Cour eur. D.H., Firoz Muneer c. Belgique, 11 avril 2013, req. n° 56005/10

Une jurisprudence établie de la Cour de cassation suffit pour respecter le principe de légalité (art. 5, § 1, C.E.D.H.) et 4 mois de détention sans décision définitive sur les recours introduits violent l’exigence de statuer à bref délai (art. 5, § 4, C.E.D.H.)

Une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation suffit à établir la légalité (5, § 1, CEDH) du caractère suspensif d’un recours en cassation introduit par l’État, même si celui-ci n’est pas explicitement prévu par la loi. Une détention aux fins d’éloignement de quatre mois sans pouvoir obtenir de décision définitive sur les recours introduits viole le droit à une décision à bref délai prévu à l’article. 5, § 4, CEDH.

L. 15/12/1980 (art. 29, § 2) - Éloignement – Détention – Recours en cassation – Effet suspensif – Pprévu par J.P. cass. – Légalité – Art. 5, § 1, CEDH (conforme) – Recours - 4 mois sans décision définitive – Droit à une décision à bref délai – Art. 5, § 4, CEDH (violation)

A. Arrêt

Le requérant est un ressortissant afghan né en 1983, dépourvu de documents d’identité. Il introduit une demande d’asile en Belgique le 29 juin 2009. Le 21 janvier 2010, l’Office des étrangers prend une décision de refus de séjour avec O.Q.T., au motif que la Belgique n’est pas responsable de l’examen de la demande d’asile en application du règlement Dublin, car il est passé par la Grèce. Le requérant est placé en détention le même jour. À la suite de son refus d’embarquer pour Athènes, le requérant fait l’objet d’une mesure de réécrou en vertu de l’article 27, §§ 1 et 3, de la loi du 15 décembre 1980. Saisie d’un recours, la chambre du Conseil ordonne la mise en liberté immédiate du requérant, décision confirmée par la Chambre des mises en accusation le 17 février 2010. Le requérant est maintenu en détention à la suite du pourvoi en cassation formé par l’État contre cet arrêt. La Cour de cassation casse l’arrêt de la Chambre des mises en accusation et celle-ci, autrement composée, considère que, du fait de la prolongation de la mesure de détention sur base de l’article 29, § 2, prise par l’O.E., le recours contre la privation de liberté n’a plus d’objet. Le requérant introduit une seconde requête de mise en liberté contre la prolongation décidée par l’O.E. Il est débouté par la chambre du conseil, mais cette ordonnance est réformée par la chambre des mises en accusation qui ordonne à nouveau sa mise en liberté. Il est toutefois à nouveau maintenu en détention suite à un nouveau pourvoi en cassation formé par l’État contre cet arrêt. Finalement, il est mis en liberté le 26 mai 2010 à l’expiration du délai légal de deux mois, avant que la Cour de cassation se prononce.

Le requérant a allégué que son maintien en détention après l’arrêt du 17 février 2010 de la chambre des mises en accusation n’avait pas respecté les voies légales, car il reposait sur une jurisprudence de la Cour de cassation qui ne peut être considérée comme une « loi » présentant les garanties de qualité et de prévisibilité exigées par l’article 5, § 1, CEDH. Cette jurisprudence de la Cour de cassation clarifiait la législation en affirmant le caractère suspensif du pourvoi en cassation introduit par l’État contre un arrêt de la chambre des mises en accusation ordonnant la libération de l’étranger détenu. La Cour eur. D.H. a considéré que cette jurisprudence bien établie de la Cour de cassation[1] était suffisamment précise pour permettre au requérant – en s’entourant au besoin de conseils éclairés de son avocat – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, la possibilité pour l’État de former un pourvoi contre l’arrêt du 17 février 2010 de la chambre des mises en accusation et les conséquences de ce recours, notamment son caractère suspensif. La Cour a donc estimé que le critère de « légalité » fixé par la Convention était satisfait en l’espèce.

Le requérant s’est également plaint de ce que les recours qu’il a utilisés n’ont pas permis à un juge de statuer à bref délai sur sa détention et n’étaient pas effectifs, en violation des articles 5, § 4, et 13, de la Convention. La Cour a constaté que le requérant avait été privé de sa liberté à partir du 29 janvier 2010 pendant près de quatre mois et qu’il n’avait pas pu obtenir de décision finale sur la légalité de sa détention, alors qu’il avait entamé à deux reprises une procédure en vue de sa mise en liberté, que les dernières décisions juridictionnelles sur le bien-fondé des requêtes de mise en liberté, rendues par la chambre des mises en accusation, étaient chaque fois favorables au requérant, et que ces décisions n’ont pas été cassées par la Cour de cassation pour des motifs tenant à leur justification légale. La Cour a estimé qu’il y a bien eu violation de l’article 5, § 4, de la Convention, dès lors que le requérant n’a pas pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention était jugée illégale.

B. Éclairage

La Cour sanctionne l’enchaînement de titres nouveaux sur lesquels les juridictions n’ont pas le temps de se prononcer, enchaînement qui conduit à une absence de contrôle. En l’espèce, cet enchainement ne viole toutefois pas seulement la CEDH, mais également le droit belge. Ainsi que l’a pertinemment relevé la Cour[2], une prolongation d’une mesure de détention ne constitue pas un titre autonome de privation de liberté[3]. Dès lors, lorsqu’après la cassation, l’affaire est retournée devant la chambre des mises en accusation autrement composée, celle-ci ne pouvait normalement pas déclarer le recours sans objet sous prétexte que la prolongation prise sur pied de l’article 29, § 2, constituait un titre autonome de privation de liberté et que c’est à l’encontre de celui-ci que le recours devait être dirigé. La Chambre aurait dû par conséquent examiner le recours et permettre ainsi une décision définitive dans un bref délai.

Cela signifie-t-il que le droit belge bien appliqué est normalement conforme avec cet enseignement de la Cour ? Pas nécessairement. Lorsqu’un étranger est détenu aux fins d’éloignement sur base de l’article 7[4] et qu’il résiste à son éloignement, une décision de réécrou sur base de l’article 27 est généralement prise[5]. Celle-ci constitue, à la différence d’une décision de prolongation sur pied de l’article 29, § 2, un titre autonome de détention[6]. Outre les questions de conformité avec la directive 2008/115/CE que cela pose[7], cet état des choses pourrait poser deux problèmes : l’un de légalité, l’autre d’obtention d’une décision à bref délai.

Le problème de légalité se pose du fait que l’hypothèse de résistance à l’éloignement justifiant le titre autonome sur base de l’article 27 est déjà prévue à l’article 7[8]. Or, ainsi que l’a rappelé la Cour eur. D.H., le critère de légalité fixé par la Convention exige que toute loi soit suffisamment précise pour permettre au citoyen – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé[9]. Si la résistance à l’éloignement justifie autant une prolongation de la détention sur base de l’article 7[10], qu’un titre autonome de détention sur base de l’article 27, lequel initie une nouvelle période de détention de quatre mois, cette exigence de légalité ne semble pas respectée.

En outre cette succession de titres de détention pose la question de l’assurance d’une décision à bref délai (art. 5, § 4, CEDH). Il n’est pas exclu de voir un réquisitoire de réécrou pris sur base de l’article 27 avant que les voies de recours à l’encontre d’une détention sur base de l’article 7 n’aient été épuisées et, suivant en cela un schéma similaire à celui de l’arrêt Firoz Muneer, que le requérant soit finalement empêché d’obtenir à bref délai qu’un tribunal statue sur la légalité de sa détention.

Finalement, on relèvera la contradiction entre, d’une part, le rejet de la demande de suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire prononcée par le C.C.E. dans un arrêt du 28 janvier 2010, pour manque de préjudice grave difficilement réparable[11] et, d’autre part, la libération du requérant prononcée dans l’arrêt de la Chambre des mises en accusation du 17 février 2010 au motif que le requérant courrait un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Grèce[12]. Cette divergence de jurisprudence illustre l’accroissement du niveau de protection des droits fondamentaux que constitue le double contrôle de l’éloignement, d’une part par le C.C.E. conformément à l’article 39/82 de la loi du 15 décembre 1980, d’autre part par les juridictions d’instructions, conformément à l’article 72[13]. Ce double contrôle a déjà été commenté par ailleurs[14].

P.dH.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cour eur. D.H., arrêt Firoz Muneer c. Belgique, 11 avril 2013, req. no 56005/10.

En jurisprudence

Pour citer cette note : P. d’Huart, « Cour eur. D.H., arrêt Firoz Muneer c. Belgique, 11 avril 2013, req. no 56005/10 », Newsletter EDEM, avril 2013.


[1] Cass., 14 mars 2001, Pas., 2001, no 133 ; 21 mars 2001, Pas., 2001, no 152 ; 28 avril 2009, Pas., 2009, no 283 ; 23 juin 2009, Pas., 2009, no 434 ; 27 juillet 2010, Pas., 2010, no 484 in Cour eur. D.H., arrêt Firoz Muneer c. Belgique, 11 avril 2013, req. no 56005/10, §§ 40-41.

[4] L’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 concerne notamment la détention aux fins d’éloignement d’un étranger en séjour irrégulier.

[5] Bruxelles (mis. acc.), 25 octobre 2012, no 3698 ; 11 octobre 2012, no 3484 ;  25 octobre 2012, no 3696 ; 25 octobre 2012, no 36873 octobre 2012, no 3346 ; Mons (mis. acc.), 28 août 2012, C-677/12 ; Bruxelles (mis. acc.), 6 septembre 2012, no 2942 ; 17 octobre 2012, no 3554.

[8] L’article 7 concerne, entre autres, le « ressortissant d’un pays tiers qui n’a pas obtempéré dans le délai imparti à une précédente décision d’éloignement ». Il s’agit de l’hypothèse visée à l’article 74/14, § 3, 4°, auquel se réfère notamment l’article 7, al. 2, précité de la loi du 15 décembre 1980.

[10] L’article 7 concerne, entre autres, le « ressortissant d’un pays tiers qui n’a pas obtempéré dans le délai imparti à une précédente décision d’éloignement ». Il s’agit de l’hypothèse visée à l’article 74/14, § 3, 4°, auquel se réfère notamment l’article 7, al. 2, précité de la loi du 15 décembre 1980.

[11] Cour eur. D.H., arrêt Firoz Muneer c. Belgique, 11 avril 2013, req. no 56005/10, § 11.

[12] Ibid., § 21.

[13] L’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 dispose que la Chambre du Conseil « vérifie si les mesures privatives de liberté et d'éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité. ».

Publié le 20 juin 2017