L'après-génocide

Le Rwanda reste profondément marqué par le génocide de 1994 qui fit entre 800 000 et un million de victimes. Orchestré par des extrémistes Hutu, ce génocide visa l’extermination des Tutsi et des opposants Hutu. Après trois mois de combats contre les militaires de l’armée gouvernementale et les milices, la victoire du Front patriotique rwandais (FPR) met fin au génocide, sauvant ainsi les Tutsi de l’anéantissement. Le 4 juillet 1994, les troupes du FPR conquièrent la capitale Kigali, et le 19 juillet, un gouvernement est formé, consacrant ainsi la victoire politique du FPR.
Toutefois, cette victoire s’accompagne de l’exode de plus d’un million de civils Hutu, fuyant d’abord les nombreuses exécutions sommaires et massacres commis par les soldats du FPR dans les zones sous leur contrôle, puis craignant les représailles du nouveau régime. Infiltrés et encadrés par des soldats de l’ancien régime et des miliciens, ces civils se réfugient dans les pays voisins, essentiellement au Zaïre, actuelle République démocratique du Congo.

Le nouveau régime hérite d’un pays où il faut tout reconstruire. Les infrastructures de base sont détruites ou paralysées ; les administrations et les services publics mis hors d’état de fonctionner ; les commerces fermés et la vie économique inexistante. Le pays a également perdu toute une génération d’intellectuels, d’enseignants, de médecins, d’ingénieurs et d’entrepreneurs, tandis que de nouvelles catégories de personnes vulnérables voient le jour. Les déplacés de guerre, sans abri, errent dans le pays ; les survivants du génocide cherchent désespérément des nouvelles de leurs proches ; des milliers de veuves et orphelins du génocide, de nombreux handicapés et personnes âgées, sont abandonnés à leur sort.

Les espoirs se tournent alors vers la justice. Le défi est de taille. D’un côté, des milliers de personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide sont détenues dans les prisons et autres centres improvisés, souvent dans des conditions épouvantables. D’un autre côté, la plupart des magistrats et juristes ont été tués ou ont fui le pays ; les structures ont été pillées et détruites ; les caisses du ministère sont vides. Tout le système judiciaire est à reconstruire, mais le temps presse. N’ayant trouvé en droit rwandais aucun mécanisme approprié à la poursuite du crime de génocide, l’Etat promulgue, le 1er septembre 1996, la loi sur le génocide. Une procédure d’aveux avec plaidoyer de culpabilité est créée, permettant – exceptés pour les organisateurs du génocide et accusés des crimes les plus graves – de bénéficier d’une remise de peine. Vivement critiquée notamment parce qu’obligeant les victimes à accepter la procédure et violant le principe de la présomption d’innocence des accusés, seul un faible pourcentage d’accusés choisit d’abord d’y avoir recours.

Même si leur nombre augmente à partir de 1998, des difficultés demeurent. Les aveux sont souvent partiels et les délais de jugement excessivement longs. La population carcérale atteint, en 1998, un effectif d’environ 130 000 personnes accusées de génocide. Le gouvernement recourt, en 2002, aux tribunaux populaires, dits juridictions Gacaca, afin d’accélérer les procès, d’établir la vérité et de contribuer à la réconciliation. Les juges des tribunaux Gacaca sont des citoyens ordinaires, désignés par la population et n’ayant pas reçu de formation juridique auparavant. Ils ont traité près de deux millions d’affaires à travers tout le pays jusqu’à la fermeture des juridictions Gacaca, en juin 2012.

Si les tribunaux Gacaca sont félicités pour avoir traité un très grand nombre d’affaires, fait participer des communautés locales et permis à certains survivants du génocide d’apprendre ce qui était arrivé aux membres de leur famille ; ils sont sévèrement critiqués quant à l’indépendance des juges et à leurs compétences. Ils sont accusés d’avoir été le théâtre d’intimidations et instrumentalisations politiques, de corruption et d’erreurs judiciaires. La mesure dans laquelle ils ont contribué à la réconciliation est aussi à relativiser. Bien qu’ils aient donné lieu à plus de révélations que la loi de 1996, elles n’ont pas réussi à dissiper la méfiance entre les auteurs et les survivants du génocide.

En parallèle, les juridictions ordinaires rwandaises ont été chargées de poursuivre ceux qui sont accusés d’avoir planifié le génocide, ou d’avoir commis les crimes les plus graves. En 2007, la peine de mort, appliquée pour la dernière fois en 1998, a été abolie. Environ 10 000 personnes ont été jugées à ce jour pour crimes liés au génocide par les tribunaux classiques.
A l’échelle internationale, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a créé, le 8 novembre 1994, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), avec pour mandat de juger les plus hauts responsables et organisateurs du génocide et d’autres crimes du droit international humanitaire commis au Rwanda en 1994. Sa compétence couvre le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Achevant bientôt son mandat, le TPIR a inculpé 93 personnes, jugé 78 personnes dont 55 ont été condamnées. Ce bilan suscite des critiques pour le nombre relativement faible d’affaires traitées, son coût de fonctionnement élevé et la longueur des procès. Par ailleurs, Aucune affaire relative au FPR n’a été portée devant le TPIR, ce qui crée un sentiment chez certains Rwandais et étrangers d’avoir rendu seulement la justice des vainqueurs.

Enfin, en vertu de la compétence universelle permettant à un Etat de poursuivre les auteurs de certains crimes quelque soit le lieu du crime et la nationalité des auteurs et des victimes, plusieurs ressortissants rwandais ont été jugés devant des juridictions étrangères. A ce jour, quatre procès ont été tenus en Belgique, un en Allemagne, au Canada, en Finlande, en France, en Norvège et en Suisse.