce qui conduit non pas à une hybridation mais à une assimilation du cerveau par la machine. » Selon le philosophe, les sciences humaines sont soit fascinées par les technosciences, soit elles développent une résistance passéiste. Quant au partage des connaissances facilité par les outils numériques, Miguel Benasayag se demande où sont les structures qui peuvent provoquer la compréhension, car, dit-il, « celle-ci est trop souvent attaquée par la quantité d’informations ».
Dominique Hoebeke
> www.pointculture.be/agenda/evenement/miguel-benasayag-cerveau-augmente-humain-diminue/
Photos : Alexis Haulot|
Article paru dans le Louvain[s] de septembre-octobre-novembre 2017 |