Cass. (2e ch.), arrêt du 17 décembre 2014, noP.14.1810.F

Contrôle de légalité de la détention : vérification de la prise en compte de la situation actuelle du défendeur et des circonstances de son contrôle dans la motivation.

Le contrôle de légalité des décisions de détention afin d’éloignement réalisé par les juridictions d’instruction inclut la vérification de la prise en compte, dans la motivation de la décision, de la situation actuelle du défendeur et des circonstances de son contrôle.

Art. 72, al. 2, loi du 15/12/1980 - Détention – Éloignement – Contrôle de légalité – Motivation de la décision – Étendue du contrôle – Risque de fuite – Prise en compte de la situation actuelle (confirmation).

A. Arrêt

L’arrêt du 17 décembre 2014 de la Cour de cassation précise l’étendue du contrôle de légalité réalisé par les juridictions d’instruction dans le cadre des recours introduits contre les décisions de détention afin d’éloignement. Les faits à l’origine du pourvoi concernent une décision de détention afin d’éloignement fondée sur un risque de fuite justifié par différents motifs : le défendeur avait précédemment fait l’objet de deux condamnations pénales, les exigences de la sécurité publique devaient primer sur son droit à la vie privée et familiale, il ne possédait pas de documents d’identité et il s’était vu notifié plusieurs mesures d’éloignement (la dernière en mars 2010) auxquelles aucune suite n’avait été réservée. Sur la base de ces éléments, l’Office des étrangers considérait qu’il était peu probable qu’il obtempère volontairement à un nouvel O.Q.T.

La Chambre des mises en accusation de Mons, dans son arrêt du 20 novembre 2014 contre lequel le pourvoi est dirigé, a annulé cette décision de détention et ordonné la libération du défendeur. Dans le cadre de son contrôle de légalité, elle a relevé que le défendeur avait une résidence depuis deux ans chez son épouse avec qui il avait trois enfants, qu’il s’était rendu lui-même à la police lorsqu’il avait appris qu’il était recherché et qu’il bénéficiait d’un emploi stable. Prenant acte de ces éléments, la Chambre des mises en accusation a jugé que la motivation de l’O.Q.T. et les éléments du dossier de l’administration ne permettaient pas de vérifier l’existence du risque réel et actuel de fuite invoqué, lequel ne paraissait pas avoir été apprécié conformément aux critères légaux sur la base d’éléments objectifs et sérieux eu égard à la situation actuelle du défendeur et aux circonstances de son contrôle. Elle a ajouté qu’il ne ressortait pas non plus du dossier que le défendeur entraverait la procédure d’éloignement en cours.

La Cour de cassation a confirmé que ce raisonnement ne procédait pas d’un contrôle d’opportunité et que les juges d’appel avaient légalement décidé que la décision de rétention du défendeur violait le principe de subsidiarité.

B. Éclairage

Dans le cadre des procédures d’éloignement des étrangers en séjour irrégulier, il revient à la Chambre du conseil et à la Chambre des mises en accusation de vérifier « si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité »[1]. Les limites de ce contrôle de légalité apparaissent souvent incertaines. À plusieurs reprises, la Cour de cassation a été amenée à les préciser.

Dans un arrêt du 27 juin 2012 concernant une détention fondée sur un risque de fuite actuel et réel, la Cour de cassation a jugé que si le dossier de l’O.E. ne contenait aucun élément objectif et sérieux accréditant ce risque de fuite dans le chef de l’intéressé, la mise en liberté pouvait être ordonnée. Le pouvoir judiciaire doit pouvoir vérifier que le risque de fuite a été apprécié par l’Administration conformément aux critères que la loi en donne[2].

En mars 2013, un arrêt de la Chambre des mises en accusation a invalidé une décision de l’O.E. au motif qu’elle se fondait sur des faits et des décisions anciennes de dix ans et n’accordait pas suffisamment d’attention ni ne tenait suffisamment compte de la modification des conditions et de l’évolution favorable de la situation du requérant. La Cour de cassation a cassé cet arrêt, considérant que la Chambre des mises en accusation avait effectué un contrôle d’opportunité et non de légalité de la décision[3].

L’arrêt du 17 décembre 2014 constitue un revirement de cette dernière jurisprudence. Désormais, le contrôle de légalité inclut la vérification de ce que le risque de fuite a été apprécié eu égard à la situation actuelle du défendeur et aux circonstances de son contrôle. Tous les éléments factuels pertinents doivent donc être pris en compte pour évaluer l’existence d’un risque de fuite.

Outre cet aspect factuel, il faut également que la base légale visée pour justifier la détention corresponde à la situation personnelle de l’intéressé[4].

Le contrôle de légalité des décisions de détention afin d’éloignement inclut donc l’existence d’une motivation factuellement complète et légalement exacte. Seule la nature de la décision prise sur la base de cette motivation relève du contrôle d’opportunité.

Cette jurisprudence ouvre la voie à des recours directement orientés sur la prise en compte, dans la motivation des décisions de détention, de toutes les circonstances factuelles pertinentes liées au risque de fuite du requérant. Il ne s’agira pas de prouver que l’administration aurait dû prendre une décision différente, mais seulement de relever que dans sa prise de décision, elle n’a pas pris en considération tous les éléments actuels pertinents.

P.dH.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cass. (2e ch.), 17 décembre 2014, n° P.14.1810.

Jurisprudence

Cass. (vac.), arrêt n° P.01.1011.F, 31 juillet 2001.

Cass. (2e ch.), arrêt n° P.12.1028.F, 27 juin 2012.

Cass. (2e ch.), arrêt n° P.12.2019.F, 2 janvier 2013.

Cass. (2e ch), arrêt n° P.13.0337.N/1, 19 mars 2013.

Bruxelles (mis. acc.), arrêt n° 2835, 28 août 2013.

Doctrine

Sur les alternatives à la détention, voy. le nouveau rapport du réseau Odysseus : P. De Bruycker (éd.), A. Bloomfield, E. Tsourdi Et J. Pétin, « Alternatives to Immigration and Asylum Detention in the EU - Time for Implementation », janvier 2015.

Sur la mise en œuvre de la directive retour en droit belge, voy. P. d’Huart, S. Sarolea (dir.), La réception du droit européen de l'asile en droit belge: la directive retour, décembre 2014, EDEM-UCL, Louvain-la-Neuve, 181 p.

Pour citer cette note : P. d’Huart, « Contrôle de légalité de la détention : vérification de la prise en compte de la situation actuelle du défendeur et des circonstances de son contrôle dans la motivation », Newsletter EDEM, février 2015.


[1] Article 72, al. 2, de la loi du 15 décembre 1980 ; Cass. (vac.), arrêt noP.01.1011.F, 31 juillet 2001 ; Cass. (2e ch.), arrêt noP.12.2019.F, 2 janvier 2013.

[2] Cass. (2e ch.), arrêt noP.12.1028.F, 27 juin 2012.

[3] Cass. (2e ch), arrêt noP.13.0337.N/1, 19 mars 2013.

[4] Bruxelles (mis. acc.), arrêt no2835, 28 août 2013.

Publié le 13 juin 2017