Alors que la propagande de haine et d’incitation aux massacres bat son plein à Kaduha, Sœur Milgitha se donne sans réserve pour voler au secours des milliers de réfugiés Tutsi. Elle dépense beaucoup d’argent pour acheter des vivres. Elle vide le centre de santé de ses stocks de médicaments et de denrées alimentaires. Elle soigne les malades et les blessés, et réconforte les réfugiés par la prière. Elle participe à la préparation et à la distribution de la soupe, s’assurant que chacun ait sa part, si minime soit-elle. Milgitha passe ainsi deux semaines auprès des réfugiés et partage tout avec eux. Tous prient et chantent, en implorant le secours du ciel.
Le 21 avril 1994 avant l’aube, l’extermination commence à Kaduha : des centaines d’assaillants lancent d’abord des grenades sur certains locaux qui abritent des réfugiés. Puis, ils tirent sur ceux qui tentent de se sauver. Au lever du jour, des milliers de miliciens vêtus de feuilles de bananier et armés de machettes, de lances et de gourdins envahissent les lieux. Ils sont soutenus par des gendarmes, des policiers communaux, des soldats en civil ainsi que d’anciens militaires.
Après des heures de tirs et de grenades, les coups de feu cessent, le temps de se réapprovisionner. Pendant ce temps, les massacres se poursuivent pourtant. Ils dureront toute la journée du jeudi 21 avril et du vendredi 22. Des civils et des militaires attendent sur les routes ceux qui ont miraculeusement réussi à fuir les tueries. Ils les font asseoir et les tuent, par balle ou à coups de machette. Les forces de l’ordre tendent également des embuscades à des groupes de personnes en fuite et participent à la traque et à l’exécution de survivants isolés.
De leur couvent, Sœur Milgitha et Sœur Quirina assistent, impuissantes, à ce carnage. Elles entendent le bruit des grenades et des fusils ainsi que les cris déchirants des victimes. Elles ne savent que faire, sinon attendre que leur heure arrive aussi. Il pleut dehors, Sœur Milgitha décide d’ouvrir la porte de sa maison. Mais des torrents de sang coulent, de l’église au centre de santé et depuis tous les lieux qui abritaient les réfugiés. Elle n’en croit pas ses yeux et, surtout, ne comprend pas quel est ce Dieu qui a pu laisser faire de telles choses. Partout, des monceaux de corps sans vie gisent. Sœur Milgitha enjambe les cadavres.
Lorsqu’elle ouvre les portes de l’église, des cadavres empilés derrière lui tombent dessus. Dans cet amas de corps sans vie, elle cherche des miraculés qui respireraient encore. La plupart sont grièvement blessés et sont couverts de sang. Des violents coups de machette ont notamment laissé de profondes entailles. Beaucoup de blessés sont enflés et leurs corps déchiquetés par les balles ou les grenades.
Sœur Milgitha emmène les blessés dans son centre de santé et se bat sans relâche pour les soigner. Grièvement blessés à la tête et souffrant d'un traumatisme crânien grave, deux enfants succombent à une hémorragie cérébrale. Sœur Milgitha ne se décourage pas. Pourtant, les miliciens viennent chaque jour pour les achever. Mais Sœur Milgitha les supplie de les épargner et les paie. Lorsque l’argent vient à manquer, elle leur donne ses effets personnels, notamment ses appareils photos et ses radios.