Le soir du 6 avril 1994, l’avion transportant le président Juvénal Habyarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, est abattu à Kigali, alors qu’il effectuait son retour de Dar-es-Salaam (Tanzanie) où s’était tenu un sommet régional des Chefs d’État. La même nuit, la garde présidentielle rwandaise débute les massacres visant l’extermination systématique de tous les Tutsi et opposants Hutu, qualifiés sans distinction de complices de l'ennemi. Déjà plongé dans une guerre civile déclenchée il y a moins de quatre ans par les troupes du FPR-Inkotanyi, le Rwanda sombre dans l’horreur du génocide. Ce dernier va être décrit par les extrémistes Hutu comme une réaction spontanée d’autodéfense du peuple Hutu, après l’assassinat de leur président par le FPR-Inkotanyi et ses complices. En réalité, le génocide est le résultat d’un choix politique délibéré d’un groupe d’extrémistes Hutu, résolu à garder le pouvoir à la suite d’une série de succès militaires et politiques du FPR-Inkotanyi.
Les massacres sont commandités par les extrémistes Hutu, composés essentiellement de militaires, de gendarmes et de policiers, mais aussi de responsables de l’administration civile et de la milice Interahamwe – créée par le parti politique du Président Habyarimana, en 1991. Un gouvernement intérimaire est installé le 9 avril 1994 et supervise le déroulement des massacres, nombre de ses ministres assumant un rôle de premier plan. Par le biais de la radio et de la presse sous son contrôle, ce gouvernement parvient à créer une machine propagandiste visant à mobiliser les Hutu en attisant leur haine contre la communauté Tutsi. Cette machine réussit à répandre la violence, à déshumaniser les victimes, voire à les livrer à leurs bourreaux. Ainsi, dès les premières heures du 7 avril 1994, aux quatre coins du Rwanda, les Tutsi réalisent l’ampleur du danger qui pèse sur leur vie. Nombre d’entre eux abandonnent leurs domiciles et leurs biens pour fuir l’extermination. Ils tentent de trouver refuge dans différents lieux publics, tels que les églises, les hôpitaux, les écoles, les stades, les bureaux communaux, ou se dirigent vers les sommets des collines et des montagnes escarpées, les forêts et les marécages.
Dans certaines régions, les massacres commencent immédiatement. Dans d’autres, les tueurs attendent que les personnes visées se rassemblent en grand nombre dans les lieux de refuge. Ainsi, le mois d’avril 1994 connaît une opération massive d’extermination systématique de centaines de milliers de Tutsi et d'opposants Hutu. Ce mois-ci, ainsi que les trois suivants, constituent incontestablement la période la plus sombre de l’histoire du Rwanda. Des autorités politiques et militaires, censées protéger la population et rétablir la paix et l’ordre dans tout le pays, s’impliquent directement dans les massacres. Leurs agissements conduisent des centaines de milliers de citoyens ordinaires à suivre leur exemple.
Mis à part son intensité, le génocide perpétré contre les Tutsi se caractérise par une atrocité extrême : les victimes sont massacrées à l’aide d’outils artisanaux, notamment des machettes, devenues le triste symbole du génocide. Les tueurs sont pour la plupart des proches de la communauté sociale de leurs victimes, parlant la même langue, ayant la même culture, les mêmes voisins, amis, voire les mêmes membres de famille. Cette trahison collective ainsi que cette rupture de liens familiaux, amicaux, professionnels et de voisinage, demeurent jusqu’à ce jour une énigme.