Cour Trav. Liège, (13ème ch.), 21 février 2014, R.G. n° 2014/CN/1

Familles avec enfants mineurs en séjour illégal : La continuité de l’aide matérielle ne peut souffrir d’aucune interruption.

Selon la Cour, la désignation d’un centre de retour comme centre d’accueil ne parait pas en soi illégale, et ne crée pas l’obligation pour FEDASIL de designer un autre type de centre. Cependant, la continuité de l’aide matérielle de la famille ne peut souffrir d’aucune interruption jusqu’à l’expulsion du territoire ou jusqu’à l’obtention d’une autorisation ou d’un permis de séjour. Tel est le cas, tant qu’ils n’obtempèrent pas à l’ordre de quitter le territoire, de gré ou de force.

Art. 3, 13, CEDH – Art. 6, 37, 54, 60, 62, Loi du 12 janvier 2007 – Art. 57, Loi du 8 juillet 1976 – Art. 4 A.R. du 24 juin 2004 – Famille en séjour illégal avec enfant mineur – Fin de l’hébergement dans un centre FEDASIL – Désignation vers un centre ouvert de retour géré par l’O.E. – Intérêt supérieur de l’enfant – Fin de l’obligation d’accueil – Principe de continuité de l’accueil.

A. Arrêt

Cette ordonnance concerne une famille kosovare en séjour illégal avec enfants mineurs. La famille avait introduit une série des demandes d’asile ; les dernières d’entre elles n’ont pas été prises en considération par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après C.G.R.A.). En août 2013, la famille a été prise en charge par le centre d’accueil de Pondrôme, en principe pour un mois, mais le séjour dans le centre a été prolongé. En octobre 2013, une dernière demande a été introduite, à l’égard de laquelle le C.G.R.A. a pris une décision de refus de prise en considération en novembre 2013 (procédure pays d’origine sûrs). Un ordre de quitter le territoire (ci-après O.Q.T.), exécutable dans les sept jours, leur a été notifié le 22 novembre 2013. Ils ont ensuite introduit un recours en suspension et annulation non-suspensif devant le Conseil du Contentieux des étrangers (ci-après C.C.E.).

Début janvier 2014, la famille a introduit une demande auprès du C.P.A.S. afin d’obtenir la désignation par FEDASIL d’un centre d’accueil du fait de la présence d’enfants mineurs. La famille est restée hébergée dans le centre de Pondrôme jusqu’au 13 janvier 2014, date à laquelle elle a été expulsée du centre ou à tout le moins l’a quitté sous la menace d’une expulsion. Le 14 janvier, elle a été convoquée au dispatching de FEDASIL ; dans l’annexe de la décision de FEDASIL il a été précisé que l’aide matérielle est uniquement offerte dans un centre de retour géré par l’Office des Étrangers (O.E.). Le 24 janvier 2014, la famille a été prise en charge par FEDASIL dans le centre ouvert de retour de Holsbeek. 

Par citation du 16 janvier, la famille a entendu obtenir la condamnation de FEDASIL à les réintégrer au centre d’accueil de Pondrôme, sous peine d’astreinte. A ce stade-là, ils n’avaient  pas été informés que le centre de retour d’Holsbeek leur avait été attribué. Cette demande a été déclarée non-fondée par la présidente du Tribunal dès lors que FEDASIL avait invité la famille à se présenter au dispatching afin de se voir designer un centre de retour alors qu’ils étaient sans domicile, ni résidence. La famille fait appel de la décision, contestant la désignation du centre de retour de Holsbeek. Ils avancent que, selon les dispositions de la loi, ils ont droit à être hébergés dans une structure d’accueil. L’aide accordée ne correspondrait pas aux besoins de la famille qui ne connaît pas la langue néérlandaise et cela serait préjudiciable à l’intérêt de l’enfant. Ils invoquent également que la décision n’a pas été motivée pour justifier un changement de centre et que l’urgence est établie, l’hébergement n’étant prévu que pour un mois. Enfin, ils font valoir leur droit à un recours effectif contre la décision du C.G.R.A., vu le caractère temporaire de leur accueil.

La Cour observe que l’aide matérielle est une forme encadrée et limitée d’aide sociale mise à charge de FEDASIL. L’agence est donc soumise à la Charte de l’assuré social. Il en découle, que l’agence doit motiver ses décisions. L’aide matérielle peut être accordée dans un centre fédéral d’accueil comme dans tout autre centre géré par FEDASIL ou un de ses partenaires, en ce compris l’O.E., si une convention est passée avec cet Office. Pour arriver dans cette conclusion, la Cour raisonne comme suit : même si l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 ne confiait cette tâche qu’à un centre fédéral d’accueil, la loi accueil [loi du 12 janvier 2007], déroge à cette loi antérieure[1], en permettant à une telle autorité de remplir cette mission. Néanmoins, la Cour précise que le délai d’un mois, communiqué à la famille et indiqué dans la convention entre FEDASIL et l’O.E., ne peut concerner que l’aide matérielle que s’engage à fournir le centre ouvert. Le délai ne concerne pas l’aide matérielle à laquelle continue à avoir droit la famille tant qu’elle séjourne en Belgique. La Cour souligne ensuite que « [l]a continuité de l’aide matérielle ne peut en effet souffrir d’aucune interruption jusqu’à l’expulsion du territoire ou jusqu’à l’obtention d’une autorisation ou d’un permis de séjour ».

En espèce, la Cour reconnaît l’urgence lorsqu’il existe une menace d’expulsion du centre avec le risque pour la famille de se retrouver à la rue, vu que l’aide est temporaire et que le délai de trente jours était en train d’expirer[2]. En ce qui concerne la motivation de l’arrêt du 14 janvier qui invitait les appelants à se rendre au dispatching, la Cour considère qu’elle est « insuffisamment motivée ». Elle rappelle que, selon sa jurisprudence[3], il ne suffit pas d’informer les appelants de la possibilité d’introduire un recours, il faut en sus que la décision soit motivée et que ses destinataires puissent en comprendre le sens et les raisons. La deuxième décision du 24 janvier, qui désigne le centre de Holsbeek, prévoit l’octroi de l’aide matérielle complète, mais ne précise pas les raisons pour lesquelles il n’est pas fait droit à la demande de séjour dans le centre d’accueil de Pondrôme plutôt que dans un centre de retour.

Par la suite, la Cour examine si les appelants peuvent exiger, au stade du référé, d’obtenir leur réintégration dans le centre qu’ils ont quitté, de gré ou de force. La Cour note qu’une distinction doit être établie entre des primo-arrivants ou des personnes séjournant en dehors d’un centre et les personnes qui sont déjà hébergées, mais qui doivent être transférées d’un centre à l’autre alors qu’ils souhaitent y rester. Selon la Cour, dans le second cas, FEDASIL doit tenir compte des particularités de la famille (scolarité, soins médicaux, connaissance des langues), particularités bien connues de leur service ainsi que motiver sa décision, surtout lorsqu’elle accorde pour la première fois l’aide matérielle à une famille avec enfants mineurs, famille qui précédemment était hébergée dans le cadre d’une demande d’asile. Par contre, à l’égard des personnes qui ne sont pas encore ou ne sont plus hébergées dans un centre, la justification ne s’impose pas, sauf si FEDASIL a connaissance des particularités (médicales notamment) qui justifient d’apporter une réponse spécifique à un besoin légitime que la décision de la désignation doit, par conséquent, rencontrer.

Partant, la Cour observe que la famille ne séjournait plus dans un centre lorsque le centre de retour de Holsbeek leur a été attribué. La non-prise en considération pour cause de défaut de motivation de la décision qui désignait le centre de retour de Holsbeek ne peut donc pas avoir pour effet de permettre aux appelants de réintégrer le centre qu’ils avaient déjà quitté. La Cour ajoute que les arguments des appelants relatifs au suivi scolaire des enfants doivent être abordés devant le juge du fond. En tout cas, elle note que le très bas âge des enfants (nés en 2011 et 2012) fait qu’un changement d’établissement, même en cours d’année scolaire, n’est pas susceptible de nuire gravement à leur intérêt supérieur.

Enfin, la Cour souligne que le droit à un recours effectif doit être garanti, mais que cela n’incombe pas à FEDASIL, une agence qui doit assurer l’aide matérielle. Partant, la Cour conclut qu’elle ne peut pas condamner FEDASIL à les héberger tant que le C.C.E. n’aura pas statué sur leur recours. Leur droit au maintien de l’aide matérielle intégrale découle du fait qu’il s’agit d’une famille avec enfants mineurs, et ce droit persiste tant qu’ils n’obtempèrent pas à l’ordre de quitter le territoire, de gré ou de force.

B. Éclairage

Cet arrêt concerne la désignation d’un centre ouvert de retour à une famille en séjour illégal avec enfants mineurs. Pour rappel, il existe un seul centre ouvert de retour qui se trouve à Holsbeek. Ce centre est différent des « maisons de retour », également gérées par l’O.E., ainsi que des « places ouvertes de retour » qui se trouvent dans quatre centres d’accueil fédéraux gérés par FEDASIL (Jodoigne, Saint-Trond, Poelkapelle et Arendonk), où il existe également des places d’accueil classiques pour les demandeurs d’asile[4]. Les familles en séjour illégal ont droit à un accueil matériel sur la base de l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 ainsi que de l’arrêté royal du 24 juin 2004. Le 29 mars 2013, FEDASIL et l’O.E. ont signé une convention pour l’accueil de ces familles au sein d’un centre de retour ouvert[5]. Selon la note informative envoyée par FEDASIL aux C.P.A.S. en juin 2013, ces familles devaient être accueillies au sein du centre ouvert de retour de Holsbeek et devaient également suivre un trajet de retour pour une période maximale de trente jours[6]. L’instruction de FEDASIL de septembre 2013 sur le trajet de retour précise que ces familles se voient designer une « place ouverte de retour » lorsqu’aucune place en centre de retour de Holsbeek n’a pas pu leur être proposée[7].

Ces dernières évolutions attestent d’un chevauchement entre la politique d’accueil et la politique de retour au niveau national. Par ailleurs, elles ont fait l’objet d’une riche jurisprudence. Plusieurs remarques méritent d’être soulevées. Il nous semble que la plus importante, soulignée également par la Cour, est la suivante : la continuité de l’aide matérielle pour ces familles ne peut souffrir d’aucune interruption. Incontestablement, les dernières mesures sur l’aide matérielle de ce groupe sont axées sur le retour. La note informative susmentionnée de FEDASIL parle par ailleurs d’un « trajet de retour de maximum 30 jours ». Or, cette limite n’a aucune influence sur le droit à l’aide matérielle de ces familles. Cette contestation amène la Cour à prononcer que « [l]’incertitude dans laquelle sont laissées les familles avec enfant mineur ne peut pas être tolérée. La décision doit clairement indiquer les diverses éventualités en ce compris lorsqu’il ne s’agit pas de celle concernant le retour au pays ». D’autres juridictions nationales raisonnent pareillement ; par exemple le Tribunal du travail de Bruxelles a clarifié que le droit à l’aide matérielle des familles « [n]’est pas soumis à une limite dans le temps et ne dépend pas de l’acceptation ou non de la mise en place d’un trajet de retour »[8].

En outre la jurisprudence, y compris la Cour dans son présent arrêt, a constaté à plusieurs reprises que les décisions de FEDASIL désignant le centre de retour de Holsbeek comme seul centre où l’aide matérielle sera accessible sont insuffisamment motivées. En réalité, un transfert a une incidence sur la situation des enfants et, par conséquent, les décisions doivent démontrer que l’intérêt supérieur de l’enfant a été pris en considération. Même si, en l’espèce, la Cour a noté que le transfert n’a pas nui gravement à l’intérêt supérieur des enfants en raison de leur bas âge, d’autres situations factuelles ont conduit les juridictions à suspendre les transferts[9] ou à condamner FEDASIL à réintégrer les familles dans le centre d’accueil ou elles étaient hébergées durant l’examen de leur procédure d’asile (ou dans un autre centre d’accueil dans la même région linguistique)[10]. Dans la plupart des cas, il s’agit du besoin de poursuivre des soins médicaux appropriés ou la scolarité des enfants qui ont suivi leurs études dans une langue particulière. En conclusion, la totalité de la jurisprudence atteste que, même si les familles avec enfants mineurs ne peuvent pas prétendre à un droit « acquis » de séjourner dans un centre spécifique, FEDASIL doit motiver toute décision de transfert en tenant compte des éléments propres à chaque dossier, et en particulier l’intérêt supérieur de l’enfant. La désignation du centre de retour de Holsbeek pour ce public ne peut donc pas être effectuée d’une manière automatique. 

Finalement, la légalité même de la désignation du centre de retour de Holsbeek comme centre d’accueil est contestable et contestée par une partie de la jurisprudence. En l’espèce, la Cour conclut que cette désignation ne parait pas en soi illégale puisque la loi accueil déroge à la loi antérieure du C.P.A.S., et permet à FEDASIL de confier à l’O.E. la tâche de fournir l’aide matérielle à ce groupe[11]. Néanmoins, la Cour observe également qu’ « [o]n peut regretter que l’Office des étrangers ait ainsi accepté de jouer sur deux tableaux antinomiques rendant sa mission de délivrance de l’aide matérielle peu crédible aux yeux des destinataires […] » et ajoute que « [l]a dénomination et donc sa mission première sèment le doute dans l’esprit des bénéficiaires ». Le Tribunal du travail de Bruxelles partage cette interprétation[12].

D’autres juridictions ont posé des questions sur la légalité même de ce centre. La Cour du travail de Mons, dans un arrêt où elle a demandé la réintégration d’une famille à leur centre antérieur (ou dans un centre d’accueil de la région francophone) sur la base de l’intérêt supérieur de l’enfant et du principe de la dignité humaine, a aussi noté qu’ « [i]l est plaidé et il n’est pas démenti en fait que dans ce centre d’accueil dit « de retour » dont ni l’existence, ni l’organisation ne sont prévus par la loi […] »[13]. En outre, le Arbeidsrechtbank Brugge s’interroge sur la légalité de contrat entre FEDASIL et l’O.E. avec l’article 62 de la loi accueil sur la base des arguments venant du texte de l’article 60 de la loi accueil et l’article 57, § 2, de la loi C.P.A.S. qui visent un « centre fédéral d’accueil » ainsi que sur la finalité des dispositions et la volonté du législateur[14] .

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cour Trav. Liège, (13e ch.), 21 février 2014, R.G. n° 2014/CN/1.

Jurisprudence

- Cour Trav. Liège, sect. Namur, (13e ch.), 19 août 2013, R.G. n° 2013/BN/1.

-Cour Trav. Mons (réf.), (1re ch.), 23 septembre 2013, R.G. n° 2013/ΚΜ/1.

- Arbrb. Brugge (7° K.), 19 février 2014, A.R. n° 13/1179/A.

- Trib. Trav. Bruxelles, (12e ch.), 3 mars 2014, R.G. n° 12/14864/A & 13/3.07/452.

Doctrine

- J.C. STEVENS, « Le centre de retour de Holsbeek : une légalité contestée ? », CIRE Newsletter juridique n° 53, avril 2014, pp. 4-6.

Pour citer cette note : L. TSOURDI, « Familles avec enfants mineurs en séjour illégal : La continuité de l’aide matérielle ne peut souffrir d’aucune interruption », Newsletter EDEM, mai 2014.


[1] Voy. L’article 62 de la loi du 12 janvier 2007.

[2] Voy. également Cour Trav. Liège, sect. Namur, (13e ch.), 19 août 2013, R.G. n° 2013/BN/1 ainsi que Cour Trav. Liège, (réf.), ch. de vacations), 24 août 2013, R.G. n° 2013/BL/23.

[3]Ibid.

[4] F. TOMAS, « Les places de retour et le centre de retour », CIRE Newsletter Juridique n° 52, décembre 2013, p. 4 ; voy. également, Membres du groupe de travail Détention de la Plateforme Mineurs en Exil, Évaluation des maisons de retour 2012, 2012.

[6] Ibid.

[11] Voy. infra section 1 « arrêt » pour le raisonnement juridique de la Cour.

[12] Voy. Trib. Trav. Bruxelles, (12ème ch.), 03 mars 2014, R.G. n° 12/14864/A & 13/3.07/452 ou le Tribunal conclut qu’ « [i]l ne ressort ni du texte de l’article 62 [de la loi accueil], ni de l’économie de la loi sur l’accueil que cette disposition ne pourrait trouver à s’appliquer qu’aux demandeurs d’asile et non aux mineurs et leurs familles ». 

[14] Voy. Arbrb. Brugge (7° K.), 19 février 2014, A.R. n°13/1179/A ainsi que l’analyse de J.C. STEVENS, « Le centre de retour de Holsbeek : une légalité contestée ? », CIRE Newsletter juridique n° 53, avril 2014, pp. 4-6.

Publié le 15 juin 2017