Lors de la vérification de la réalité de l’origine du requérant au cours d’un examen d’une demande d’asile, l’analyse faite par l’agent de protection des éléments présentés par le requérant doit être minutieuse et approfondie.
Art. 3 CEDH - Art. 4, § 5, directive 2011/95/UE - Art. 57/7ter loi du 15 décembre 1980 -crédibilité de l’origine - charge de la preuve - étendue de l’analyse des éléments présentés - (annulation)
A. Arrêt
Le demandeur d’asile indique être somalien et avoir vécu plusieurs années dans un camp de réfugiés somaliens au Kenya. Il joint à sa requête une attestation d’enregistrement provenant du camp de réfugiés somaliens de Mombasa. Le C.G.R.A., après avoir considéré que sa nationalité somalienne n’était pas prouvée, a examiné la crainte de persécution par rapport au pays dans lequel il résidait habituellement, le Kenya.
Ce raisonnement s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle du C.C.E. qui considère que les cas similaires, où la crédibilité du requérant quant à son origine n’est pas suffisamment établie, doivent être traités de la même manière que les cas des apatrides[1]. En examinant la crainte de persécution au Kenya, le C.G.R.A. a considéré que celle-ci n’était pas crédible. En outre, il a estimé que les conditions pour l’octroi de la protection subsidiaire n’étaient pas remplies. Le Commissariat a basé son raisonnement sur le fait que les déclarations du requérant étaient inconsistantes et en contradiction avec certaines informations objectives.
Le C.C.E., statuant en plein contentieux, a procédé à l’annulation de cette décision. Il a observé que le C.G.R.A. ne semblait pas « réellement remettre en cause la nationalité somalienne du requérant » (§ 6.3.1). Le juge belge a ajouté que le Commissariat n’a pas contesté le séjour du requérant, établi par une attestation, au camp des réfugiés somaliens au Kenya. D’après le Conseil, cette attestation « serait susceptible de constituer un indice sur la nationalité du requérant » (§ 6.3.1).
Le C.C.E. a conclu que le Commissariat n’a pas procédé « à une analyse aussi minutieuse que possible de l’ensemble des éléments présentés par le requérant afin d’attester de sa nationalité » (§ 6.3.3). Le Conseil a également souligné l’importance de la vérification de l’origine du requérant en l’espèce ; s’il était prouvé qu’il s’agissait effectivement d’un Somalien, l’examen de la protection subsidiaire s’imposait. Le C.C.E. a renvoyé l’affaire au Commissaire général afin qu’il procède à des mesures d’instruction complémentaires, soulignant que la charge de la preuve incombait aux deux parties.
B. Éclairage
Cet arrêt affirme le rôle crucial d’une analyse complète et minutieuse de tous les éléments qui sont présentés afin d’appuyer les déclarations du requérant dans le processus d’évaluation d’une demande d’asile. Elle précède le récent arrêt Singh de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui a également confirmé l’importance que la Cour accorde à un examen complet par les États des griefs défendables tirés de l’article 3 C.E.D.H.[2]. Elle démontre que le C.C.E. a déjà commencé à réévaluer sa jurisprudence relative à l’évaluation de la crédibilité de requérants qui ont séjourné dans un pays tiers quant à leur origine[3].
Dans des affaires précédentes, le Conseil avait estimé que le dépôt de documents d’identité afghans ne suffisait pas pour renverser la charge de la preuve[4]. Or, dans cet arrêt, le juge souligne que la présentation, par le requérant, d’une attestation de séjour dans un camp de réfugiés somaliens implique l’obligation pour le C.G.R.A. de vérifier son authenticité, par exemple « en tentant de contacter l’association en question ou un ancien responsable du camp St. Anne ou en se renseignant sur la provenance des réfugiés ayant peuplé ce camp » (§ 6.3.3).
Ce raisonnement est non seulement conforme avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, mais aussi avec les exigences de la Directive Qualification qui implique que la charge de la preuve des faits soit partagée entre les autorités et le requérant[5]. En outre, elle adhère à l’interprétation du H.C.R. sur ce sujet[6].
Quelle est la procédure à suivre si la nationalité du requérant ne peut pas être prouvée, même après un examen minutieux de tous les éléments disponibles ? Le C.C.E., s’inspirant des lignes directrices du H.C.R., a choisi de combler le vide juridique en traitant ces cas par analogie avec ceux des apatrides. Toutefois, ce raisonnement ne peut être appliqué que si un pays de résidence habituelle peut être identifié. Dans l’hypothèse où le séjour dans un pays tiers ne peut pas être prouvé, ces demandes sont rejetées sans que l’analogie avec le statut d’apatride soit prise en compte[7]. Le C.G.R.A. n’est pour le moment pas compétent pour attribuer le statut d’apatride, ce qui laisse des requérants dans une impasse. Ces personnes deviennent en effet « ni expulsables, ni régularisables » et en pratique restent sur le territoire belge dans une situation d’incertitude juridique.
L.T.
C. Pour en savoir plus
- Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 21 septembre 2012, n° 87989.
- H.C.R., Note on Burden and Standard of Proof in Refugee Claims, 16 décembre 1998.
- L. Leboeuf et E. Neraudau, La réception du droit européen de l’asile en droit belge : le Règlement Dublin et la Directive Qualification, sous la direction de S. Saroléa, Louvain-la-Neuve, CeDIE (UCL), 2012, en particulier pp. 252 à 265.
- H.C.R., Principes directeurs relatifs à l'apatridie n° 1 : Définition du terme « apatride » inscrite à l'Article 1(1) de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides, 20 février 2012, HCR/GS/12/01.
- H.C.R., Principes directeurs relatifs à l’apatridie n° 2 : Principes directeurs relatifs aux procédures permettant de déterminer si une personne est un apatride, 5 avril 2012, HCR/GS/12/02.
[1]Voy. C.C.E., 21 octobre 2010, arrêt n° 49912 cité par le C.G.R.A. ainsi que les trois arrêts du 24 juin 2010, nos45395, 45396 et 45397.
[2]Voy. Cour eur. D.H., 2 octobre 2012, Singh et autres c. Belgique, req. n° 33210/11, EDEM, Newsletter, octobre 2012, pp. 3 à 5, A.D.D.E., Newsletter, novembre 2012, n° 82, p. 5.
[3]Voy. les arrêts précités du C.C.E. du 24 juin 2010, n° 45395, 45396 et 45397 ainsi que l’arrêt C.C.E., 11 août 2010, n° 47186.
[4]Voy. par ex. C.C.E., 31 janvier 2012, arrêt n° 74351.
[5]Voy. l’article 4, § 5, de la directive 2011/95/UE (directive « qualification »), J.O., L 337, 20 décembre 2011, p. 9, transposée dans le loi belge par l’art. 57/7ter de la loi du 15 décembre 1980, M.B., 31 décembre 1980, p. 14584.
[6] « Aussi, bien que la charge de la preuve incombe en principe au demandeur, la tâche d'établir et d'évaluer tous les faits pertinents sera-t-elle menée conjointement par le demandeur et l'examinateur. Dans certains cas, il appartiendra même à l'examinateur d'utiliser tous les moyens dont il dispose pour réunir les preuves nécessaires à l'appui de la demande », H.C.R., Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/1P/4/FRE/REV.1, UNHCR 1979 Réédité, Genève, janvier 1992, § 196.
[7] Voy. par ex. C.C.E., 9 août 2012, arrêt n° 85798.