Exclusion : qui a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ?
Pour exclure un demandeur d’asile sur la base de l’article 1 F(a) de la Convention de Genève de 1951, il doit exister des raisons sérieuses de penser que le requérant a volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes visés ou au dessein criminel d’une organisation.
Art. 1 F(a) – Convention de Genève de 1951 – Exclusion – Complicité – Limite de la notion – Contribution volontaire, significative et consciente exigée.
A. Arrêt
La Cour suprême du Canada s’est prononcée sur les limites du concept de « commission », de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité justifiant l’exclusion du statut de réfugié sur pied de l’article 1 F(a) de la Convention de Genève de 1951. La question posée consistait à savoir si un haut fonctionnaire du gouvernement de République démocratique du Congo pouvait être exclu du statut de réfugié parce qu’il a exercé ses fonctions pour le compte d’un gouvernement qui s’est livré à des crimes internationaux. La Cour a pris en compte différents éléments et poursuivi l’harmonisation du droit canadien avec le droit pénal international, les visées humanitaires de la Convention relative aux réfugiés et les principes fondamentaux du droit pénal.
Selon l’article 1 F(a) de la Convention de Genève : « Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ».
Tout en contrôlant la décision d’exclusion prise par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et en la renvoyant pour examen plus approfondi, la Cour d’appel fédérale du Canada avait estimé que « le haut fonctionnaire qui demeure en poste sans protester et qui continue à défendre les intérêts de son gouvernement alors qu’il a connaissance des crimes commis par son gouvernement, peut de ce fait participer personnellement et consciemment à ces crimes et s’en rendre complice ». La Cour suprême, accueillant le pourvoi, va rejeter ce critère de complicité par association ou par acquiescement passif retenu par la Cour d’appel. Au critère de la « participation personnelle et consciente » jugé par la Cour suprême « parfois indûment assoupli », elle préfère le critère de la « contribution à la fois volontaire, consciente et significative », soit en droit pénal anglo-saxon, « l’actus reus et la mens rea ».
Conformément à l’article 1 F(a) de la Convention, la Cour s’est fondée sur les instruments internationaux afin de définir les modes de commission justifiant une exclusion sur la base de l’article 1 F(a)[1]. Elle a ainsi utilisé le Statut de Rome de la C.P.I., plus particulièrement ses articles 25 et 30, ainsi que la jurisprudence des tribunaux pénaux ad hoc[2].
La Cour a conclu qu’une personne n’est pas tenue responsable du crime commis par un groupe seulement parce qu’elle est associée à ce groupe ou qu’elle a passivement acquiescé à son dessein criminel. Elle a considéré que pour exclure un demandeur d’asile sur la base de l’article 1 F(a) de la Convention, il doit exister des raisons sérieuses de penser qu’il a volontairement contribué de manière significative et consciente aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation[3]. Une brève approche en droit comparé de la question a confirmé cette solution[4].
La Cour a ensuite listé plusieurs éléments, non cumulatifs, pouvant être pris en considération dans l’examen du niveau de complicité : (i) la taille et la nature de l’organisation ; (ii) la section de l’organisation à laquelle le demandeur d’asile était le plus directement associé ; (iii) les fonctions et les activités du demandeur d’asile au sein de l’organisation ; (iv) le poste ou le grade du demandeur d’asile au sein de l’organisation ; (v) la durée de l’appartenance du demandeur d’asile à l’organisation (surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel) ; (vi) le mode de recrutement du demandeur d’asile et la possibilité qu’il a eue ou non de quitter l’organisation[5]. Malgré la prise en compte de ces considérations, la Cour a rappelé que « l’analyse doit toujours s’attacher en priorité à la contribution de l’individu au crime ou au dessein criminel »[6], précisant que « Dès lors, l’examen […] devra nécessairement être particulièrement contextuel […] dans le but principal de déterminer s’il y a eu une contribution à la fois volontaire, significative et consciente à un crime ou à un dessein criminel ».
S’agissant du niveau de preuve requis par l’expression « des raisons sérieuses de penser », la Cour adopte une position intermédiaire entre le niveau élevé de l’exclusion de tout doute raisonnable en droit pénal et le niveau léger de la prépondérance de probabilité en droit civil[7].
B. Éclairage
La conclusion de la Cour selon laquelle la seule qualité de fonctionnaire au sein d’un gouvernement responsable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre ne suffit pas en soi à fonder une exclusion rappelle celle retenue dans l’affaire B. et D. de la C.J.U.E. où il avait été considéré que la seule circonstance que la personne concernée ait appartenu à une organisation terroriste ne saurait avoir comme conséquence automatique qu’elle doive être exclue du statut de réfugié[8].
Pour ce qui concerne les modes de participation aux crimes fondant l’exclusion, la directive 2004/83/CE précise qu’elle vise les personnes qui sont les instigatrices des crimes ou des actes concernés, « ou qui y participent de quelque autre manière »[9]. Tant les auteurs principaux que les complices des agissements semblent donc visés par la disposition. À la différence de la Cour suprême, la C.J.U.E. ne s’est pas explicitement fondée sur le Statut de Rome ou sur la jurisprudence des tribunaux pénaux ad hoc pour établir les modes de commission possible d’un crime justifiant l’exclusion. Elle ne l’a pas non plus rejeté. Cette référence au statut de Rome ne serait pas dénuée d’intérêt dès lors qu’il s’agit à la fois d’une source récente (1998) et largement reconnue (122 États sont membres de la C.P.I., dont l’ensemble des États de l’U.E.[10]). Plusieurs jurisprudences nationales s’y sont d’ailleurs déjà référées en matière d’exclusion[11]. Il y a lieu toutefois de souligner que la Cour suprême du Canada a, dans cet arrêt Ezokola, limité son examen de la complicité aux modes de commission les plus généraux que reconnaît actuellement le droit pénal international, à savoir le fait d’agir de concert dans un dessein commun suivant l’article 25(3)(d) du Statut de Rome et l’entreprise criminelle commune issue de la jurisprudence des tribunaux pénaux ad hoc[12]. En outre, au sein même de la C.P.I., les limites de la notion de commission visée à l’article 25(3)-(d) sont encore débattues[13].
À l’instar de la Cour suprême canadienne, la C.J.U.E. a précisé plusieurs éléments à prendre en considération dans l’examen du mode de participation : le rôle qu’a effectivement joué la personne concernée dans la perpétration des actes en question, sa position au sein de l’organisation, le degré de connaissance qu’elle avait ou était censée avoir des activités de celle-ci, les éventuelles pressions auxquelles elle aurait été soumise ou d’autres facteurs susceptibles d’influencer son comportement[14]. Toutefois, pour éviter des interprétations trop souples et, partant, des exclusions trop rapides, la Cour suprême du Canada préfère remplacer la notion de « participation personnelle et consciente » par une notion plus stricte de « contribution volontaire, consciente et significative ». Si l’intention de commettre l’acte criminel est commune aux deux approches (le qualificatif « consciente »), la commission effective de l’acte de culpabilité (actus reus) est un critère exprimé plus clairement dans la deuxième approche (le nom « contribution » et le qualificatif « significative »). Cette évolution peut être approuvée même s’il n’est pas nécessaire de modifier les mots utilisés dans la jurisprudence en Europe continentale pour importer ceux du droit pénal de common law. On en retiendra une volonté commune aux deux juridictions d’asseoir une interprétation stricte de la clause d’exclusion qui doit demeurer l’exception, le principe de la Convention de Genève étant l’inclusion au sein du statut de réfugié.
J.-Y.C. & P.dH.
C. Pour en savoir plus
Pour consulter l’arrêt : Cour suprême (Canada), Ezokola c. Canada, arrêt 2013 CSC 40, 19 juillet 2013.
- Doctrine
Alland, D., et Teitgen-Colly, C., Traité du droit de l’asile, Paris, Puf, 2002, pp. 515-537.
Goodwin-Gill, G. S., et McAdam, J., The Refugee in International Law, 3e édition, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp. 162-191.
Kälin, W., et Zard, M., « Exclusion from Protection », I.J.R.L., 2000, vol. 12.
Kaushal, A., et Dauvergne, C., « The Growing Culture of Exclusion: Trends in Canadian Refugee Exclusions », I.J.R.L., 2011, vol. 23 (cité dans la décision).
Tulkens, F., L’actus reus en droit pénal anglo-américain, Bruxelles, Bruylant, 1976.
U.N.H.C.R., Guidelines on international protection: Application of the Exclusion Clauses: Article 1F of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees, HCR/GIP/03/05, 4 sept. 2003 (citées dans la décision).
Zimmermann, A., et Wennholz, P., « Article 1 F (Definition of the Term "Refugee"/Définition du Terme "Réfugié”) », in A. Zimmermann (dir.), The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a Commentary, Oxford, Oxford University Press, 2012, pp. 579-610.
À la suite d'importantes recherches et d'un colloque, une publication dirigée par Vincent Chetail et Caroline Laly-Chevalier, consacrée à l'extradition et aux clauses d'exclusion paraîtra fin 2013 aux éditions Bruylant.
- Jurisprudence
C.J.U.E., 9 novembre 2010, B. et D. c. Allemagne, C-57/09 et C-101/09, Rec. C.J.U.E., p. I-10979.
Pour citer cette note : J.-Y. Carlier et P. d’Huart, « Exclusion : qui a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité ? », Newsletter EDEM, juillet-août 2013.
[2] Ibid., §§ 48 à 51.
[3] Ibid., § 84.
[4] Ibid., § 77.
[5] Ibid., § 91, avec des précisions pour chaque critère aux §§ 94 à 99.
[6] Ibid., § 92.
[7] Ibid., § 101.
[8] C.J.U.E., 9 novembre 2010, B. et D. c. Allemagne, C-57/09 et C-101/09, Rec. C.J.U.E. p. I-10979, § 88.
[9] Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d'autres raisons, ont besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, J.O., L304/12, 30 septembre 2004, article 12, paragraphe 3. Cette disposition n’est pas modifiée dans la directive qualification refonte qui doit être transposée pour le 31 décembre 2013 (Directive 2011/95, du 13 décembre 2011, J.O., L337 du 20 décembre 2011, p. 9).
[10] Voy. www.icc-cpi.int.
[11] Supreme Court (Royaume-Uni), R (on the application of JS) (Sri Lanka) (Respondent) v. Secretary of State for the Home Department (Appellant), [2010] UKSC 15, 17 mars 2010, § 109 ; Cour administrative fédérale (Allemagne), BVerwG 10 C 24.08, 24 novembre 2009, § 46 ; Cour administrative fédérale (Allemagne), BVerwG 10 C 7.09, 16 février 2010, § 41 ; Supreme Court (Nouvelle-Zélande), The Attorney-General (Minister Of Immigration) v Tamil X and Refugee Status Appeals Authority, [2010] NZSC 107, 27 août 2010, § 53.
[12] C.S. Canada, Ezokola, op.cit. § 52.
[13] C.P.I. (Chambre II), Décision relative à la transmission d'éléments juridiques et factuels complémentaires (norme 55-2 et 3 du Règlement de la Cour), Affaire le Procureur c. Germain Katanga, ICC-01/04-01/07, 15 mai 2013, § 16 ; C.P.I. (Chambre II), Décision relative à la transmission d'éléments juridiques et factuels complémentaires (norme 55-2 et 3 du Règlement de la Cour) - Opinion dissidente de la juge Christine Van den Wyngaert, Affaire le Procureur c. Germain Katanga, ICC-01/04-01/07, 20 mai 2013, § 35.
[14] C.J.U.E., 9 novembre 2010, B. et D. c. Allemagne, C-57/09 et C-101/09, Rec. C.J.U.E. p. I-10979, § 97.