Délivrer un visa humanitaire visant à obtenir une protection internationale au titre de l’asile ne relève pas du droit de l’Union : X. et X. , ou quand le silence est signe de faiblesse.
Le droit de l’Union européenne n’impose pas aux États membres d’accorder un visa humanitaire aux personnes qui souhaitent se rendre sur leur territoire dans l’intention de demander l’asile. Ils demeurent libres de le faire sur la base de leur droit national.
Renvoi préjudiciel – Code communautaire des visas - Règlement (CE) n° 810/2009 – Art. 25, paragraphe 1, sous a) – Visa à validité territoriale limitée – Visa pour motif humanitaire ou pour honorer des obligations internationales – Notion d’ obligations internationales – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – Convention de Genève – Situation extraterritoriale - Délivrance d’un visa dans l’hypothèse d’un risque avéré d’une violation des articles 4 et/ou 18 de la charte des droits fondamentaux – Absence d’obligation.
A. Arrêt
La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie d’une question préjudicielle posée par un arrêt de l’assemblée générale du Conseil du contentieux des étrangers (ci-après le CCE) du 8 décembre 2016.
Cette affaire est consécutive au dépôt d’une demande de visa à validité territoriale limitée introduite par une famille syrienne auprès de l’ambassade de Belgique à Beyrouth. Cette demande a été introduite sur le fondement de l’article 25, §1er a) du Code communautaire des visas (Règlement CE, n° 810/2009). Les requérants ont invoqué à l’appui de leur demande de visa qu’ils veulent quitter la ville assiégée d’Alep afin d’introduire une demande d'asile en Belgique. Ils invoquent la situation sécuritaire précaire en Syrie en général et à Alep en particulier, le fait qu’ils sont de confession chrétienne orthodoxe et des persécutions subies par l’un des requérants. Ils précisent qu’il leur est impossible de se faire enregistrer comme réfugiés dans les pays limitrophes eu égard à la fermeture de la frontière entre le Liban et la Syrie.
L’Office des étrangers a rejeté cette demande de visa. Saisi par une requête en suspension d’extrême urgence, le CCE interroge la Cour de justice quant à la portée des obligations internationales visées à l’article 25 du Code des visas. Ces obligations visent-elles l’ensemble des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ? Parmi ces droits figurent l’article 4 relatif à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants et l’article 18 relatif au droit d’asile ; ainsi que les obligations auxquelles sont tenus les États membres sur la base de la Convention européenne des droits de l'homme et de l’article 33 de la Convention de Genève. Plus précisément, l’article 25 du Code communautaire des visas doit-il être interprété en ce sens que l’État membre, saisi d’une telle demande, doit délivrer le visa s’il y a un risque de violation de l’article 4 ou de l’article 18 de la Charte, ou d’une autre obligation internationale, sous réserve de sa marge d’appréciation liée aux circonstances de l’espèce ? Une seconde question interroge la portée de l’existence d’attaches entre le demandeur et la Belgique.
La Cour de justice traite la demande selon la procédure d’urgence.
La Cour de justice estime que le Code des visas adopté sur le fondement de l’article 62 TFUE vise les visas relatifs à des séjours d’une durée maximale de 90 jours. Or, en l’occurrence, les demandes de visa ont été formées aux fins de demander l’asile et donc de se voir délivrer un titre de séjour dont la durée de validité n’est pas limitée à 90 jours. La Cour en déduit que ces visas ne relèvent pas du champ d’application du Code des visas.
La Cour suit le gouvernement belge et la Commission européenne pour souligner qu’aucun acte n’a été adopté par le législateur de l’Union en ce qui concerne les conditions de délivrance par les États membres de visas ou de titres de séjour de longue durée pour des motifs humanitaires. Il s’ensuit que ces demandes relèvent du seul droit national. La situation qui fait l’objet de la question préjudicielle n’est pas régie par le droit de l’Union de sorte que les dispositions de la Charte ne sont pas applicables. Le fait que l’article 32, §1er sous b) du Code des visas érige en motif de refus de visa l’existence d’un doute raisonnable sur la volonté du demandeur de quitter le territoire des États membres avant l’expiration du visa demandé ne modifie pas la conclusion de la Cour. En effet, dans le cas d’espèce, il n’y a pas de doute quant à l’intention des requérants d’ensuite solliciter un droit de séjour au titre de l’asile, qu’ils assument clairement. Il en résulte, selon la Cour, que leur demande a un objet différent de la demande d’un visa de courte durée.
La Cour précise enfin qu’une conclusion contraire impliquerait que le Code des visas impose aux États de permettre à des ressortissants de pays tiers d’introduire une demande de protection internationale auprès des représentations des États membres situées sur le territoire des États tiers. Tel n’est pas l’objectif de ce Code qui n’a pas pour objet d’harmoniser les législations des États membres quant à la protection internationale. À ce sujet, la Cour précise que les textes de droit dérivé relatifs au droit européen de l’asile n’ont pas un champ d’application extraterritorial. L’article 3, §1er 2° de la Directive 2013/32, relative aux procédures d’asile, est applicable aux demandes de protection internationale présentées sur le territoire des États membres en ce compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit, mais pas aux demandes d'asile diplomatique ou territorial introduites auprès des représentations des États membres. Les articles 1er et 3 du règlement 604/2013 (Dublin) obligent uniquement les États à examiner les demandes de protection internationale présentées sur leur territoire, en ce compris à la frontière ou dans une zone de transit.
La Cour conclut à l’inapplicabilité du droit de l’Union.
B. Éclairage
La Cour n’a pas suivi les conclusions de l’avocat général Paolo Mengozzi. Au terme d’un examen long de vingt-et-une pages, celui-ci considérait que le Code des visas s’appliquait et que son article 25, relatif au visa à validité territoriale limitée, devait être interprété « en ce sens que l’État membre sollicité par un ressortissant d’un pays tiers afin de lui délivrer un visa à validité territoriale limitée au motif de l’existence de raisons humanitaires est tenu de délivrer un tel visa si, eu égard aux circonstances de l’espèce, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le refus de procéder à la délivrance de ce document conduira à la conséquence directe d’exposer ce ressortissant à subir des traitements [inhumains ou dégradants] prohibés par l’article 4 de la charte des droits fondamentaux, en le privant d’une voie légale pour exercer son droit de demander une protection internationale dans cet État membre ».
L’essentiel des considérations de l’avocat général portaient, d’une part sur l’application de la Charte à l’article 25 du Code des visas qui permet aux États, dans l’exercice de leur souveraineté, de délivrer un visa à territorialité limitée et, d’autre part sur les obligations positives des États dans le respect des droits fondamentaux protégés par la Charte, lorsqu’ils exercent cette souveraineté. La Cour, en décidant que la question ne relève pas du champ du droit de l’Union, n’a pas eu à examiner la question du champ d’application de la Charte. Cette question mériterait un commentaire approfondi. Le présent commentaire se limite à l’applicabilité ou non du droit de l’Union à une demande de visa à validité territoriale limitée, pour motif humanitaire, en vue de demander l’asile.
Faut-il considérer que la Cour a fait une interprétation erronée du droit de l’Union au vu des conséquences, politiques et économiques, de sa décision ? Admettons que, quelle que fut la décision de la Cour, elle eût, vraisemblablement, été lue par les uns ou les autres comme « politique ». Il reste que « si les conséquences pratiques de toute décision juridictionnelle doivent être pesées avec soin, on ne saurait aller jusqu’à infléchir l’objectivité du droit et compromettre son application en raison des répercussions qu’une décision de justice peut entraîner » affirmait la Cour dans l’arrêt Bosman de 1995. Dans cet arrêt, elle fit preuve de grande audace pour condamner les modalités de transfert des joueurs de football professionnels au titre d’entraves indistinctement applicables à la libre circulation des travailleurs (pt. 77). À dire vrai, l’erreur est de croire en une absolue « objectivité du droit ». Particulièrement en droit européen, comme la Cour l’a montré fréquemment, le texte imprime un cadre, au sein duquel des interprétations diverses sont possibles. Tel est précisément l’objet de la question préjudicielle en interprétation du droit de l’Union. Dans l’affaire des visas humanitaires, deux lectures étaient possibles. L’une consistait à dire pour droit que toute demande de visa comportant une intention de séjour de plus de 90 jours n’entre pas dans le champ d’application du Code des visas. Telle est la position de la Cour, motivée par les éléments exposés ci-dessus. L’autre consistait à dire que toute demande de visa de court séjour entre dans le champ d’application du Code des visas, indépendamment de l’intention de séjour ultérieur. Ce n’est qu’ensuite qu’il conviendrait d’examiner les motifs d’octroi ou de refus de ce visa. Telle était la position de l’avocat général. Telle est notre position. Pour les motifs exposés ci-dessous, nous considérons que telle demande de visa humanitaire entre dans le champ d’application du code des visas (I) ou, à tout le moins, dans le champ d’application du droit de l’Union (II)
I. Le champ d’application du Code des visas
L’article 1er du Code indique clairement que « le présent règlement fixe les procédures et conditions de délivrance des visas pour les transits ou les séjours prévus sur le territoire des États membres d’une durée maximale de 90 jours ». C’est ce qu’il est convenu d’appeler le séjour touristique qui offre l’accès au territoire et un droit de séjour pour la durée indiquée sur le visa, durée qui ne pourra pas dépasser 90 jours. Fallait-il considérer qu’en l’espèce la demande de visa ne correspondait pas à ce champ d’application, en raison de ce qu’elle se faisait, selon les termes du dispositif de l’arrêt de la Cour, « dans l’intention d’introduire, dès son arrivée dans cet État membre, une demande de protection internationale » ? Non, pour trois motifs.
1. Ambiguïté du critère de l’intention
Chacun devine la fragilité du critère de l’intention pour mesurer le champ d’application d’un texte. Une fois prévenu de la chose, il suffirait de ne plus faire part de ses intentions pour entrer dans le champ d’application du texte. Le visage de la fraude et de l’abus de droit se profile. Ceci entraîne un examen qui doit porter sur le fond de la demande, non sur le champ d’application du texte. Tel est bien l’objet de l’article 32 paragraphe 1, sous b) du Code qui permet de refuser le visa « s’il existe des doutes raisonnables … sur [la] volonté de quitter le territoire des États membres avant l’expiration du visa demandé ». Considérer, comme le fait la Cour, qu’il s’agit non d’un motif de refus, mais d’une cause de non-application du Code, au motif que la demande a « un objet différent », consiste à introduire une différence de traitement qui favorise le fraudeur, qui n’exprime pas son intention, par rapport à la personne qui exprime honnêtement les motifs humanitaires de sa demande d’accès au territoire. Reposant sur l’intention, affirmée ou non, cette différence de traitement n’est pas objective et s’apparente à une discrimination. On notera que, dans un autre domaine de la politique européenne d’immigration et d’asile, la juridiction européenne, en l’occurrence le Tribunal de première instance à propos de la « déclaration UE-Turquie », s’attache à la forme de l’acte bien plus qu’à l’intention des parties ou aux conséquences de l’acte. Au terme d’un examen détaillé de chaque document de cette « déclaration », le Tribunal considère que « indépendamment du point de savoir si elle constitue … une déclaration de nature politique ou … un acte susceptible de produire des effets juridiques obligatoires, la déclaration UE-Turquie … ne peut être considérée comme un acte adopté par le Conseil européen », mais comme une déclaration qui « aurait été le fait des chefs d’États ou de gouvernement des États membres » (Tribunal 28 février 2017, T-192/16, pts 70-71, commentaire ici même). Là, la forme de l’acte permet de déclarer « l’incompétence du Tribunal pour en connaître » (dispositif). Ici, l’intention du demandeur de visa, permet à la Cour de déclarer que le Code des visas ne s’applique pas. Des motivations très distinctes, sinon opposées, conduisent au même résultat : éviter de trancher les débats de fond.
Dans l’affaire des visas, la fragilité du critère de l’intention se déduit également de l’attitude du juge national et de l’administration nationale. D’une part, le juge belge, le C.C.E. dans son arrêt en assemblée générale, n’émet aucun doute quant à l’application du Code des visas, constatant que les requérants « ont introduit des demandes de visa à validité territoriale limitée sur la base de l’article 25, paragraphe 1, du Code des visas » (pt 3.3.4.A). D’autre part, l’administration belge n’a pas écarté l’application du Code et l’a rejetée, considérant que « la délivrance d’un visa à validité territoriale limitée doit rester exceptionnelle, notamment parce que sa délivrance déroge aux règles générales de délivrance des visas pour un court séjour, communes aux États Schengen et fondées sur la légitime confiance et la coopération loyale entre eux » (idem, pt 1). Ce n’est qu’ultérieurement, dans la procédure, que l’État belge invoquera la non-application du Code des visas. L’ensemble de ces considérations montrent que le critère de l’intention ne devrait pas servir de base à l’examen du champ d’application du Code des visas ; pas plus qu’à la compétence de la Cour car, comme celle-ci l’indique à ce sujet, « il ressort sans équivoque de la décision de renvoi que lesdites demandes ont été introduites, pour raisons humanitaires, sur la base de l’article 25 du code des visas » (pt 36).
2. Souveraineté
Il reste que l’article 25 du Code des visas prévoit qu’un « visa à validité territoriale limitée est délivré à titre exceptionnel … lorsqu’un État membre estime nécessaire, pour des raisons humanitaires, pour des motifs d’intérêt national ou pour honorer des obligations internationales … de déroger au principe du respect des conditions d’entrée prévues à l’article 5 … du code frontières Schengen ». L’État belge avance, à titre subsidiaire, qu’il s’agit d’une possibilité exceptionnelle qui relève de sa seule souveraineté. Faudrait-il en déduire que ce visa à validité territoriale limitée échappe au champ d’application du Code des visas ? Non, en raison même du fait que la disposition qui prévoit cette possibilité est inscrite dans le Code. De même, s’agissant de la clause de souveraineté figurant dans le règlement Dublin, la Cour avait opposé au Royaume-Uni qui faisait valoir que toute décision fondée sur cette clause de souveraineté échappait au contrôle de la Cour, que, « le pouvoir d’appréciation conféré aux États membres … ne constitue qu’un élément du système européen commun d’asile » et que « partant, un État membre qui exerce ce pouvoir d’appréciation doit être considéré comme mettant en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte » (pt 68).
3. Prolongation
Une chose est le visa de court séjour donnant accès au territoire. Autre chose est la demande d’asile ultérieure qui donne accès à un séjour provisoire pendant la procédure et, ensuite, à un séjour prolongé et renouvelable si et seulement si la demande d’asile est fondée. Du reste, la limite dans le temps des visas relevant du Code n’est pas une limite absolue de 90 jours. Le Code des visas prévoit, lui-même, d’autres hypothèses de prolongation du séjour. D’une part, le visa à validité territoriale limitée peut, par délivrance d’un nouveau visa, être une sorte de visa à validité temporelle prolongée qui dépasse le visa « normal » de 90 jours dans la période de 180 jours (art. 25, paragraphe 1, lettre b). Plus important, sur pied de l’article 33 du Code, ignoré dans l’affaire X et X, « la durée de validité et/ou la durée de séjour prévue dans un visa délivré est prolongée si les autorités compétentes de l’État membre concerné considèrent que le titulaire du visa a démontré l’existence d’une force majeure ou de raisons humanitaires l’empêchant de quitter le territoire des États membres avant la fin de la durée de validité du visa ou de la durée du séjour qu’il autorise » (§ 1). Si « la validité territoriale du visa prolongé demeure identique à celle du visa original » (§ 3), rien n’est précisé quant à sa validité dans le temps. Rien n’indique, expressis verbis, qu’elle serait limitée à 90 jours.
À l’opposé de ces raisonnements, la Cour a considéré qu’une demande de visa, dans l’intention de demander l’asile, n’entrait pas dans le champ d’application du Code des visas car elle autoriserait un séjour de plus de 90 jours. Même dans ce cas, il conviendrait encore d’examiner si telle demande de visa échappe à l’ensemble du droit de l’Union.
II. Le champ d’application du droit de l’Union
Un rapprochement entre la présente affaire, relative au visa, et l’affaire Rottman, relative à la nationalité ne manque pas d’intérêt. Plus encore qu’une demande de visa, même de longue durée, « la définition des conditions d’acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État » (Rottman, 2010, C-135/08, pt 39). Toutefois, la Cour a précisé dans cet arrêt Rottman que « le fait qu’une matière ressortit à la compétence des États membres n’empêche pas que, dans des situations relevant du droit de l’Union, les règles nationales concernées doivent respecter ce dernier » (pt 41). La protection internationale par droit d’asile relève du droit de l’Union. Il ne nous paraît pas suffisant, comme le fait la Cour, de constater que ni la directive procédure ni le règlement Dublin ne sont applicables « aux demandes d’asile diplomatique ou territorial introduites auprès des représentations des États membres » (X et X, pt 49). Premièrement, il est évident que l’octroi ou non de visas humanitaires en vue de demandes d’asile aura des incidences directes, d’une part sur les procédures et sur la répartition des demandes d’asile dans l’Union, d’autre part sur la lutte contre le trafic et la traite des êtres humains (Directives 2002/90, 2002/946, 2004/81 et 2011/36) et sur les sanctions à charge des transporteurs qui prennent à leur bord des personnes non munies des documents requis (Directive 2001/51), toutes matières qui relèvent des compétences de l’Union. Ainsi, si un transporteur est, en principe, sanctionné pour avoir pris une personne dont le passeport n’est pas muni du visa d’accès au territoire des États membres de l’Union, ce principe est « sans préjudice des obligations des États membres lorsqu'un ressortissant de pays tiers demande à bénéficier d'une protection internationale » (art. 4, paragraphe 2). Deuxièmement, le régime d’asile européen commun forme un tout. Il comporte également « des instruments et mécanismes relatifs à sa dimension extérieure » qui entrent, notamment, dans les compétences du Bureau européen d’appui en matière d’asile (Règlement 439/2010, art. 7). Troisièmement, lorsqu’une matière ne relève pas du droit dérivé, il advient qu’elle puisse relever directement du droit primaire de l’Union. Les exemples types de cette hypothèse sont les situations purement internes qui échappent aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes, tant dans le droit dérivé (principalement la Directive 2004/38) que dans le droit primaire (principalement les articles 21 et 45 TFUE). Se fondant sur le seul article 20 TFUE qui institue une citoyenneté de l’Union, la Cour a jugé que cette disposition « s’oppose à des mesures nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut » et que cela « se réfère à des situations caractérisées par la circonstance que le citoyen de l’Union se voit obligé, en fait, de quitter le territoire … de l’Union pris dans son ensemble » (Dereci, 2011, C-256/11, pts 64 et 66). Par parallélisme avec les situations purement internes qui entrent dans le champ d’application du droit de l’Union lorsque l’essentiel des droits du citoyen est en cause, il serait possible de considérer que des situations « purement externes » relèvent, de même, du champ d’application du droit de l’Union lorsque l’essentiel des droits du ressortissant d’État tiers est en cause. Tel serait le cas, de manière exceptionnelle, lorsqu’il est obligé d’entrer sur le territoire de l’Union parce que ce serait le seul moyen d’échapper au risque réel de traitement inhumain ou dégradant. L’article 67 TFUE sert de fondement à cette hypothèse exceptionnelle, dans la mesure où « L'Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux … [et] … développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers ».
Le silence de la Cour, la parole du juge national
En déclarant le Code des visas non applicable à une demande de visa humanitaire en vue de l’asile, la Cour évite de se prononcer sur l’interprétation du droit de l’Union et d’interroger le régime d’asile européen commun. Certains jugeront ce silence prudent. La Cour mentionne expressément que telle demande de visa relève « en l’état actuel du droit de l’Union européenne, du seul droit national ». Deux portes demeurent ouvertes. Premièrement, le droit de l’Union peut évoluer. Mais rien n’indique une quelconque évolution à moyen terme en matière de voies légales de voyage pour les demandeurs d’asile. Deuxièmement, le juge national peut interpréter son droit à la lumière des droits fondamentaux, dont l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants. L’expérience montre toutefois que lorsque le juge national interroge le juge de l’Union, c’est pour que celui-ci l’aide à asseoir une interprétation du droit qu’il ne peut ou n’ose formuler dans son contexte national. Tel fut précisément le cas en matière de situations purement internes où la Cour constitutionnelle qui avait interrogé la Cour de justice fut renvoyée à sa propre responsabilité, mais refusa de trancher la question (Affaire assurance soins de santé, C.J.U.E., C 212/06, pt 40 et C.C., n° 11/2009). Si ici, de même, le C.C.E. estime ne pas devoir interpréter son droit national comme imposant une obligation de motivation de tout refus de visa au regard des risques réels de traitement inhumain et dégradant, c’est, après épuisement des voies de recours interne, la Cour européenne des droits de l’homme qui pourrait être amenée à se prononcer. Tel fut aussi le cas pour des situations purement internes à propos des discriminations fondées sur la nationalité (Koua Poirrez, C.J.C.E., 1992, C-206/91 ; C.E.D.H., 2003). Une réponse de fond à la question préjudicielle eût permis d’éviter ces incertitudes. Elle pouvait, avec nuance, en respectant les souverainetés, indiquer qu’en application du Code des visas, l’administration devait, sous contrôle du juge national, motiver sa décision au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Le mécanisme de juge à juge qu’est la question préjudicielle est aussi une manière d’organiser le pluralisme juridique par des formes de complémentarités entre les juridictions compétentes. Cette solidarité des juges est particulièrement importante lorsqu’elle concerne les migrants qui trouvent dans le pouvoir juridictionnel le seul accès possible à la table de la démocratie, car ils ne participent, d’aucune façon, au pouvoir législatif ou au pouvoir exécutif. La roue de secours demandée par le juge belge était aussi une bouée de sauvetage pour les damnés de la mer. La Cour s’y est refusée. Ce silence n’est pas marque de prudence, mais signe de faiblesse.
S.S., J-Y.C., L.L.
C. Pour aller plus loin
Lire l’arrêt : arrêt du 7 mars 2017, X. et X., C-638/16 PPU, G.C., ECLI:EU:C:2017:173
Jurisprudence :
Conclusions de l’avocat général P. Mengozzi, 7 février 2017, ECLI:EU:C:2017:93
C.C.E. (assemblée générale), 8 décembre 2016, n° 179.108.
Doctrine :
V. MORENO-LAX, « Asylum Visas as an Obligation under EU Law: Case PPU C-638/16 X, X v État belge », Omnia, 16 et 21 février 2017, part I, part II
E. BROUWER, « The European Court of Justice on Humanitarian Visas : legal integrity vs political opportunism? » , CEPS Commentary, 16 March 2017.
Pour citer cette note : S. SAROLEA, J.Y. CARLIER, L. LEBOEUF, « Délivrer un visa humanitaire visant à obtenir une protection internationale au titre de l’asile ne relève pas du droit de l’Union : X. et X., ou quand le silence est signe de faiblesse», Newsletter EDEM, mars 2017.