La Constitution belge élève la justice au rang d’un véritable pouvoir et définit la place qui lui revient aux côtés des autres pouvoirs. Elle lui assigne une mission, celle de juger, qui, comme les autres fonctions étatiques, est une mission sociale. Le juge d’aujourd’hui n’est plus le juge d’hier. Il ne se contente plus de dire le droit, ni même de l’interpréter. La modernité l’a élevé au rang d’un arbitre des valeurs sociales. Certes, depuis toujours, les conflits de valeurs ont existé et la justice en a connus. Mais, de plus en plus systématiquement, ils sont réglés dans les prétoires des palais de justice au lieu de l’être dans les hémicycles des parlements. Au demeurant, ces conflits de valeurs, on attend du juge qu’il les tranche, non pas de manière catégorique et péremptoire, mais par des ajustements subtils et des conciliations raffinées. En examinant de tels conflits, les juges doivent savoir jusqu’où ne pas aller. C’est ici qu’intervient l’idée d’une responsabilité sociale. Celle-ci, à la différence de la responsabilité civile, disciplinaire ou pénale, n’implique pas la violation du droit et ne conduit pas à des sanctions juridiques. Elle se conçoit d’ailleurs sur une base non conflictuelle. La responsabilité sociale profile un lien positif entre la communauté des juges et la société des citoyens. Pour un juge, être socialement responsable, c’est se montrer digne de la confiance que les citoyens lui accordent et être à la hauteur des exigences nouvelles que la société lui impose. En ce sens, la responsabilité sociale renvoie à la nécessaire culture judiciaire que tout juge doit posséder et entretenir. Cette culture judiciaire est le produit de plusieurs facteurs, qui convergent autour d’une exigence fondamentale : dans le respect de l’indépendance et de l’impartialité qui font d’eux un tiers pouvoir, les juges doivent avoir une attitude quotidienne d’ouverture vers la société civile et de dialogue avec les citoyens. L’axe de recherche "Constitution et Justice" [CEJ] entend poursuivre les recherches menées jusqu’ici sur la responsabilité sociale – mais aussi juridique – des magistrats.
Ces recherches supposent une connaissance approfondie des institutions et des procédures juridictionnelles. En ce qui concerne les juridictions judiciaires et administratives, l’axe de recherche CEJ veut continuer à s'interroger sur leurs fondements constitutionnels. En ce qui concerne la juridiction constitutionnelle, l'axe de recherche CEJ veut maintenir et enrichir l’expertise progressivement acquise en ce domaine. Il s’agit d’étudier de manière approfondie les règles et les principes qui régissent le contentieux devant la Cour constitutionnelle : sa composition et son fonctionnement, les normes qu’elle contrôle, les normes auxquelles elle se réfère (bloc de constitutionnalité), ses modes de saisine, les procédures suivies, les effets des arrêts, etc. Il s’agit, par-delà cette étude, de situer le contentieux constitutionnel dans les contextes qui peuvent contribuer à lui donner un sens (théorique, historique, géographique, philosophique, ou encore politique) et de s’engager dans une réflexion plus globale sur l’avenir de la justice constitutionnelle. A cet égard, les travaux entrepris par Marc Verdussen, pendant et à la suite d’un séjour de recherche à la Law School de l’Université de Berkeley (2001-2002), sur la légitimité des juridictions constitutionnelles doivent être prolongés. La légitimité de la Cour constitutionnelle se mesure à sa capacité d’arbitrer, de pratiquer et de susciter le dialogue constitutionnel. En relevant ce triple défi, elle participe pleinement à une «culture du débat»[1], à une culture démocratique conçue comme un «espace donné à la parole»[2]. Le rôle qu’elle joue apparaît alors, «non pas comme un mécanisme correcteur, mais comme un élément d’approfondissement de l’exigence démocratique»[3].
L’axe de recherche CEJ entretient une collaboration avec le Groupe d’études et de recherches sur la justice constitutionnelle de l’Université Paul Cézanne d’Aix-Marseille III, ainsi qu’en Belgique, avec l’Institut d’études sur la justice et l’Association syndicale des magistrats.
[1] R. Dworkin, Is Democracy Possible Here ? Principles for a New Political Debate, Princeton University Press, 2006, p. 6.
[2] A. Touraine, Qu’est-ce que la démocratie ?, Paris, Fayard, 1994, p. 213.
[3] J. Chevallier, L’Etat post-moderne, 2ème éd., Paris, L.G.D.J, 2004, p. 154.