C.J.U.E., Arrêt Tall, C-239/14, EU:C:2015:824

Demandes d’asile ultérieures et droits européen et belge : un regard critique.

La Cour de justice de l’Union européenne examine la compatibilité de la législation belge, qui (au moment des faits) ne conférait pas un effet suspensif à un recours contre une décision de ne pas poursuivre l’examen d’une demande d’asile ultérieure, avec le droit européen. Elle constate qu’en l’espèce, le requérant ne présentait pas des nouvelles preuves ou de nouveaux arguments. Elle souligne que l’exécution de la décision en question ne conduirait pas à l’éloignement du requérant. Partant, elle juge un tel recours compatible avec la version précédente de la directive Procédures ainsi qu’avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Art. 3, 13 CEDH – Art. 47 Charte – Directive 2003/9/CE – Cons. 8, 15, 27 et Arts.7, 24, 32, 34, 39 Directive 2005/85/CE – Arts. 6, 12, 13 Directive 2008/115/CE – Arts. 4, 4/1, 6, 35/2 Loi du 12 janvier 2007 – Art. 57 Loi du 8 juillet 1976 – demande d’asile ultérieure – droit à un recours effectif – effet suspensif – droit à l’aide sociale.

A. Arrêt

La question préjudicielle, posée à la Cour de justice de l’Union européenne par le Tribunal du travail de Liège, concerne la compatibilité de la législation belge (antérieure à la modification du 10 avril 2014) qui ne conférait pas un effet suspensif à un recours contre une décision de ne pas poursuivre l’examen d’une demande d’asile ultérieure, avec le droit européen. Le requérant, M. Tall, un ressortissant sénégalais, introduit une première demande d’asile qui est rejetée par le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après C.C.E.) en novembre 2013. Son recours contre cette décision étant déclaré non-admissible par le Conseil d’Etat, il introduit une seconde demande d’asile en invoquant de nouveaux éléments. Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après C.G.R.A.) refuse de prendre en considération cette seconde demande d’asile le 23 janvier 2014. Par une décision du 27 janvier 2014, le Centre Public d’Action Sociale (ci-après CPAS) retire l’aide sociale dont bénéficiait le requérant avec effet au 10 janvier 2014. Par la suite, M. Tall se voit notifier un ordre de quitter le territoire (ci-après OQT), le 10 février 2014. 

L’intéressé lance deux procédures au niveau national, le 19 et 27 février 2014 : un recours contre la décision de refus de prise en considération de sa seconde demande d’asile devant le C.C.E. ainsi qu’un recours contre la décision du CPAS lui retirant l’aide sociale devant le Tribunal du travail de Liège (qui est la juridiction du renvoi). Pour la période allant du 10 janvier 2014 au 17 février 2014, le Tribunal conclut que le recours est recevable et bien fondé, le délai de départ volontaire de l’OQT n’expirant que 18 février 2014. Pour la période au-delà du 18 février 2014, le Tribunal constate que (au moment des faits) les seuls recours prévus par la législation sont des recours en annulation et en suspension, lesquels, n’étant pas suspensifs, privent la personne concernée du droit au séjour et à l’aide sociale.

Au vu de la situation, le Tribunal décide de surseoir à statuer et demande, en substance, à la Cour de justice si l’article 39 de la directive 2005/85 (ci-après directive Procédures), lu à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après Charte), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale qui ne confère pas un effet suspensif à un recours exercé contre une décision de ne pas poursuivre l’examen d’une demande d’asile ultérieure.

La Cour écarte les objections du CPAS, de Fedasil, du gouvernement belge et de la Commission européenne, soutenues par ailleurs par l’Avocat Général[1], concernant la recevabilité de cette demande en raison des évolutions législatives au niveau national. Rappelant sa jurisprudence antérieure, elle estime qu’en espèce, l’interprétation du droit de l’Union est nécessaire pour la juridiction nationale :

« [l]a présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée qu’à titre exceptionnel, s’il apparait de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt FOA, C354/13, EU:C:2014:2463, point 45 et jurisprudence citée). »[2]

Ensuite, la Cour note que l’affaire concerne une seconde demande d’asile qui remplit la définition d’une « demande ultérieure » au sens de la directive Procédures et que la décision du C.G.R.A. correspond à « une décision de ne pas poursuivre l’examen de la demande ultérieure » au sens de l’article 39, § 1er, c), de la directive. Plus spécifiquement, la Cour souligne que la directive prévoit des procédures spéciales pour cette catégorie des demandes d’asile, qui dérogent aux principes de base. La Cour précise que les Etats peuvent procéder à un examen préliminaire visant, notamment, à déterminer si de nouveaux éléments ou de nouvelles données se rapportant à l’examen des conditions requises pour prétendre au statut de réfugié sont apparus ou ont été présentés par le demandeur. Si tel est le cas, cette demande sera poursuivie conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales. En revanche, si le demandeur ne présente pas d’éléments ou de faits nouveaux, l’examen de la demande ultérieure ne sera pas poursuivi après ledit examen préliminaire.

Néanmoins, les Etats membres doivent assurer aux demandeurs d’asile un droit à un recours effectif contre une décision de ne pas poursuivre l’examen d’une demande ultérieure. Or, selon la directive, ce recours peut être dépourvu d’effet suspensif, c’est-à-dire que les Etats membres peuvent priver cette catégorie de demandeurs du droit de rester sur territoire pendant l’examen de leur demande. La Cour se réfère par la suite aux principes reconnus par la Charte, notamment ses articles 47 (qui réaffirme le principe de protection juridictionnelle effective) et 19 (qui sauvegarde le principe de non-refoulement). Afin d’interpréter ces articles, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après Cour eur. D.H.) doit également être prise en compte[3]. Cette dernière affirme que :

« […] lorsqu’un Etat décide de renvoyer un étranger vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, l’effectivité du recours exercé, prévue à l’article 13 de la CEDH, requiert que cet étranger dispose d’un recours suspensif de plein droit contre l’exécution de la mesure permettant son renvoi (voir, notamment, Cour EDH, Gebremedhin c. France, § 67, CEDH 2007-II, ainsi que Hirsi Jamaa et autres c. Italie, § 200, CEDH 2012II). »[4]

Cependant, selon la Cour, il est nécessaire de distinguer une décision de ne pas poursuivre l’examen d’une demande d’asile ultérieure d’une décision de retour au sens de l’article 6 de la directive 2008/115/CE (ci-après directive Retour). L’exécution de la première ne saurait, en tant que telle, conduire à l’éloignement du ressortissant ; l’absence d’effet suspensif d’un recours exercé contre une telle décision est donc, en principe, en conformité avec les articles 47 et 19(2) de la Charte. Par contre, une décision de retour dont l’exécution est susceptible d’exposer un ressortissant de pays tiers à un risque sérieux d’être soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, doit nécessairement revêtir un effet suspensif afin de respecter les exigences des articles 47 et 19(2) de la Charte. Partant, la Cour conclut qu’en l’espèce, le recours non-suspensif ne constitue pas une violation du droit à une protection juridictionnelle effective, ni sous l’angle de la directive Procédures, ni sous l’angle de la Charte.

B. Éclairage

Le raisonnement de la Cour est basé sur des versions antérieures des directives Procédures et Accueil. Nous examinons les règles de la directive 2013/32/UE[5] (ci-après refonte de la directive Procédures) ainsi que la directive 2013/33/UE[6] (ci-après refonte de la directive Accueil) en trois domaines : procédures en première instance (i), droit de rester et d’avoir accès aux conditions matérielles d’accueil (ii) ainsi que droit à un recours effectif (iii) pour les demandeurs d’asile qui ont introduit une demande ultérieure. Ensuite, nous tirons des conclusions sur le système actuel au niveau européen (iv).

i. Demandes d’asile multiples et normes européens : procédures en première instance

La directive Procédures révisée adopte la même approche que la version antérieure concernant les demandes d’asile ultérieures[7]. Or, quelques précisions ont été apportées. Une demande ultérieure est définie comme suit :

« une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite […] »[8]

La refonte prévoit des procédures dérogatoires en cas de demandes ultérieures. Celles-ci sont « d’abord soumises à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur »[9]. Si tel est le cas, et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi[10]. Il mérite d’être souligné que les Etats membres peuvent également prévoir d’autres raisons de poursuivre l’examen d’une demande ultérieure[11]. Dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales qui sont énoncées dans la directive, les Etats membres peuvent accélérer la procédure d’examen d’une demande d’asile ultérieure estimée « recevable »[12]. Si aucun élément ou fait nouveau n’est présenté par le demandeur d’asile, les Etats membres peuvent considérer la demande irrecevable[13]. En tout cas, lorsque l’examen d’une demande ultérieure n’est pas poursuivi, elle est considérée comme irrecevable[14].

La jurisprudence de la Cour eur. D.H., au sujet des garanties applicables aux demandes d’asile ultérieures, est également pertinente. La Cour a reconnu qu’« […] il est légitime pour les Etats de vouloir réduire les demandes d’asile répétitives et manifestement abusives ou mal fondées et de prévoir par conséquent des règles spécifiques pour le traitement de telles demandes »[15]. Elle a également estimé que « le simple fait qu’une demande d’asile successive soit traitée selon une procédure accélérée ne saurait, à lui seul, permettre de conclure à l’ineffectivité de l’examen mené par les instances d’asile »[16]. Néanmoins, ces réserves ne changent en rien le caractère absolu de l’interdiction de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants, ainsi que l’obligation pour les Etats de soumettre « à un examen indépendant et rigoureux tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention »[17].

Récemment, dans une affaire contre la Belgique, concernant une quatrième demande d’asile, la Cour a estimé que l’existence d’un élément nouveau avait été examinée d’une manière trop restrictive par l’Office des étrangers et le C.C.E.[18]. La charge de preuve qui incombe aux requérants concernant l’impossibilité de produire des documents pertinents au cours d’une précédente demande a été jugée déraisonnable[19]. De plus, ces documents ont été écartés par les autorités administratives et judiciaires nationales « sans aucune évaluation préalable de leur pertinence, de leur authenticité et de leur caractère probant »[20]. La Cour a jugé que cette démarche « ne peut être considérée comme l’examen attentif et rigoureux attendu des autorités nationales et ne procède pas d’une protection effective contre tout traitement contraire à l’article 3 de la Convention »[21].

ii. Demandes d’asile multiples et normes européennes : droit de rester et droit d’avoir accès aux conditions d’accueil

En principe, les demandeurs d’asile jouissent du droit de rester dans l’Etat membre pendant l’examen de leur demande en première instance[22]. Or, la refonte de la directive Procédures permet – mais n’oblige pas – aux Etats membres de déroger au droit de rester concernant les personnes qui ont introduit une première demande ultérieure (i.e. deuxième demande d’asile) si deux conditions sont remplies : 1) l’examen de cette demande n’est pas poursuivi puisqu’elle est considérée irrecevable et 2) cette demande n’était introduite qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision qui entrainerait leur éloignement imminent de l’Etat membre concerné[23]. Ces deux conditions sont cumulatives. Concernant les personnes qui ont introduit une « autre demande ultérieure » (i.e. troisième, quatrième demande d’asile, etc.), seule la première condition s’applique, à savoir que cette autre demande ultérieure soit estimée irrecevable. Ces dérogations ne sont possibles que « si l’autorité responsable de la détermination estime qu’une décision de retour n’entrainera pas de refoulement direct ou indirect en violation des obligations internationales et à l’égard de l’Union incombant à cet Etat membre »[24]. Nous concluons que, dans tous les cas, le droit de rester est garanti pendant l’examen préliminaire. Par la suite, les demandeurs ne peuvent être privés de ce droit que conformément aux conditions qui ont été précisées.

Le droit de rester est intrinsèquement lié à l’accès aux conditions matérielles d’accueil. La refonte de la directive Accueil précise qu’« afin d’assurer l’égalité de traitement des demandeurs d’asile dans l’ensemble de l’Union, la présente directive devrait s’appliquer à tous les stades et à tous les types de procédures de demande de protection internationale […] aussi longtemps que les demandeurs sont autorisés à rester sur le territoire en tant que demandeurs d’asile »[25]. Aussi longtemps que le demandeur d’asile qui a déposé une demande ultérieure jouit du droit de rester, il a donc accès aux conditions matérielles d’accueil.

Néanmoins, la refonte reconnaît la possibilité pour les Etats membres de limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil[26] pour cette catégorie des demandeurs. Le texte de la refonte édicte que les décisions doivent être prises au cas par cas, objectivement et impartialement, ainsi qu’être motivées[27]. L’exclusion systématique de tous les demandeurs qui ont déposé une demande ultérieure des bénéfices de la directive n’est pas admise. En outre, un dernier paragraphe stipule l’obligation pour les Etats membres d’assurer en toutes circonstances l’accès aux soins médicaux conformément à l’article 19[28] et de garantir un niveau de vie digne à tous les demandeurs[29]. La structure de la phrase nous amène à conclure que le terme « niveau de vie digne » inclut des éléments supplémentaires à l’accès aux soins médicaux. Dans la mesure où le demandeur ne dispose pas de ses propres moyens pour subvenir à ses besoins essentiels, l’Etat membre a l’obligation de lui garantir un niveau de vie digne[30].

Si la demande est déclarée irrecevable, que le demandeur ne jouit pas du droit de rester et qu’une décision de retour a été adopte envers lui, il tombe sous le champ d’application de la directive Retour[31]. Or, il peut introduire un recours contre la décision des autorités nationales de ne pas poursuivre sa demande. La section suivante analyse les normes établies par les refontes concernant le droit à un recours effectif en cas de demande ultérieure, ainsi que l’articulation entre les régimes d’asile et de retour en cas de dépôt de recours.

iii. Demandes d’asile multiples et normes européennes : droit à un recours effectif

Selon la refonte de la directive Procédures, les demandeurs d’asile doivent disposer d’un recours effectif contre une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris : 1) une décision d’irrecevabilité[32] (décision qui intervient à l’issue de l’examen préliminaire si l’Etat membre ne poursuit pas l’examen d’une demande ultérieure), ainsi que 2) une décision considérant comme (manifestement) infondée une demande quant au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire (décision qui pourrait intervenir à l’issu d’un examen au fond d’une demande ultérieure)[33]. Un recours effectif prévoit « un examen complet et ex nunc tant des faits, que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale »[34]. La refonte énonce également d’autres garanties relatives à l’exercice d’un tel recours, notamment concernant le délai pour l’exercer[35].

En principe, les demandeurs d’asile jouissent du droit de rester au territoire pendant le délai prévu pour exercer un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, à savoir dans l’attente de l’issue du recours, le recours est suspensif. Néanmoins, la refonte connaît quelques exceptions à cette règle, y compris concernant les décisions considérant une demande comme manifestement infondée[36], et des décisions considérant une demande comme irrecevable[37]. Dans ces cas, la règle suivante s’applique si les Etats membres ont prévu un recours non-suspensif dans leur droit national :

« une juridiction est compétente pour décider si le demandeur peut rester sur le territoire de l’État membre, soit à la demande du demandeur ou de sa propre initiative, si cette décision a pour conséquence de mettre un terme au droit du demandeur de rester dans l’État membre […]. »[38]

Pendant cette procédure, les Etats membres autorisent normalement le demandeur à rester sur leur territoire[39]. Néanmoins, les Etats membres peuvent déroger à cette règle aux mêmes conditions que celles décrites ci-dessus concernant le droit de rester en cas de demande ultérieure[40]. Il est alors envisagé que, même si le demandeur n’a pas reçu une décision finale concernant sa demande ultérieure, il pourrait perdre son droit de rester, et par conséquent de se trouver hors du champ d’application de la directive accueil.

Or, dans ce cas, si une décision de retour est adoptée, il se trouve dans le champ d’application de la directive Retour. La Cour de justice a rappelé dans l’arrêt Tall ses conclusions tirées de l’affaire Abdida[41]. Dans cette affaire, le requérant se trouvait également en dehors du champ d’application des directives Procédures et Accueil, étant demandeur de régularisation médicale qui, selon la Cour, ne relevait pas du champ d’application de l’acquis européen sur l’asile. Cependant, la Cour a conclu que les dispositions de la directive Retour, lues avec la Charte, s’opposent à une procédure nationale qui instaure un recours non-suspensif et ne prévoit pas la prise en charge, dans la mesure du possible, des besoins de base des requérants pendant l’examen de ce recours[42].

La jurisprudence de Strasbourg reflète elle également ces principes. La Cour eur. D.H. a clarifié que l’article 13 CEDH exige un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention, et à offrir le redressement approprié[43]. Pour être effectif, le recours exigé par l’article 13 doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’Etat défendeur[44]. Enfin, compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale[45], un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3[46] ; il requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif[47].

Les affaires récentes Sow[48], ainsi que M.A. et M.D., qui concernent l’examen des demandes d’asile ultérieures par les autorités belges, ne marquent en aucun cas une rupture dans ces principes. Dans l’affaire Sow, dans laquelle elle n’a pas conclu à la violation de l’article 13, la Cour a également remarqué que la requérante, qui a introduit trois demandes d’asile successives, a disposé chaque fois d’un recours suspensif de plein droit[49]. Dans les deux arrêts, la Cour a examiné la base de motivation des décisions adoptées par les autorités nationales et elle a analysé la manière suivant laquelle elles ont interprété le concept des nouveaux éléments. Rien dans cette jurisprudence ne peut être lu comme autorisant des automatismes concernant les demandes d’asile multiples ou la dérogation au principe d’un recours effectif. La Cour a souligné que le fait qu’il n’y avait pas violation de l’article 3 CEDH ne signifiait pas que le grief tiré de l’article 3 échappait au champ de l’article 13. Le grief présenté par la requérante était prima facie défendable et, donc, l’article 13 s’appliquait.

iv. Conclusions

L’approche de la Cour de justice dans l’affaire Tall pourrait être caractérisée de « formaliste ». Or, cette affaire ne marque pas de rupture dans l’obligation suivant laquelle un grief défendable de violation du principe de non-refoulement doit être examiné rigoureusement. En pratique, concernant les demandes d’asile multiples, la Cour valide l’approche suivie par le législateur européen en autorisant un système national dans lequel cet examen aura lieu au niveau du processus de retour, par exemple en attaquant un OQT. Mais, si tel est le cas, le requérant doit jouir, à ce stade, d’un recours de plein droit suspensif et l’Etat doit prendre en charge ses besoins de base. La jurisprudence de Strasbourg révèle, elle aussi, qu’un grief prima facie défendable doit être examiné attentivement, dans le cadre d’un recours suspensif de plein droit, et que les autorités nationales doivent se montrer aussi rigoureuses que possible. La Cour eur. D.H. a rappelé ces principes dans les affaires récentes contre la Belgique, M.D. et M.A. et Sow, et elle a, à plusieurs reprises, jugé[50] qu’un recours en annulation et en suspension ne remplissait pas ces exigences.

  L.T.

C. Pour en savoir plus

Consulter l’arrêt :

Arrêt Tall, C-239/14, EU:C:2015:824.

Jurisprudence :

- Arrêt Samba Diouf, C-69/10, EU:C:2011:524 ;

- Arrêt Abdida, C‑562/13, EU:C:2014:2453 ;

- Cour eur. D.H., 2 octobre 2012, Singh c. Belgique, req. n°33210/11 ;

- Cour eur. D.H., 27 février 2014, Josef c. Belgique, req. n°70055/10 ;

- Cour eur. D.H., 19 janvier 2016, Sow c. Belgique, req. n°27081/13 ;

- Cour eur. D.H., 19 janvier 2016, M.D. et M.A. c. Belgique, req. n°58689/12.

Doctrine :

- S. SAROLEA et S. DATOUSSAID, « La loi du 14 avril 2014, une effectivité laborieuse : Note d’analyse », Newsletter EDEM, juin 2014 ;

- S. SAROLEA (dir), L. TSOURDI, La réception du droit européen de l'asile en droit belge : la directive accueil, Louvain-la-Neuve, CeDIE, 2014 ;

- L.TSOURDI, « EU Reception Conditions : A Dignified Standard of Living ? », in V. Chetail, P. De Bruycker & F. Maiani (dir.), Reforming the Common European Asylum System: The New European Refugee Law, Martinus Nijhoff Publishers, 2016.

Pour citer cette note : L. Tsourdi, « Demandes d’asile ultérieures et droits européen et belge : un regard critique », Newsletter EDEM, janvier 2016.

 

[1] Conclusions de l’Avocat Général Cruz Villalon présentées le 3 septembre 2015 dans Arrêt Tall, C-239/14, EU:C:2015:824.

[2] Arrêt Tall, pt 32.  

[3] Charte, Article 52(3).

[4] Arrêt Tall, pt 54.

[7] Le considérant 36 de la refonte de la directive Procédures énonce caractéristiquement que : « [l]lorsqu’un demandeur présente une demande ultérieure sans apporter de nouvelles preuves ou de nouveaux argu­ments, il serait disproportionné d’obliger les Etats membres à entreprendre une nouvelle procédure d’examen complet. Les Etats membres devraient, en l’espèce, pouvoir rejeter une demande comme étant irrece­vable conformément au principe de l’autorité́ de la chose jugée. » 

[8] Article 2, q).

[9] Article 40(2). .

[10] Article 40(3).

[11] Ibid.

[12] Article 31(8).

[13] Article 33(2)(d).

[14] Article 40(5).

[15] Cour eur. D.H., 6 juin 2013, Mohammed c. Autriche,, req. n° 2283/12, pt 80.

[16] Cour eur. D.H., 20 septembre 2007, Sultani c. France, req. n° 45223/05, pt. 63.

[17] Cour eur. D.H., 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, req. n° 40035/98, pt. 50.  

[18] Cour eur. D.H., 19 janvier 2016, M.D. et M.A. c. Belgique, req. n° 58689/12.

[19] Ibid., pt 65.

[20] Ibid., pt. 64.

[21] Ibid.

[22] Refonte de la Directive Procédures, Article 9(1).

[23] Article 41(1)(a).

[24] Article 41(1).

[25] Refonte de la directive Accueil, Considérant 8 et Article 3(1).

[26] Article 20(1). Voy. S. SAROLEA (dir), L. TSOURDI, La réception du droit européen de l'asile en droit belge : la directive accueil, Louvain-la-Neuve 2014, CeDIE, pp. 131-138.

[27] Article 20(5).

[28] C’est-à-dire au minimum « les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves ».

[29] Article 20(5).

[30] L.TSOURDI, « EU Reception Conditions: A Dignified Standard of Living ? », in V. Chetail, P. De Bruycker & F. Maiani (dir.), Reforming the Common European Asylum System: The New European Refugee Law, Martinus Nijhoff Publishers, 2016.

[32] Article 46(1)(ii).

[33] Article 46(1)(i) ainsi que les Articles 31(8) et 32.

[34] Article 46(3).

[35] Article 46(5).

[36] Article 46(6)(a).

[37] Article 46(6)(b).

[38] Article 46(6).

[39] Article 46(8).

[40] Articles 46(1) et (2)(c) ainsi que infra section 2(ii).

[41] Arrêt Abdida, C-562/13, EU:C:2014:2453.

[42] Pour une analyse voy. L. TSOURDI, « Le régime belge de la régularisation médicale face au juge de l’Union européenne », Newsletter EDEM, novembre-décembre 2014.

[43] Cour eur. D.H., 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, , req. n° 30696/09, pt 288.

[44] Ibid., pt. 290.

[45] Cour eur. D.H., 12 avril 2005, Chamaïev et autres c. Géorgie et Russiereq. n° 36378/02, pt 448.

[46] Cour eur. D.H., 11 juillet 2000, Jabari c. Turquie, , req. n° 40035/98, pt. 50.

[47] Cour eur. D.H., 5 février 2002, Čonka c. Belgique, req. n° 51564/99, pts. 81-83.

[48] Cour eur. D.H., 19 janvier 2016, Sow c. Belgique, req. n°27081/13.

[49] Sow c. Belgique (précité), pt. 78.

[50] Voy. par exemple Cour eur. D.H., 2 octobre 2012, Singh c. Belgique, req. n°33210/11 ainsi que M.S.S. c. Belgique et Grèce (précité).

Publié le 09 juin 2017