Après les élections, Vladimir Poutine présidera son pays jusqu’en 2024. Entre frictions sur la scène internationale et blocages en Russie, quel avenir se profile ?
Préparer l'après-Poutine
Louvain[s] : Dans une démocratie cadenassée, qu’attendre du scrutin du 18 mars ?
Xavier Follebouckt, chercheur et doctorant à l'Institut de sciences politiques Louvain-Europe (UCL) : Il n’y a pas eu de véritable débat d’idées. Les sept candidats, cadrés par le Kremlin, ont été choisis pour leur potentiel à mobiliser les électeurs, non pour leur vision politique. Et, au-dessus de la mêlée, le président Poutine est le vainqueur assuré des élections. Il promet la stabilité dans la continuité, sans propositions neuves. Candidat dépolitisé, inscrit sous une étiquette indépendante, il s’affiche en sauveur incontestable de l' État russe, garant exclusif de sa grandeur. La continuité, ou la stagnation anticipée risque de plomber les électeurs. Le soutien au Président est large mais passif et apathique. L'enjeu véritable des élections sera donc le taux de participation. Poutine vise 70% des voix et 70% de participation. D’où de nombreux candidats falots pour donner l'illusion du jeu démocratique. D’où, également, les appels d’Alexeï Navalny à boycotter les élections. Cet opposant véritable, dénonciateur endurant de la corruption endémique du système politique russe, a vu sa candidature interdite. Cela ne l'empêche pas de mener campagne sur les réseaux sociaux pour appeler à la ‘grève du vote’ le jour du scrutin. Néanmoins, cette élection est importante pour préparer l'après-Poutine. Son quatrième mandat prendra fin en 2024, sa succession commence déjà à faire débat dans les cercles du pouvoir. Le champ des possibles s’ouvrira dans six ans.
> Xavier Follebouckt coordonne la Chaire Inbev- Baillet Latour UE-Russie.
Les Russes privilégient la stabilité
Louvain[s] : Vous venez de publier ‘Poutine, L'homme que L'Occident aime haïr’. Est-ce une façon de souligner que la politique actuelle de L'UE et de L'Otan est inappropriée ?
Nina Bachkatov : Ces politiques sont au contraire tout à fait ‘appropriées’ dès lors que les Occidentaux ont décidé que la Russie était la menace principale à leur sécurité, bien avant la prolifération nucléaire, les changements climatiques, la dualisation sociale. Reste à savoir si cette qualification est justifiée ou s’il s’agit d’une fuite en avant sachant que la recherche d’une cause extérieure est un grand classique et que la politique de Vladimir Poutine entretient la méfiance. La diplomatie russe a anticipé un monde où ont émergé de nouveaux pôles de décisions et des nouveaux modèles ; où, libres de leur choix, les peuples ne choisissent pas automatiquement le duo démocratie-économie de marché et où la globalisation échappe au contrôle exclusif des Occidentaux. Il est plus simple de décrire Poutine comme le chef de file d’un tournant illibéral. Poutine n'a pas à affronter de réelle opposition ni de danger de ‘révolution orange’, est-il pour autant inoxydable ? N.B. : Le temps est l'oxydant ultime. Poutine veut organiser sa sortie. Il sait que les Russes privilégient la stabilité, or l'opposition leur propose un saut dans l' inconnu. À part les communistes, et un peu Grigori Iavlinski (Iabloko), elle a déserté le champ social que Poutine a investi durant sa campagne. Par ailleurs, le niveau de vie des Ukrainiens fait apparaître ces révolutions colorées comme un repoussoir. La peur obsessive du Kremlin envers toute opposition relève donc de l'irrationnel et, en ce sens, est dangereuse.
> ‘Poutine, L'homme que l' Occident aime haïr’, Nina Bachkatov, Éditions Jourdan
Une puissance, peut-être conquérante, mais responsable
Louvain[s] : Au moment où les relations entre la Russie, L'Otan et L'Union européenne sont en crise, sans parler des relations russo-américaines, qu’attendre de ce quatrième mandat ?
Tanguy de Wilde, professeur à l' Institut de sciences politiques Louvain-Europe : La réélection probable de Poutine induit une stabilité. Or, la révision des sanctions prises par l'UE n’est guère envisageable si aucun progrès n’est réalisé dans la normalisation des relations entre la Russie et l'Ukraine. Mais l'UE pourrait utiliser la levée graduelle des mesures comme un incitant pour saluer des progrès partiels. Quant à l'OTAN, la question de la contribution militaire des États membres n’est pas directement liée aux relations avec la Russie, ni à Trump. Mais la tension existante depuis 2014 ravive la fonction originelle de l'organisation : la défense collective des membres qui implique des capacités performantes. Chaque partie estime que l'autre a fauté dans un passé récent, soit en reconnaissant majoritairement l'indépendance du Kosovo, côté États européens, soit en annexant la Crimée et en déstabilisant l'Ukraine, côté Russie. Mais le bénéfice mutuel de la reprise d’échanges économiques demeure un aiguillon pour élaborer des scénarios de sortie de crise. La Russie de Vladimir Poutine vous parait-elle une menace pour la sécurité européenne et mondiale ? T.d.W : Poutine entend être à la tête d’une puissance, peut-être conquérante, mais responsable et cherchant suffisamment son intérêt pour nouer des compromis. La sécurité globale a bien plus à craindre des menaces asymétriques : le terrorisme nourri par le djihadisme et les États enclins à l'acquisition d’armes de destruction massive.
> Tanguy de Wilde est titulaire des chaires Baillet Latour UE-Russie et UE-Chine.
> uclouvain.be/fr/facultes/espo/euro/chaire-inbev-bailler-latour.html
> uclouvain.be/chaire-inbev-baillet-latour-union-europeenne-chine
Interviews : Françoise Nice, Journaliste
Crédits photos : Alexis Haulot, Jean-Louis Wertz et Benjamin Zwarts
Article paru dans le Louvain[s] de mars-avril-mai 2018 |