Des corps en décomposition jonchent le sol de la paroisse. Sœur Milgitha engage alors les assassins pour enterrer les morts et les paie pour cela. Elle note leur nom ainsi que le salaire qu’ils ont touché. Plus tard, après le génocide, les mauvaises langues lui reprocheront d’avoir collaboré avec les meurtriers. Elle répondra que les morts ne peuvent pas enterrer les morts.
En juin 1994, un sous-préfet accompagné de militaires vient avertir Sœur Milgitha que sa vie est en danger et l’exhorte à quitter le Rwanda. Réalisant que les gens qu’elle a sauvés peuvent être tués après son départ, elle va d’abord négocier leur protection. Elle donne alors une importante somme d’argent au sous-préfet ainsi qu’à un militaire local marié à une femme tutsi. Elle informe également de la situation l’évêché de Gikongoro, la Croix-Rouge et l’organisation « Terre des hommes », une organisation humanitaire italienne.
Grâce au courage exceptionnel de Sœur Milgitha, des centaines de personnes, principalement des orphelins, auront finalement la vie sauve. Leur protection sera facilitée à la suite de l’arrivée des militaires français de l’opération Turquoise, le 23 juin 1994.
Sœur Milgitha quitte Kaduha le 15 juin 1994 avec sa consœur Quirina. Elles arrivent à l’évêché de Cyangugu1 le même jour. Elles séjournent ensuite à Bukavu (République démocratique du Congo), puis se rendent au Burundi, où l’ambassade d’Allemagne à Bujumbura arrange leur rapatriement.
Quand Sœur Miligitha apprend la fin du génocide, elle revient aussitôt au Rwanda et reprend ses activités au centre de santé de Kaduha, le 27 août 1994. Ce retour ne se fait pas sans difficulté, puisque sa famille et sa communauté la découragent à regagner le Rwanda, craignant pour sa sécurité. Mais Sœur Milgitha, bien que consciente de la situation difficile qui l’attend, fait la sourde oreille.
Son rêve est de revoir au plus vite les personnes qu’elle a sauvées et d’apporter sa pierre, si minime soit-elle, à la reconstruction du pays dévasté par un génocide. Sa consœur, Quirina2, tombée malade, la rejoindra plus tard à Kaduha. Milgitha crée un orphelinat et s’occupe, sans distinction, de tous les enfants.
Entre 1994 et 2010, elle vient ainsi en aide à 3 500 orphelins qui ont tout perdu. Elle aide les survivants à organiser l’enterrement en dignité des membres de leur famille tués pendant le génocide, retrouvés jetés dans des latrines et autres fosses septiques. Elle leur fournit draps et cercueils, et participe au frais de transport et d’enterrement. Elle aide, en outre, les orphelins et les veuves à avoir des logements décents. Elle prend aussi en charge la scolarité de plusieurs enfants démunis.
1 Cyangugu est une ville située au sud-ouest du Rwanda, à la pointe sud du lac Kivu, à la frontière avec la ville de Bukavu, en République démocratique du Congo.
2 Sœur Quirina est décédée en février 2014 en Allemagne à la suite d’une longue maladie.