Cour eur. D.H., Mo.M. c. France, 18 avril 2013, req. n° 18372/10

Les documents officiels produits par un demandeur d’asile ne peuvent être hâtivement considérés comme non authentiques.

La Cour eur. D.H. considère que le renvoi du requérant, demandeur d’asile tchadien victime de tortures, vers son pays d’origine violerait l’article 3 CEDH. Elle critique par la même occasion l’évaluation sommaire par les autorités françaises de l’authenticité d’un document officiel produit par le demandeur d’asile.

Art. 3 CEDH. – Demandeur d’asile victime de tortures – Authenticité du document officiel produit (violation)

A. Arrêt

Le requérant invoque une violation de l’article 3 CEDH en cas d’expulsion vers son pays d’origine, le Tchad. Sa demande d’asile a été rejetée après examen par l’administration française, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides[1], dont la décision a été confirmée par le juge, la Cour nationale du droit d’asile[2]. Le Tribunal administratif[3] a en outre rejeté le recours du requérant contre la mesure d’expulsion adoptée suite au rejet de sa demande d’asile. Les autorités françaises s’accordent sur le manque de crédibilité des dires du requérant, lequel prétend être poursuivi par les autorités tchadiennes pour son soutien au mouvement rebelle du Rassemblement national démocratique populaire (R.N.D.P.) actif au Darfour.

Après avoir accordé la suspension de l’expulsion en tant que mesure provisoire, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour eur. D.H.) réunie en chambre conclut que le renvoi du requérant vers le Tchad violerait l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants.

Pour aboutir à cette conclusion, la Cour eur. D.H. commence par analyser la situation générale au Tchad, où « il apparait peu probable que le traitement réservé à ceux qui sont soupçonnés d’avoir collaboré avec les rebelles se soit adouci »[4]. Elle souligne ensuite deux éléments propres à la situation personnelle du requérant. Premièrement, des certificats médicaux attestent qu’il a subi des actes de torture. Deuxièmement, les autorités françaises n’ont pas sérieusement remis en doute l’authenticité du mandat d’amener produit par le requérant. Elles se sont contentées d’affirmer qu’il « n’existe aucune trace d’un tel mandat dans les bases de données internationales » alors que « si la diffusion internationale d’un mandat atteste de la réalité de celui-ci, sa seule absence de diffusion ne saurait suffire à établir son inexistence »[5]. La circonstance que le requérant a introduit une précédente demande d’asile sous une fausse identité n’est pas davantage « de nature à influer sur le caractère probant des documents fournis »[6].

Ces éléments, corroborés par l’engagement actuel du requérant au sein du R.N.D.P., établissent un risque réel de violation de l’article 3 CEDH en cas de retour.

B. Éclairage

L’arrêt commenté illustre le raisonnement généralement suivi par la Cour eur. D.H. pour évaluer si une mesure d’expulsion respecte ou non l’article 3 CEDH. La juridiction strasbourgeoise commence par reconnaitre qu’il « ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre évaluation des faits à celle des juridictions internes »[7] avant d’apprécier les informations relatives à la situation générale prévalant dans le pays d’origine, d’une part, et les éléments de preuve apportés par le requérant pour corroborer ses « allégations spécifiques », d’autre part.

La Cour eur. D.H. critique l’appréciation de ces éléments de preuves par les autorités françaises. A la suite d’une « motivation très succincte »[8], elles ont hâtivement considéré comme non authentique le mandat d’amener produit par le requérant. La circonstance que le requérant a introduit une demande d’asile antérieure sous une fausse identité ne dispense pas les autorités de vérifier l’authenticité des documents apportés.

L’évaluation du risque de violation de l’article 3 CEDH en cas de retour se réalisant par la Cour eur. D.H. au moment où elle statue, deux documents dont ne disposaient pas les autorités françaises ont pesé en faveur du requérant[9]. En outre, le profil vulnérable du demandeur, victime de tortures, a sans doute fortement pesé dans le raisonnement strasbourgeois. Ces circonstances propres au cas d’espèce n’occultent cependant pas l’éclairage apporté quant à l’évaluation de l’authenticité des documents produits par un demandeur d’asile. La Cour eur. D.H. insiste sur la nécessité de ne pas les écarter sans vérifications approfondies.

Cet enseignement rejoint celui formulé sous l’angle du droit à un recours effectif dans l’arrêt Singh c. Belgique. En l’espèce, la Cour eur. D.H. avait considéré qu’ « écarter des documents, qui étaient au cœur de la demande de protection, en les jugeant non probants, sans vérifier préalablement leur authenticité, alors qu’il eut été aisé de le faire auprès du H.C.R., ne peut être considéré comme un examen attentif et rigoureux »[10].

En Belgique, la marge de manœuvre reconnue par une jurisprudence constante aux autorités nationales dans l’appréciation de l’authenticité des documents produits[11] doit désormais compter avec un contrôle européen. Une obligation de motivation accrue pèse sur les autorités lorsqu’elles considèrent un document produit par un demandeur d’asile comme non authentique.

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cour eur. D.H., 18 avril 2013, Mo.M. c. France, req. n° 18372/10.

Pour citer cette note : L. Leboeuf, « Les documents officiels produits par un demandeur d’asile ne peuvent être hâtivement considérés comme non authentiques », Newsletter EDEM, avril 2013.


[1] O.F.P.R.A., équivalent du C.G.R.A.

[2] C.N.D.A., équivalent du C.C.E. statuant en plein contentieux.

[3] Équivalent du C.C.E. statuant en annulation sur l’ordre de quitter le territoire.

[5] Ibid., § 41.

[6] Ibid.

[7] Ibid., § 35.

[8] Ibid., § 41.

[9] À savoir : un certificat médical issu par un docteur spécialiste des questions tchadiennes qui confirme le constat d’un certificat antérieur selon lesquels le requérant a été victime de torture ; une attestation du RNDP selon laquelle le requérant milite actuellement au sein de ses rangs (ibid., § 26).

Publié le 20 juin 2017