L’accord EU-Turquie est étranger à l’Union européenne
Le Tribunal de l’UE se déclare incompétent pour connaître des recours de trois demandeurs d’asile à l’encontre de la déclaration UE-Turquie tendant à résoudre la crise migratoire au motif qu’il a été négocié et conclu par les représentants des États membres, agissant en leur qualité de chefs d’État ou de gouvernement, et non en tant que membres du Conseil européen. Cet accord, peu importe sa nature, n’est donc pas un acte d’une institution européenne. Ce faisant, la compétence du Tribunal n’est pas fondée au regard de l’article 263 du TFUE.
Accord EU-Turquie – Chefs d’État ou de gouvernement – Conseil européen – Accord Intergouvernemental – Incompétence du Tribunal de l’Union européenne.
Ce 28 février, le Tribunal de l’Union européenne s’est déclaré incompétent pour connaître des recours introduits séparément par trois demandeurs d’asile à l’encontre de la « déclaration » conclue entre les dirigeants européens et la Turquie au plus fort de la crise migratoire. Les trois recours demandaient l’annulation de cette déclaration au motif qu’il s’agit là d’un accord international conclu par le Conseil européen avec la Turquie. Cette déclaration étant, d’après les requérants, un acte du Conseil européen, la légalité de cet accord était remise en cause pour non-respect des règles de procédures contenues dans les Traités européens. Si le TFUE prévoit effectivement que l’Union peut, dans certaines matières, conclure un accord avec un pays tiers, la négociation et la conclusion d’un tel accord est soumis au respect de la procédure énoncée à l’article 218 du Traité.
Dans les ordonnances adoptées le 28 février, le Tribunal rejette les recours en raison de l’exception d’incompétence soulevée par le Conseil européen en tant que défendeur à la cause. Le Tribunal considère, en effet, que ce n’est pas l’Union mais ses États membres qui ont mené les négociations et conclu l’accord avec la Turquie. En vertu de l’article 263 du TFEU, la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne porte uniquement sur le contrôle de légalité des actes adoptés par une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne, et non sur un accord international conclu par les États Membres. Le Tribunal estime que, indépendamment de la nature de l’acte adopté le 18 mars 2016, celui-ci ne peut être considéré comme un acte adopté par le Conseil européen, ni par une autre institution européenne. En d’autres termes, les États Membres de l’Union européenne ont agi collectivement sans pour autant que l’Union elle-même ne soit engagée.
Au-delà de la nature de l’acte en cause, dont il a déjà été démontré, notamment par Olivier Corten et Marianne Dony, qu’au regard du droit international public, la « déclaration » peut être qualifiée de traité, source d’obligations juridiquement contraignantes, il est nécessaire de déterminer quelles sont les parties contractantes à cet accord, soit les membres du Conseil européen, soit les chefs d’État ou de gouvernement des États Membres agissant en tant que tels.
Ainsi que l’affirme le Tribunal, la détermination des parties contractantes et de la qualité en vertu de laquelle ils se sont engagés doit se faire au regard du contenu de l’acte et de l’ensemble des circonstances entourant l’adoption de celui-ci. Contrairement à la décision du Tribunal, différents indices laissent supposer que l’acte a été conclu par le Conseil européen et avait pour but d’engager l’Union elle-même. Dans ce cas, la procédure prévue par le droit primaire européen n’a visiblement pas été respectée et sans doute les dirigeants européens, dans un souci de rapidité, espéraient-ils échapper aux contraintes de l’article 218 TFUE.
En tout état de cause, il faut souligner qu’en vertu de la Convention de Vienne de 1986 sur le droit des traités, la violation des règles internes à une organisation n’affecte, en principe, pas la validité de l’acte conclu sur le plan du droit international. La validité de l’acte en droit européen doit donc être distinguée de celle au regard du droit international.
Par ailleurs, admettons, comme le fait le Tribunal, que l’accord ait été conclu par les chefs d’État ou de gouvernement, la validité de l’accord peut être mise en cause pour non-respect, non pas de règles de procédures européennes, mais nationales et des exigences constitutionnelles propres à chaque État. La Constitution belge prévoit, par exemple, que si le Roi conclut les traités, ceux-ci n’ont d’effet qu’après avoir reçu l’assentiment de la Chambre des représentants. En l’espèce, une loi d’assentiment n’ayant pas été adoptée, l’accord avec la Turquie n’aurait pas d’effet en droit belge.
La décision du Tribunal mérite sans aucun doute de plus longs développements car elle pose question sur le plan non seulement juridique, comme nous venons de le souligner, mais également institutionnel. La décision du Tribunal laisse effectivement sous-entendre que c’est bien la logique intergouvernementale qui resurgit face à l’effritement du régime d’asile européen commun. Faute de temps, ce commentaire n’est qu’une ébauche d’un article plus détaillé qui sera publié dans la newsletter du mois de mars.
J.-B.F.
Pour en savoir plus :
- O. Corten et M. Dony, « Accord politique ou juridique : Quelle est la nature du “machin” conclu entre l’UE et la Turquie en matière d’asile? », EU Migration Law Blog, 10 juin 2016.
- J.-B. Farcy, « EUTurkey agreement : solving the EU asylum crisis or creating a new Calais in Bodrum ? », EU Migration Law Blog, 7 décembre 2015.
Pour citer cette note : J.-B. Farcy, « L’accord EU-Turquie est étranger à l’Union européenne », Newsletter EDEM, février 2017.