Nicole Denat, Bernadette Michelena et Odile Robert viennent de publier une riche compilation d’articles parus dans Christi Sponsa, entre 1993 et 2013 (1), une revue dirigée Mgr Christian Nourrichard, en charge de la vie consacrée. Cette publication témoigne du retour en actualité, qui pourra paraître étonnant : celui de la virginité religieuse.
A bien observer, c’est le statut d’autonomie de la femme qui est en question dans la figure très précise canoniquement, de l’ordre des vierges consacrées : comment au cours de l’histoire la tradition chrétienne a-t-elle pu reconnaître des femmes souhaitant vivre à la fois en célibat et hors de la vie commune soumise à la clôture propre aux moniales. Plutôt qu’un statut de soumission, c’est l’autonomie de la femme, acquise très tôt à travers cette figure, qui fait l’actualité étonnante d’une forme de vie toujours présente dans la tradition catholique, sous des formes consacrées et régies désormais par la canon 604 du Code de droit canonique latin de 1983. Les vicissitudes ont toutefois été nombreuses au cours de l’histoire, et l’ouvrage permet d’en mesurer à fois la ligne de force et la complexité.
Les racines historiques sont lointaines. On peut sans doute admettre de longues discussions. A la différence des auteurs, nous retiendrions que l’origine des vierges se situe au Proche-Orient, de la Palestine à Babylone et dans le pourtour méditerranéen vers l’Ethiopie (2), au rythme des évangélisations. Cet engagement d’Eglise s’étend selon la progression de la romanité et du latin jusqu’à la Germanie, et notre actuelle « frontière linguistique». Pour Colleen-Maura Mac Grane (o.s.b.), l’histoire des vierges, intimement liée à l’histoire de la clôture (3), suit les variations des formes de cette clôture selon les régions (4).
Le référentiel aux Pères de l’Eglise est très court dans l’ouvrage. Des allusions auraient ou également être faites à St Jérôme et ses écrits pour Paula et Julia Eustochium (4es.), à St Césaire d’Arles (6es.), ou même à St Benoît de Nursie (6es.) et sa sœur spirituelleScholastique. Tertulliende Carthage admettait quant à lui l’existence de vierges dans sa région et leur indiquait le port facultatif du voile, la velatio,pendant le rite de consécration (6). Il est également le premier auteur à introduire la notion de Sponsa Christi (7).
A l’autre bout de la ligne du temps, et en une dizaine de pages (p. 48-58), un texte de René Metzdonne des indications historiques et canoniques sur une vocation spécifique de la virginité, remise en évidence dans la réception du concile Vatican II. En revanche, la rénovation du rite de consécration, demandée dans Sacrosanctum concilium, § 80, ne vise que les moniales cloîtrées à vœux solennels. Il n’est nullement question de la conférer à des femmes vivant en plein monde. Les pères conciliaires avaient des difficultés à croire que la chasteté puisse être vécue « dans le siècle »(8). Dans l’Aula de la basilique St Pierre (Rome), Mgr Hoffmann, évêque de Djibouti, évoque les vierges antiques(9). Mgr Gérard Huyghe, évêque d’Arras, fait part de son expérience (10) : il proteste contre l’erreur de penser que les conseils évangéliques ne concernent que les religieux. Dans ses notes personnelles, Mgr André-M. Charue, évêque de Namur, se pose explicitement la question de la remise « à l’honneur » des vierges antiques (11).
Le Rituel spécifique a été promulgué par le Cardinal Benno Gut(o.s.b.) et par Mgr Annibal Bugnini(c.m.) (12) antidaté au 31 mai 1970. Le rôle d’Adrien Nocent(o.s.b.) est évident (13). En latin, il n’y a qu’un seul Rituel de consécration; la traduction en français a différencié les états de vie. E. Caparrosconfirme cette situation pour lui étonnante (14).
C’est que, au fil des siècles, il y a eu plusieurs Rituels, variables selon les régions et les époques. A la fin du 8èmesiècle, le Rituel romano-germanique, aussi appelé Dyonysio-Hadrianum,a été élaboré par Guillaume de Mayence, un bénédictin de Saint-Alban (p. 256), à la demande de Charlemagne, en cohésion avec le pape Hadrien I,en vigueur dans le Saint-Empire Germanique (donc, à Liège) (15). Quelques siècles plus tard, il y a eu le Rituel de Mende, formulé par Guillaume Durand(p. 256-257), utilisé dans le sud de la France. Chaque région possède son histoire du rite et ses auteurs spirituels locaux, moines ou clercs, issus de Reims, de la Lorraine, de la Principauté de Liège. Les idées circulent via les routes de commerce et les voies romainesqui quadrillent nos régions (16).
C’est que, au fil des siècles, il y a eu plusieurs Rituels, variables selon les régions et les époques. A la fin du 8èmesiècle, le Rituel romano-germanique, aussi appelé Dyonysio-Hadrianum,a été élaboré par Guillaume de Mayence, un bénédictin de Saint-Alban (p. 256), à la demande de Charlemagne, en cohésion avec le pape Hadrien I,en vigueur dans le Saint-Empire Germanique (donc, à Liège) (15). Quelques siècles plus tard, il y a eu le Rituel de Mende, formulé par Guillaume Durand(p. 256-257), utilisé dans le sud de la France. Chaque région possède son histoire du rite et ses auteurs spirituels locaux, moines ou clercs, issus de Reims, de la Lorraine, de la Principauté de Liège. Les idées circulent via les routes de commerce et les voies romainesqui quadrillent nos régions (16).
Mais la fin du rite est manifestée au concile de Latran II (1139) (canon 26) (17). Le concile de Latran IV (1215) et son canon 13 donnent un coup de frein à la consécration de vierges non cloîtrées. Après le concile de Trente, il n’y a plus de consécration de femmes vivant en plein monde jusqu’aux initiatives solitaires de liturgistes bénédictins et de quelques évêques d’Europe occidentale, au 19èmesiècle. Le 25 mars 1927, le rite est à nouveau refusé aux femmes vivant en plein monde (18). Plus encore, le rite sera suspendu pour les vierges cloîtrées jusqu’en 1950 (p. 226). A plusieurs reprises, montre bien l’ouvrage, la confusion entre vierges non cloîtrées et les vierges cloîtrées est évidente, surtout au Moyen Age. Il en est de même pour les références aux écrits spirituels.
Si l’évêque du lieu est aujourd’hui le consécrateur de toute vierge (c. 1169), la vierge vivant en plein monde ne fait pas partie de la hiérarchie (c. 207), elle ne dépend pas de l’évêque (c. 678) mais celui-ci est garant de sa fidélité(c. 586; 594; 813; PC 35). En effet, de droit pontifical, l’Ordo Virginum est rattaché au Saint-Siège. Par ses actes et ses paroles, la vie de la vierge est une sequela Christi (c. 725).
Un ouvrage riche qui constitue une somme sur la figure de la virginité consacrée et du statut multiple de la femme dans l’Eglise catholique. Un ouvrage qui appelle souvent à la discussion tant les enjeux de cette forme de vie demeurent sous tension, aujourd’hui comme au cours de l’histoire.
On regrettera sans doute quelque peu l’absence de mise à jour montrant l’évolution de la recherche en France et à l’étranger depuis 2013. D’autant que l’ouvrage montre combien plusieurs consacrées - en Espagne (p. 345-347), aux Etats-Unis (p. 302-306), au Québec (p. 217-225; 276-280), dans d’autres pays - poursuivent leur quête pour une meilleure compréhension de cette vocation ancienne, renouvelée par l’Eglise et ses membres. Le Congrès de clôture de l’Année de la vie consacrée (Rome, 2016) le confirmait également.
Françoise Mélard (o.c.v.)
Collaboratrice scientifique RSCS
Collaboratrice scientifique RSCS
Regard-témoin sur la consécration des vierges, Passé, présent et futur au prisme de l’histoire et du Magistère,est le titre de ma recherche effectuée à l’Université Catholique de Louvain (U.C.L.) ; le terrain d’investigation est celui de nos régions, depuis la Gaule du Nord, la Germanie, la Principauté de Liège, à la Belgique actuelle, au départ du canon 604 (CIC 1983).
[i]DenatN., MichelenaB., RobertO. (o.v.), L’ordre des vierges. Une vocation ancienne et nouvelle, don du Seigneur à son Eglise, Parole et Silence, Sagesse et Culture, 2017.
[ii]Hiéromoine Elisée, Le monachisme d’Orient, Figures, doctrines, lieux, histoire, Cerf, 2017, p.
[iii]Mac GraneColleen Maura (o.s.b.), The Rule of Virgins : The Evolution of Enclosure, in The American Benedictine Review, 59:4(2008), p. 397.
[iv]Dortel-ClaudotMichel (s.j.), Ascètes et vierges des premiers siècles, in Vie consacrée, 3(1976), p. 142-150.
[v]VogelCyrille, Saint Césaire d’Arles, Bloud et Gay, Témoins de la Foi, 1964, p. 41.
[vi]Tertullien, Exhortation à la chasteté, Cerf, Sources chrétiennes, 319(1985).
[vii]AdnesPierre, La mariage spirituel. Tradition ancienne, in Dictionnaire de spiritualité, t. X, 1980, col. 393; 407
[viii]HamerJérôme (o.p.), Compte-rendu, in La Maison-Dieu, 107(1971), p. 109 – cfr. MoellerCharles, L’élaboration du schéma XIII. L’Eglise dans le monde de ce temps, Casterman, 1968.
[ix]SchoenmakersMaria-J., Genèse du chapitre VI «De Religiosis» de la constitution dogmatique sur l’Eglise «Lumen Gentium», Gregorian University Press, 1983, p. 9.
[x]WengerAntoine, (sa.a.), Vatican II. Chronique de la 2esession, Centurion, Eglise en son temps, 196, p. 119.
[xi]DeclerckL., SoetensCl., Carnets conciliaires de l’évêque de Namur A.-M. Charue, in Cahiers de la Revue Théologique de Louvain, 32(2000) p. 135-136; 141.
[xii]AAS, Acta Aposolicae Sedis, 1970, p. 553.
[xiii]NocentAdrien (o.s.b.), La consécration des vierges, in MartimortA.G. (s.j.), L’Eglise en prière. Introduction à la liturgie. Esclée, 1965, p. 628; 658 – MidiliGiuseppe, Le reflezioni des professor Adrien Nocent sull’ instituto litrugico ((28 gennaio 1961), in Ecclesia orans, 27(2010), p. 7-36.
[xiv]CaparosE., TheriaultM., ThornJ., Code de droit canonique,traduction française à partir de la 4eédition espagnole, Wilson et Lafleur Ltd,1990, p. 376.
[xv]GaudemetJean, Les sources du droit canonique, VIIIe-XXe siècle. Repères canoniques, Sources occidentales, Cerf, Droit canonique, 1993, p. 26.
[xvi]BouillonBrigitte (o.c.s.o.), Recension Monachisme latin et celtique, in Collectanea Cisterciensia, 77-4(2015), p. 425-426 – cfr. KurzawaFrédéric, Saint Colomba et les racines chrétiennes de l’Europe, Téqui, Saints du monde, 20015.
[xvii]PezziniDomenico, Recension,Histoire monastique du Moyen Age et des temps modernes, in Collectanea Cisterciensia, 77-4(2015), p. 418-21
[xviii]TrapetMarie-Aleth, Pour l’avenir des nouvelles communautés dans l’Eglise, DDB, 1987, p. 100.