C.J.U.E., 31 janvier 2017, Lounani, aff. C-573/14, EU:C:2017:71

Infractions terroristes et soutien aux activités terroristes : harmonisation par la C.J.U.E. de la notion d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies

A travers cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne poursuit sa jurisprudence relative à la clarification de la notion des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies visée à l’article 12, § 2, c), de la directive 2004/83. Après l’arrêt B et D relatif aux requérants impliqués dans des actes terroristes, la présente affaire se penche sur le soutien de tels agissements attribuables aux combattants étrangers. En considérant le soutien à une organisation terroriste comme un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies, la Cour de justice de l’Union européenne harmonise sa jurisprudence constante consacrée depuis de l’arrêt H.T. Recourant à l’interprétation évolutive, la Cour s’appuie sur la position actuelle du Conseil de sécurité des Nations Unies dont les résolutions clarifient la portée de la notion des buts et des principes des Nations Unies.

Art. 1 et 2 Charte des N.U. – Art. 1, F, c), Convention de Genève – Art. 12, § 2 et 3 Directive qualification – Art. 1 Décision-cadre 2002/475/JAI – Exclusion – Agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies – Soutien logistique à une organisation terroriste.

A. Arrêt

                1. Faits

Le requérant, originaire du Maroc, séjourne illégalement en Belgique depuis 1997. Après le rejet de sa première demande d’asile en Allemagne (1991), il introduit une nouvelle demande de protection auprès des autorités belges en 2010. A l’appui de sa demande, il allègue la crainte d’être persécuté en cas de retour au Maroc et le risque d’y être considéré comme islamiste radical et djihadiste. En effet, le tribunal correctionnel de Bruxelles lui reproche sa participation aux activités d’un groupe terroriste sans établir sa responsabilité dans la commission d’actes terroristes. Selon les faits retenus par le tribunal, il lui est imputé le « soutien logistique à une entreprise terroriste » par le biais, notamment, de services matériels ou intellectuels, de contrefaçon de passeports, de cession frauduleuse de passeport et d’organisation d’une filière d’envoi de volontaires en Irak (pt 30).

A la suite de sa demande d’asile en Belgique, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides l’exclut plus d’une fois de la protection internationale en se basant sur cette condamnation et, ce, en dépit de plusieurs décisions d’annulation du Conseil du contentieux des étrangers. Après trois recours en annulation contre les décisions de refus du Commissariat général, le Conseil du contentieux des étrangers lui reconnait la protection internationale aux motifs que le requérant n’a pas été condamné pour infractions terroristes. En fait, le Conseil reproche au Commissariat une mauvaise interprétation de la notion d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Pour ce faire, il réforme la décision du Commissariat en raison de l’absence de gravité requise pour l’application de la clause d’exclusion de l’article 12, § 2, sous c), de la directive qualification (pts 36-37).

Saisi pour la seconde fois d’un recours en cassation administrative, le Conseil d’Etat choisit cette fois la surséance plutôt que le renvoi comme précédemment décidé. Il pose cinq questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne, qui n’en retient que trois.

                2. Questions préjudicielles

Premièrement, la juridiction administrative s’interroge sur les conditions d’application de l’article 12, § 2, c), de la directive qualification. Ainsi, elle pose la question de savoir si cette disposition requiert la condamnation du requérant pour l’une des infractions terroristes au sens de l’article 1er, § 1, de la décision-cadre 2002/475. En d’autres termes, l’application de l’article 12, § 2, c), est-elle conditionnée par une décision de condamnation pour l’une des infractions terroristes visées à l’article 1er, § 1, de la décision-cadre ?

Se conformant à sa jurisprudence antérieurement établie depuis l’affaire B et D, la Cour de justice de l’Union européenne refuse d’interpréter la directive « qualification » à la lumière de la décision-cadre n°2002/475. Ce refus repose aussi bien sur le texte de la directive que sur le contexte de son élaboration. Du point de vue du texte, l’absence de référence à la décision-cadre dans la directive, contrairement à la Convention de Genève de 1951, atteste la volonté du législateur européen de ne pas se baser sur ce texte. Quant au contexte, la Cour relève que la directive qualification, à travers l’article 12, § 2, c), a pour but d’empêcher les « indignes » de bénéficier de la protection internationale. Par contre, la décision-cadre vise à rapprocher les définitions des infractions terroristes entre Etats membres. Il en résulte que les deux textes ont été élaborés dans deux contextes différents, à savoir la lutte contre le terrorisme d’une part et le contexte humanitaire, d’autre part.

La Cour conclut de ce qui précède que l’article 12, § 2, c), doit s’interpréter à la lumière de la Convention de Genève de 1951 plutôt que sur base de la décision-cadre. L’article 12, § 2, c), de la directive, à l’instar de l’article 1, F, de la Convention de Genève, renvoie à la notion d’agissements contraires aux principes et aux buts dont l’interprétation repose sur les résolutions des Nations selon le considérant 22 (pt 45). A partir de la résolution 1624 (2005), la Cour en déduit que les agissements contraires aux buts et aux principes ne se limitent pas aux infractions terroristes mais s’étendent également aux activités de financement, d’organisation, de préparation ou toute autre tentative. En conséquence, la Cour conclut à l’absence d’une exigence de condamnation pénale au sens de l’article 1 de la décision-cadre pour l’application de l’article 12, § 2, c), de la directive qualification (pt 54).

Deuxièmement, la juridiction administrative pose deux questions relatives, respectivement, au champ matériel et aux seuils de gravité des faits considérés comme des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Concernant le champ matériel, la juridiction administrative s’interroge sur le contenu de la notion des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. A cet effet, elle se demande si les faits reprochés aux requérants constituent des agissements contraires aux buts des Nations Unies.

Au sujet des seuils de gravité, le Conseil d’Etat se demande si la condamnation pénale est un indice pour constater l’existence d’un agissement contraire aux buts et aux principes des Nations Unies. En cas de réponse négative, est-il requis de procéder nécessairement à un examen individuel des faits de la cause ?

Après avoir statué sur la recevabilité, la Cour de justice répond simultanément aux deux questions.

A cet effet, elle ne considère pas le soutien logistique à une organisation terroriste, en soi, comme un agissement contraire aux buts et principes des Nations Unies. Elle préconise une évaluation des faits en tenant compte de chaque cas dont l’examen revient aux autorités nationales. Pour déterminer l’incompatibilité des faits examinés aux buts et principes des Nations Unies, elle se base sur un faisceau d’indices dont l’examen aboutit à répondre à la deuxième question relative aux seuils de gravité. Pour qu’un agissement implique l’application de l’article 12, il y a lieu de prendre en compte certaines indications telles que la dimension internationale du groupe et de leurs activités, l’inscription sur la liste des Nations Unies, etc.

Or, les faits reprochés au requérant atteignent les seuils de gravité requis au regard des indications formulées ci-dessus. Selon la Cour,

 « Il était membre dirigeant d’un groupe terroriste de dimension internationale qui a été inscrit, le 10 octobre 2002, sur la liste des Nations Unies (…) et qui est demeuré sur cette liste, depuis lors mise à jour. Ses activités de soutien logistique aux activités de ce groupe revêtent une dimension internationale dans la mesure où il a été impliqué dans la contrefaçon de passeports et a aidé des volontaires souhaitant se rendre en Irak » (pts 74).

Par conséquent, la Cour en déduit que ces faits sont à même de justifier de l’exclusion du statut de réfugié.

B. Éclairage

Le raisonnement de la Cour soulève deux observations liées, d’une part à l’interprétation large de la cause d’exclusion de l’article 12, § 2, c) et, d’autre part, à l’interprétation évolutive basée sur les résolutions du conseil de sécurité des Nations Unies.

Plusieurs remarques ont été formulées à l’égard de cet arrêt au sujet de l’interprétation large de la clause d’exclusion. Selon le professeur Steve Peers, « the court’s judgement asserts a broad scope of the exclusion clause, meaning that a degree of support for foreign fighters will also result in exclusion from refugee status ».[1] En fait, cet auteur qualifie ce raisonnement de large au regard de l’arrêt B et D. Dans cet arrêt, la Cour semble limiter l’application de la cause d’exclusion de l’article 12, § 2, c), de la directive qualification aux auteurs d’infractions terroristes ou à « anyone who has been directly involved in terrorist acts ».[2]

Pourtant, cette vision centrée sur l’arrêt B et D ignore celle adoptée ultérieurement par l’arrêt HT. Dans cet arrêt, la Cour avait jugé « également que le soutien à une association terroriste inscrite sur la liste annexée à la position commune 2001/931/PESC du Conseil relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme peut constituer une des « raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public »[3], au sens de l’article 24, § 1er, de la directive qualification.

Par conséquent, le raisonnement de la Cour dans le présent arrêt s’inscrit dans le cadre de l’harmonisation de sa jurisprudence relative aux activités terroristes plutôt que dans l’interprétation large de la clause d’exclusion. Si cet argument basé sur l’harmonisation de la jurisprudence n’est pas contestable sur le plan systémique, il n’en est pas moins critiquable du point de vue de la comparabilité. En effet, les arrêts Lounani et B et D, d’une part, et l’arrêt HT, d’autre part, ne sont pas comparables. Les premiers concernent la clause d’exclusion de l’article 12 alors que le second analyse la révocation du titre de séjour d’un réfugié au sens des articles 21 et 24 de la directive « qualification ». Le point en commun entre les trois arrêts, comme le relève par ailleurs l’avocat général, est la consécration de l’approche actuelle du Conseil de sécurité selon laquelle « les actes de terrorisme international sont contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».[4] En interprétant l’article 12, § 2, sous c), à la lumière des résolutions des résolutions du Conseil de sécurité, la Cour de justice participe à l’harmonisation de sa jurisprudence relative aux activités terroristes.

Le recours aux résolutions du Conseil, qui sous-tend le raisonnement de la Cour, conduit à l’examen de la deuxième observation relative à l’interprétation évolutive. Ce principe interprétatif signifie que « la Convention est un instrument vivant devant être interprété à la lumière des conditions actuelles et conformément aux développements du droit international ».[5] En se fondant sur les résolutions adoptées depuis 2001 jusqu’à ce jour, la Cour clarifie la notion d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies à la lumière de la position actuelle du Conseil de sécurité. Ce raisonnement repose sur le considérant 22 de la directive qualification. Selon ce considérant,

« Les agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies sont évoqués dans le préambule et aux articles 1er et 2 de la charte des Nations unies et précisés, entre autres, dans les résolutions des Nations unies concernant les « mesures visant à éliminer le terrorisme international».[6]

La motivation de la Cour relève la nature dynamique de la notion d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. Cela s’explique par le fait que, « the UN Charter also has a dynamic aspect, and in certain areas the practical content of declared purposes and principles must be determined in the light of more general developments ».[7]

Néanmoins, cet aspect dynamique, associé aux prises de position récurrentes du Conseil de sécurité, peut susciter la crainte d’une interprétation large et flexible de la clause d’exclusion dont la nature commande à une interprétation stricte. Dès lors, il y a lieu de s’interroger sur l’effet d’un tel raisonnement sur le champ d’application de l’article 12, § 2, c), de la directive qualification.

En recourant aux résolutions du Conseil de sécurité au titre de pratique interprétative, la Cour de justice de l’Union européenne ne va pas ni au-delà du texte de la Convention de Genève ni du contexte de son élaboration.

Sur le plan du texte, l’article 1, F, de la Convention de Genève auquel correspond en substance l’article 12, § 2, c) de la directive renvoie à la notion des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Pour interpréter cette notion, il convient de se référer à la pratique des organes des Nations Unies, à savoir l’Assemblée Générale et le Conseil de sécurité. Or, ces résolutions considèrent le terrorisme international comme des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Par conséquent, il se dégage une obligation de l’Etat de refuser le statut de réfugié à toute personne impliquée dans des activités terroristes. En d’autres termes, le non-respect de la pratique découlant de ces résolutions entraine la violation de la Convention elle-même[8].

Sur le plan contextuel, l’interprétation adoptée par la Cour et découlant de ces résolutions n’est pas contraire aux objectifs de la clause d’exclusion, à savoir le refus de la protection internationale à l’indigne et aux auteurs de certains crimes graves. L’avocat général le relève à juste titre dans ses conclusions[9] et la Cour le suit en considérant les faits reprochés à Monsieur Lounani comme pouvant justifier l’exclusion du statut de réfugié[10]. En fait, la Cour de justice l’exclut en tant qu’ « indigne » plutôt que comme auteurs de crimes graves.

Après les observations, deux enseignements peuvent résulter de cet arrêt. D’une part, il confirme la dimension internationale de la notion d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. En d’autres termes, les activités terroristes d’un individu pris isolement ne sauraient « revêtir suffisamment de poids sur la scène internationale »[11] pour entrainer l’application de l’article 12, § 2, c), de la directive qualification.

D’autre part, cet arrêt met en évidence le revers de l’interprétation évolutive. Si d’habitude, on y recourt pour protéger les demandeurs d’asile, rien n’empêche aux instances d’asile de l’utiliser afin de limiter le champ d’application des textes juridiques en écartant les indignes de la protection internationale.

T.M.

C. Pour aller plus loin

Consulter l’arrêt : C.J.U.E., 31 janvier 2017, M. Lounani, C-573/14; ECLI:EU:C:2017:71.

Doctrine :

Peers S. , « Foreign fighters helpers excluded from refugee status: the ECJ clarifies the law », EU Law Analysis, 31 January 2017.

 

Pour citer cette note : T. Maheshe, « Infractions terroristes et soutien aux activités terroristes : harmonisation par la C.J.U.E. de la notion d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies », Newsletter EDEM, avril 2017.    

 

[1] Steve Peers, “Foreign fighters helpers excluded from refugee status: the ECJ clarifies the law”, EU Law Analysis, 31 January 2017.

[2] Ibidem.

[3] H. Gribomont, « Révocation du titre de séjour d’un réfugié et ‘raisons impérieuses liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public’ : clarification de la C.J.U.E. », Newsletter EDEM, août 2015.

[4] Conclusions de l’Avocat Général Mme Eleanor Sharpston présentées le 31 mai 2016 dans M. Lounani, affaire C-573/14, par. 49.

[5] Idem, par. 31. Voy. aussi H.C.R., « Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés », Genève, 2011, p. 1.

[6] Considérant 22 de la directive qualification.

[7] G.S. Goodwin-Gill and J. McAdam, « The refugee in international law, 3th Edition, Oxford University press, 2007, p. 185.

[8] P. D’Argent et P. D’Huart, « L’article 1, F, c), de la Convention de Genève relative au statut de réfugié du 28 juillet 1951 : éléments matériels », in V. Chetail et L.-Chevalier, « Asile et extradition : théorie et pratique de l’exclusion du statut de réfugié », Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 104.

[9] Conclusions de l’Avocat Général Mme Eleanor Sharpston présentées le 31 mai 2016 dans M. Lounani, affaire C-573/14, par. 49.

[10] C.J.U.E., 31 janvier 2017, M. Lounani, C-573/14; ECLI:EU:C:2017:71, par. 75.

[11] S. Saroléa (Dir.), L. Leboeuf, « La réception du droit européen de l’asile : la directive qualification », Louvain-la-Neuve, 2014, p. 133.

Publié le 07 juin 2017