Pourtant, la montée de la haine contre les Tutsi, Sula a aussi pu l’observer. Elle raconte entendre des propos malveillants à leur égard depuis longtemps et avoir déjà vu des Tutsi dépossédés de leurs biens et tués lors des évènements de 1959-1963. Sula pense que l’origine de cette haine réside dans la pauvreté. « Ils étaient tous comme frères et sœurs », « mais quand un Tutsi gagnait mieux sa vie, ses voisins Hutu commençaient à le jalouser et disaient que ce Tutsi ne devrait pas vivre ».
Depuis le génocide, Sula est restée opposée aux génocidaires. Elle a même aidé à en traduire certains devant les tribunaux. Sula croit en la nécessité de sanctionner sévèrement ceux qui ont tué pendant le génocide, afin que de tels évènements ne se reproduisent plus car dit-elle, « Les choses qui sont arrivées au Rwanda sont au-delà de votre imagination ».
Sula croit aussi en la réhabilitation des génocidaires qui, une fois leur peine de prison effectuée, peuvent cultiver la terre ou reconstruire là où ils ont détruit. Aujourd’hui, Sula semble surtout aspirer au repos, amplement mérité. A la question de savoir quel message elle souhaiterait transmettre notamment aux jeunes Rwandais pour que plus jamais le pays ne connaisse ces évènements, Sula répond « Priez seulement Dieu ». Sa simplicité et sa modestie doivent servir d’exemple.
Sula avoue avoir pourtant bien du mal à comprendre pourquoi d’autres personnes de sa communauté n’ont pas fait plus d’efforts pour résister au génocide. Pour elle, c’est de la mauvaise foi : « Si les gens l’avaient voulu, personne ne serait mort. Il était possible de sauver des vies humaines de plusieurs façons ». Sula va même jusqu’à considérer que cette inaction est un génocide d’une autre manière. Pour elle, les causes du génocide sont l’égoïsme et l’avidité. Sula affirme avoir sauvé toutes ces personnes « pour le bon Dieu », que son but était « de ne voir aucun cadavre ». Mais elle a agi ainsi parce que son cœur le lui dictait.
Toutes les personnes qu’elle a cachées ont survécu au génocide et sont vivantes aujourd’hui. Elles ont toutes cherché à savoir si Sula était encore en vie. Certains ont accédé à des postes administratifs importants, d’autres travaillent dans le secteur privé. Toutes et tous reconnaissent son courage exceptionnel et la considèrent comme une femme extraordinaire : « Son courage pendant le génocide a été sans égal. Très peu de gens auraient pu faire ce qu’elle a fait ». Ceux qu’elle a sauvés louent également sa bravoure et les risques qu’elle a pris pour eux. Encore aujourd’hui, malgré son âge avancé, Sula se montre toujours aussi accueillante envers les visiteurs, même les inconnus.
A travers sa vie et ses actes, le message que Sula nous transmet est empli de sagesse et de bienveillance. Il nous atteint tous, indépendamment de nos origines, et touche notre humanité. Sula nous dit : « Si vous voulez aimer, commencez par votre voisin ».