Un master interuniversitaire en études de genre voit le jour en Fédération Wallonie-Bruxelles. L’UCL a joué un rôle moteur pour faire aboutir un projet très attendu.
« L’utopie de la société de demain, c’est l’université »
«L’intitulé ‘master en études de genre’ est complémentaire au ‘master in Gender en Diversiteit’ en Flandre », explique la Pre Tania Van Hemelryck, qui a présidé le groupe de travail interuniversitaire et assure aujourd’hui la présidence du jury du nouveau master. « Il privilégie ‘l’intersectionalité’ – les liens entre sexe, race, en plus de l’égalité - et permet à chacun·e d’entrer dans ce champ disciplinaire. » Pourquoi ce master est-il autant salué ? « En Belgique, et spécifiquement à l’UCL, où l’expertise, en termes de recherche mais aussi d’enseignement, est reconnue depuis plus de 50 ans, on ne pouvait que regretter les lacunes en matière de formation structurée autour de cette question, alors que des masters en études de genre existaient déjà en Europe et à l’international. » La demande d’expert·e·s formé·e·s au genre est importante, que ce soit au sein des organismes internationaux, des entreprises ou des associations. « C’est un master de spécialisation et c’est voulu », insiste Tania Van Hemelryck. « Il faut une maturité intellectuelle et de vie pour distinguer son vécu de la question du genre, qui touche tous les individus dans leur intimité. » L’UCL a joué un rôle moteur pour faire aboutir un projet qui a été bouclé en un an, avec six universités autour de la table.
Conseillère du recteur à la politique de genre, Tania Van Hemelryck veut outiller les futur·e·s étudiant·e·s sur les plans intellectuel et scientifique. Si elle regrette le manque de filles à l’Ecole polytechnique de Louvain, elle voudrait qu’il y ait davantage de garçons en Faculté de philosophie, arts et lettres. « L’utopie de la société de demain, c’est l’université », assène-t-elle. D.H.
> https://uclouvain.be/prog-2017-genr2mc
Le genre est une construction sociale
Les féministes anglo-saxonnes parlaient de ‘genre’ – terme venu de la sociologie anglophone – pour marquer les différences qui relèvent du sexe biologique et ce que nos sociétés en font : les normes, les attentes, les rôles qui y sont liés. « Il y a des différences biologiques mais le genre est une construction sociale », explique Laura Merla, sociologue à l’Institut d’analyse du changement dans l’histoire et les sociétés contemporaines (IACCHOS). « Les rôles et les statuts sont influencés par les processus sociaux. Notre mode de pensée est construit sur cette binarité, un élément fondateur de nos sociétés. »
« Les études de genre, poursuit la sociologue, rendent visible le fondement des relations de pouvoir qui conduisent à une distribution différente des ressources économiques ou politiques ». La sociologue pointe le Gender Quality Index mis au point par l’Union européenne, non pour dénoncer la position subalterne des femmes mais pour éclaircir la place relative des hommes et des femmes dans une série de domaines. En matière de santé, par exemple, les femmes s’en tirent mieux que les hommes, sans doute, explique Laura Merla, « parce qu’occuper une position dominante a un coût ».
Si au départ, les études de genre s’attachaient aux femmes, aujourd’hui, on étudie les deux sexes, les relations qu’ils nouent et on nuance la position de chacun. « Certaines femmes participent à la reproduction de la domination masculine – pensons à l’excision. » Et la sociologue de conclure : « ‘L’intersectionalité’ est devenue la priorité, c’est-à-dire croiser les inégalités de genre avec d’autres, liées à l’ethnicité ou au statut social par exemple. » D.H.
> https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/iacchos
«On vit dans une société où la domination va un peu moins de soi»
En France, les études féministes, devenues études de genre, viennent de fêter leurs 40 ans à Paris-8 Vincennes Saint-Denis. Eric Fassin, qui y co-dirige le département d’études de genre, s’interroge : « Nous venons de créer le premier laboratoire d’études de genre en France ; en Belgique francophone, le premier master en études de genre voit le jour. Paradoxalement, cette institutionnalisation coïncide avec de fortes mobilisations contre la supposée ‘théorie du genre’. S’agirait-il d’une réaction au succès relatif des études de genre ? »
Le sociologue est venu aux études de genre en analysant la politisation des questions sexuelles aux Etats-Unis. « En France, on refusait de comprendre et on fustigeait ce qui se passait en ‘Amérique’. J’ai voulu l’étudier en anthropologue. Mais prendre au sérieux, pour analyser scientifiquement, a revêtu un sens politique », poursuit-il. Venu parler du ‘Trouble dans l’hégémonie’ à un colloque consacré aux ‘Masculinités non-hégémoniques’, le sociologue se demande comment s’impose une version de la masculinité, plutôt qu’une autre. « L’hégémonie permet de réfléchir de manière historique. On vit aujourd’hui dans une société où la domination a perdu de son évidence, et où ce qui allait de soi va moins de soi. Ce n’est pas la fin de la domination, bien sûr, mais cela change le rapport à la norme : celle-ci n’est plus invisible, elle est troublée », explique celui qui se déclare ‘sociologue engagé’. « Je revendique le caractère politique du savoir. On ne peut pas parler du monde en étant neutre », insiste-t-il. D.H.
Article paru dans le Louvain[s] de juin-juillet-août 2017 |