L'ange gardien du Rwanda

On en sait peu sur la vie du capitaine Diagne avant son arrivée au Rwanda. Né le 18 mars 1958, il grandit à Pikine, un quartier populaire de Dakar, la capitale du Sénégal. Issu d’une famille musulmane de neuf enfants, il est le premier de sa famille à aller à l’université. Diplômé de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en sciences économiques, Mbaye rejoint l’armée sénégalaise en 1983 et y monte progressivement les échelons. En 1991, il est promu au grade de capitaine.

Par la suite, Mbaye sert sous les couleurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), avant d’être intégré aux casques bleus de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR). Il a alors 36 ans.

Initialement créée pour aider à mettre en œuvre l’Accord de paix d’Arusha signé entre le gouvernement rwandais et le Front Patriotique Rwandais (FPR) le 4 août 1993, le bilan de la MINUAR demeure, face aux évènements tragiques du génocide, globalement un échec. Entravée par un mandat l’obligeant à une stricte neutralité, la mission pâtit notamment d’un manque de direction politique, d’un équipement trop vétuste et d’effectifs réduits.

Ainsi, au cœur des massacres pourtant relayés par les medias étrangers, l’ONU décide, le 21 avril 1994, de réduire les effectifs de la mission d’environ 2 500 hommes à 2701. Plusieurs membres de la MINUAR réussiront pourtant à sauver entre 30 et 40 000 personnes. Parmi elles, plusieurs centaines doivent leur vie au capitaine Mbaye Diagne.

Pourtant, le mandat interdit aux soldats de la MINUAR de circuler armé. Le colonel Mamadou Sarr, qui servit aux côtés de Mbaye, raconte : « Nous n’avions même pas droit au couteau. Notre seule arme pour sauver des civils, c’était la parole ». C’est donc à la fois avec un courage exceptionnel et une aisance naturelle que le capitaine organise, souvent de sa propre initiative, de nombreuses opérations de sauvetage. La première a lieu le premier jour du génocide, le 7 avril 1994.

Ce jour-là, des membres de la garde présidentielle arrivent chez la Première ministre, Agathe Uwilingiyimana, Hutu modérée prête à partager le pouvoir avec le FPR. Ses cinq enfants, dont le plus jeune est seulement âgé de 3 ans, ne sont pas loin. Marie-Christine, alors âgée de 15 ans, se souvient : « Il y a eu de nombreux coups de feu. Les soldats ont crié de joie. Puis ce fut un silence angoissant ». Sa mère, la Première ministre, et son époux viennent d’être abattus.

Alors en mission pour récupérer des membres du personnel civil de l’ONU, le capitaine Diagne a vent de l’imminence de l’attaque et accourt sur les lieux. Les assassins sont déjà partis, mais il découvre les enfants cachés dans une pièce sombre d’une maison voisine, derrière des vêtements et des meubles. D’autres membres de la MINUAR arrivent, dont son commandant, le général Roméo Dallaire.

Un long débat se pose alors quant aux actions que peut entreprendre la MINUAR. Le général finit par promettre au capitaine Diagne que des véhicules blindés arriveront plus tard dans l’après-midi pour mettre à l’abri les enfants. Mbaye décide de rester avec eux jusqu’à ce qu’ils soient en sécurité. Hélas, aucun véhicule ne vient. Le capitaine décide de les transporter lui-même jusqu’à l’Hôtel des Mille Collines. Il cache les cinq enfants sous une bâche à l’arrière de son véhicule non blindé et roule le plus vite possible.

Le 10 avril, un groupe de soldats et de miliciens vient réclamer les enfants. Après une longue discussion, le capitaine obtient leur départ. Le lendemain, un avion canadien est prêt à évacuer les enfants. Le capitaine les conduit à l’aéroport, après avoir franchi sans problème les barrages des miliciens.

Aujourd’hui en Europe, Marie-Christine déclare : « Si [Mbaye Diagne] n’avait pas été là, je ne serais plus de ce monde. Je lui dois la vie ».