Un jour de mai, les Interahamwe attaquent sa maison et ouvrent le feu, persuadés qu’elle cache des Tutsi. Ce que Sula nie en bloc. Ils persistent et tentent d’entrer en force. C’est alors que Sula va jouer sur sa réputation de guérisseuse pour convaincre les miliciens qu’elle est capable d’appeler sur eux les Nyabingi, des esprits doués de pouvoirs maléfiques. Elle rentre dans une chambre, fait du bruit en secouant des casseroles, en agitant une calebasse contenant des cailloux, et se met à crier des incantations. « Si vous voulez la mort, entrez dans la maison et mes fétiches vont vous avaler ! ». Quand elle ressort, ils ont tous fui.
A partir de cette date, aucun milicien n’a osé entrer chez elle, même ceux qui venaient la menacer. Sula veille, elle reste assise devant la porte, craignant qu’en son absence on ne vienne tuer les personnes qu’elle cachait. Elle se procure de l’essence pour que, dans l’hypothèse où les miliciens n’auraient plus peur des esprits et osent rentrer, elle puisse mettre le feu à la maison et que tout le monde périsse.
En 1994, « Mama Domitille » donne asile à tous ces gens parce que cette générosité et cette solidarité lui ont été transmises par sa famille. Dans les décennies qui précédèrent le génocide, plusieurs évènements, notamment des tentatives d’invasion par des exilés tutsi, provoquèrent des représailles organisées par les autorités contre les Tutsi restés au Rwanda, ainsi que de nombreuses vagues d’exil. Des milliers de Tutsi craignaient pour leur vie, les parents de Sula en cachèrent souvent.
« Les choses ont toujours été comme ça depuis que je suis née », raconte Sula. Elle se souvient que ses parents cachaient des gens sous leur lit, ou dans le puits de fermentation pour la bière de sorgho. Une fois mariée, elle a également vu ses beaux-parents agir ainsi. Depuis toujours, Sula a donc vu son entourage aider son prochain. Elle suit simplement le même chemin.