La famille de Callixte Ndagijimana, ainsi que les survivants du génocide de Mugina, se souviennent toujours de lui et lui rendent régulièrement hommage. Tous parlent d’un homme de courage, de confiance et de bonne réputation, un ami de tout le monde. Ils disent que le génocide à Mugina n’aurait pas eu lieu s’il n’avait pas été tué. La mère de Callixte, âgée aujourd’hui de 95 ans, dit qu’elle considérait son fils comme son second mari, parce que ce dernier était mort depuis longtemps. Dès tout petit, sa mère a vu en Callixte un courage exceptionnel. Elle n’a donc pas été surprise par son comportement durant le génocide. « Je l’avais élevé en bon chrétien et il savait qu’il devrait aimer tout le monde, les siens comme les étrangers, sans distinction ». Les derniers mots de ce portrait reviennent à la veuve de Callixte, Olive Mukabalisa. Elle témoigne aujourd’hui pour honorer la mémoire de son mari.
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« J’ai fait la connaissance de Callixte en 1988 lorsque nous étions à Kigali pour passer l’examen d’entrée à l’Ecole supérieure militaire (ESM), considéré à l’époque comme le plus difficile et le plus sélectif. Nous l’avons réussi et commencé nos études. Notre amitié est née de sa volonté de me protéger. En effet, rares étaient les filles qui entraient à l’ESM ; celles qui passaient entre les mailles du filet faisaient quotidiennement l’objet de discriminations basées sur leur sexe, mais aussi leur origine ethnique ou leur région. Cela sapait leur potentiel. Callixte faisait tout pour me soutenir moralement, nous nous sommes beaucoup entraidés. Fin 1989, l’ESM a organisé l’examen de passage de grade, Callixte et moi avons décidé de ne pas y participer. En effet, les conditions d’équité n’étaient pas réunies. Nous avons alors été renvoyés. En 1992, c’est la population de Mugina qui l’a convaincu de devenir bourgmestre. Les gens connaissaient son courage, son intégrité et sa capacité à affronter les défis. A cette époque de tensions politiques liées à la renaissance du multipartisme, la présence de Callixte à la tête de la commune était rassurante. Il était lucide, persévérant et doté d’un grand sens du respect de l’autre. Plus particulièrement, c’était un homme de conviction, fervent partisan de la vérité et de la justice. Un homme déterminé à réussir et à prendre des risques pour y arriver. Toutes ces qualités provenaient de l’éducation reçue de sa mère. Au début du génocide, Callixte s’inquiétait beaucoup pour moi parce qu’il savait que ma familles d’origine avait été exterminée. Il aimait me dire : « même si je meurs, ne considère jamais que je t’ai abandonnée, mais que j’ai sacrifié ma vie pour tenter de sauver le maximum de personnes ». Je lui répondais : « rassure-toi, je partirai avec toi ». Callixte m’a laissée une dette morale que je m’efforce de régler : s’abandonner pour défendre la vérité et la justice. Ces valeurs sont très difficiles à respecter pour une personne fragile comme moi, mais je me bats chaque jour pour y arriver. Sa mère habite toujours à Mugina, elle est très âgée. Elle a encore un peu de force, mais aussi beaucoup de chagrin. De ses six enfants, trois sont encore en vie. J’essaie d’être à ses côtés et je fais tout ce que je peux pour qu’elle ait une vie décente. Je prie le bon Dieu, afin qu’il m’accorde la force nécessaire pour lui fournir l’aide qu’elle attendait de mon mari. Lorsque je raconte l’histoire de Callixte, qui est aussi la mienne, j’en deviens malade. Chaque épisode me prend de longues heures et me demande beaucoup de force. Même maintenant, je vous écris en versant des larmes. Je me confie à peu de gens. Mon mari a été tué huit mois seulement après notre mariage, nous n’avions pas encore eu d’enfant. Après le génocide, je n’ai jamais pensé à me remarier ; je n’ai pas trouvé quelqu’un digne de ma confiance. Dieu est là, il veille sur moi. J’ai adopté deux orphelins. Je mène une vie difficile parce que je n’ai pas de travail. Je travaille souvent comme ouvrière afin de subvenir aux besoins des personnes à ma charge et aux miens. Mais je suis capable, grâce à ma foi, de mener une vie simple. Lors des commémorations nationales du génocide, on ne parle jamais de mon mari. Même dans la commune de Mugina où il a sacrifié sa vie, on en parle peu et lorsqu’on évoque son nom, ce n’est que de manière superficielle. Nous n’avons reçu aucune assistance de la part du gouvernement en guise de reconnaissance du courage de Callixte. Ni le Fonds national pour l’assistance aux rescapés du génocide (FARG) ni la commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG), ni les associations des survivants du génocide, personne ne nous a aidés jusqu’à présent. Au lendemain du génocide, j’ai dû faire du ménage pour pouvoir me payer des études dans une université privée. Cela était très important pour moi, comme un devoir que je devais remplir pour honorer la mémoire de Callixte. En effet, après notre renvoi de l’ESM, nous avions décidé de poursuivre, malgré tout, des études universitaires. Mon mari a sacrifié sa vie pour protéger les personnes qui étaient visées par le génocide, même s’il était conscient de risquer sa propre vie. Il était ainsi fait, c’était sa nature même avant le génocide. Lorsqu’il apprenait qu’un tel ou une telle était menacé(e), il volait directement à son secours, quand bien même il s’agissait d’un inconnu. Il me disait : « Je pars l’aider et le mal ne l’atteindra qu’après que je sois anéanti1 ». |