Contexte

Il y a vingt ans, en 1998, Aung San Suu Kyi recevait un doctorat honoris causa de l’Université catholique de Louvain. En lui remettant ce titre, notre Université entendait rendre hommage à son combat politique en faveur de la démocratie en Birmanie. Mais l’Université voulait surtout insister sur la manière remarquable dont cette personnalité de premier plan menait ce combat : une force de conviction singulière exprimée par la non-violence.

Aung San Suu Kyi n’a pas pu recevoir elle-même les insignes de son doctorat, car elle savait trop bien que si elle se déplaçait à l’étranger, la junte militaire au pouvoir lui interdirait de regagner son pays. Elle fit donc le choix de vivre en résidence surveillée et rester proche du peuple birman plutôt que de vivre libre à l’étranger. Aujourd’hui, la situation politique birmane et le contexte géostratégique ont changé, notamment grâce à son action et à l’immense soutien dont elle a bénéficié de par le monde, dont à Louvain.

Quinze ans plus tard, à l’automne 2013, Aung San Suu Kyi a voulu rencontrer et remercier la communauté universitaire de Louvain qui s’était reconnue en elle. Emu par la droiture avec lequel Aung San Suu Kyi menait son combat non violent en faveur de la chute de la dictature militaire dans son pays, l’ensemble des composantes de l’Université s’était en effet mobilisé en sa faveur depuis 1998.

À l’occasion de cette visite, l’idée est venue assez logiquement de prolonger le soutien de notre Université à l’action politique non-violente d’Aung San Suu Kyi au travers d’un travail proprement universitaire, d’enseignement et de recherche, autour des termes clés mobilisés dans le combat non-violent d’Aung San Suu Kyi : démocratie, cultures, engagement.

Lors de sa venue le 19 octobre 2013, Aung San Suu Kyi s’est montrée acquise à ce projet et a accepté le principe qu’une Chaire « Démocratie, culture et engagement » porte son nom.

"Charity and compassion in politics" : l’intégrale de la conférence d’Aung San Suu Kyi à l’UCL le 19 octobre 2013

https://youtu.be/37qFrauGFL8

Aung San Suu Kyi s’est montrée femme de pensée et d’action, au service de la lutte non-violente pour l’avènement de la démocratie en Birmanie. Elle a écrit plusieurs textes importants sur les liens entre éthique et politique, tout en cherchant à inscrire la tradition birmane dans une histoire plus large – celle de l’adhésion à des normes démocratiques adaptées au monde contemporain – et en s’engageant personnellement dans l’action politique. C’est dans cette perspective que l’Université catholique de Louvain a fait le choix de créer une Chaire Aung San Suu Kyi « Démocratie, cultures et engagement ».

Cette Chaire s’est voulue à la fois un hommage et une réception. Car rendre hommage à Aung San Suu Kyi, c’était non seulement reconnaître un engagement remarquable, mais c’était aussi approfondir ce que nous pouvons apprendre d’un certain rapport au monde : le sien, mais aussi celui de tous ceux qui se sont engagés – à ses côtés ou ailleurs dans le monde – pour concrétiser des projets de démocratie par le moyen de l’action non-violente. Pour nous, cela doit conduire à approfondir le sens de la vocation de l’Université dans la société, dont le travail scientifique est indissociable du développement des libertés fondamentales et de l’usage de la raison critique.

À ce jour, en 2017, la Chaire  « Démocratie, cultures & engagement » est gravement préoccupée par les troubles politiques que connaît actuellement le Myanmar, ainsi que par les nombreux rapports qui font état de situations de violence, de violations des droits humains et de nettoyage ethnique, notamment dans l’état d’Arakan auprès des communautés rohingyas.

Une plateforme d’information sur les droits humains au Myanmar a été conçue de façon à permettre une meilleure compréhension de la situation et à fournir des ressources pour l’action. Y sont regroupés divers sites d’information, de sources multiples, ainsi que des rapports officiels d’organisations internationales. Y seront également relayées les initiatives d’organisations soutenues ou approuvées par la Chaire. Un état des lieux rigoureux de la situation a été réalisé par les membres de la Chaire, dont les résultats sont compilés dans un dossier librement accessible.

En décembre 2016, un courrier signé par les quatre académiques de la Chaire a été adressé à la Conseillère Spéciale de l’État Daw Aung San Suu Kyi, exprimant nos préoccupations quant à la situation des droits humains au Myanmar. Nous lui faisons part de notre sentiment que « la magnitude des atrocités exigent un message clair », une « condamnation sans équivoque des violences dont les Rohingyas sont la cible », et que ce message est « plus urgent chaque jour ».

Le 1er mai 2017, madame Aung San Suu Kyi nous a répondu en nous demandant de patienter afin de connaître les résultats de la Commission Annan. Au vu des événements tragiques que connaît la Birmanie depuis la mi-août, des recommandations de la Commission Annan, et de la position que continue à tenir madame Aung San Suu Kyi, nous en sommes venus à devoir proposer la mise en retrait du nom de madame Aung San Suu Kyi de l’intitulé de la Chaire baptisée en son honneur, afin de simplement s’en tenir dorénavant à : Chaire Démocratie, Cultures & Engagement. Vous trouvez en annexe une note détaillant les raisons nous ayant amené à proposer le 15 septembre 2017 cette position aux autorités académiques de l’Université, qui l’ont avalisée en date du 28 septembre 2017.

Pour mémoire, cette Chaire n’a pas été créée en soutien l’action politique de Daw Aung San Suu Kyi, mais en référence à des enjeux que soulevait son engagement historique – et non-violent – en faveur de la démocratie dans son pays.

En d’autres termes, les idéaux portés par Aung San Suu Kyi, dans ses écrits comme dans son parcours, continueront à inspirer notre questionnement. Leur mise en pratique, et son action, interrogent précisément l‘objet de cette Chaire. A l’avenir, il s’agit toujours pour nous de penser les tensions existant entre théorie et pratique dans les transitions, en particulier autour du rapport entre violence et non-violence. Une telle réflexion est essentielle à la crédibilité et à la faisabilité du projet démocratique lui-même.