Délit de séjour irrégulier et directive retour : révision en vue de la jurisprudence de la Cour de cassation.
La C.J.U.E. rejette l’application d’une disposition non transposée de la directive retour utilisée pour exclure certaines personnes de son champ d’application. Cela renvoie à une autre affaire où la Cour de cassation belge avait utilisé un tel moyen pour rejeter un examen de la conformité du délit de séjour irrégulier avec la jurisprudence de la C.J.U.E.
Interdiction d’entrée – Réglementation nationale prévoyant l’interdiction d’entrée sans limitation dans le temps en l’absence d’une demande de limitation – Infraction – Non transposition de la directive retour – Pas d’application possible des exceptions à son champ d’application – Notamment les ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour.
A. Arrêt
Plusieurs questions préjudicielles ont été posées dans le cadre de poursuites pénales engagées contre MM. Filev et Osmani, ressortissants respectivement de Macédoine et de Serbie, à la suite de leur entrée sur le territoire allemand plus de cinq ans après leur expulsion d’Allemagne, en violation des interdictions d’entrée, non limitées dans le temps, dont les décisions d’expulsion prises à leur encontre étaient assorties.
La C.J.U.E. a considéré qu’il ressort de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE qu’il existe une obligation pour les États membres de limiter les effets dans le temps, en principe à cinq ans au maximum, de toute interdiction d’entrée, et ce, indépendamment d’une demande présentée par le ressortissant concerné aux fin d’obtenir une limitation dans le temps de cette interdiction. Cet article 11 s’oppose donc au maintien des effets d’interdictions d’entrée ayant une durée illimitée imposées avant la date d’applicabilité de la directive 2008/115 au-delà de la durée maximale d’interdiction prévue à cette disposition. Aucune infraction à une telle interdiction d’entrée ne pourrait donc donner lieu à une sanction pénale.
Relativement aux sanctions pénales, la cour a ensuite rappelé que l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/115 permet aux États membres de décider de ne pas appliquer celle-ci aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour. Elle a alors constaté que, pour autant qu’un État membre n’a pas encore fait usage de cette faculté après l’expiration du délai de transposition de la directive, notamment en raison du fait qu’il n’a pas encore transposé la directive dans son droit national, il ne saurait se prévaloir du droit de restreindre le champ d’application personnel de cette directive au titre de son article 2, paragraphe 2, sous b), à l’égard des personnes auxquelles les effets de ladite directive étaient déjà applicables.
B. Éclairage
Cet arrêt présente un intérêt particulier pour le droit belge à l’endroit de la conformité du délit de séjour irrégulier prévu à l’article 75, alinéa 1, de la loi du 15 décembre 1980 avec la directive 2008/115/CE. L’article 75, alinéa 1, se lit comme suit : « l’étranger qui entre ou séjourne illégalement dans le Royaume est puni d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six EUR à deux cent EUR ou d’une de ces peines seulement ».
La C.J.U.E. avait considéré, en décembre 2011, dans un arrêt Achughbabian, que la directive retour ne s’opposait pas à une réglementation d’un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales pour autant que celle-ci permette l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers auquel (1) la procédure de retour établie par ladite directive a déjà été appliquée et (2) qui séjourne irrégulièrement sur ledit territoire sans motif justifié de non-retour[1]. Dès lors que cet article 75 n’incluait pas ces deux conditions – une application préalable de la procédure de retour et un séjour sans motif justifié de non-retour – sa conformité au droit européen a été contestée devant la Cour de cassation. Celle-ci a alors considéré, dans un arrêt du 14 décembre 2011, que : « les ressortissants de pays tiers ayant, outre le délit de séjour irrégulier, commis un ou plusieurs autres délits peuvent le cas échéant, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive[2], être soustraits au champ d’application de celle-ci. Il ressort de l’arrêt attaqué que le demandeur a commis d’autres délits que celui consistant à séjourner irrégulièrement sur le territoire du Royaume. Partant, les juges d’appel n’ont pas violé le droit communautaire en appliquant au demandeur la peine d’emprisonnement prévue par l’article 75, alinéa 3, de la loi du 15 décembre 1980 »[3].
On rappelle que la directive retour devait être transposée au plus tard le 24 décembre 2010[4], qu’elle ne l’a été que le 19 janvier 2012[5] et que l’arrêt a été rendu le 14 décembre 2011. Pourtant, la Cour s’est directement référée à l’article 2, paragraphe 2, sous b) non transposé. Cette approche contredit l’éclairage nouveau de la C.J.U.E. susmentionné : « pour autant qu’un État membre n’a pas encore fait usage de cette faculté après l’expiration dudit délai de transposition, notamment en raison du fait qu’il n’a pas encore transposé la directive 2008/115 dans son droit national, il ne saurait se prévaloir du droit de restreindre le champ d’application personnel de cette directive au titre de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de celle-ci à l’égard des personnes auxquelles les effets de ladite directive étaient déjà applicables »[6].
Dans le cas d’espèce, on observe en outre que cet article 2, paragraphe 2, point b, n’a finalement pas été transposé dans l’ordre juridique belge. Au vu de cela, la Cour de cassation aurait dû s’interroger sur la conformité de l’article 75 à l’enseignement de la jurisprudence Achughbabian. Désormais, tous les éléments sont réunis pour qu’elle revienne sur cette jurisprudence. De son côté, le législateur devrait conditionner la sanction pénale d’emprisonnement de l’étranger en séjour irrégulier à l’application préalable des mesures coercitives prévues aux fins d’éloignement et au séjour irrégulier sans motif justifié de non-retour du ressortissant concerné sur le territoire national.
P.dH.
C. Pour en savoir plus
Pour consulter l’arrêt : C.J.U.E., 19 septembre 2013, Gjoko Filev et Adnan Osmani c. Allemagne, C-297/12, non encore publié au Rec.
Législation
Art. 75 de la Loi du 15 décembre 1980.
Jurisprudence
C.J.U.E., 6 décembre 2011, Achughbabian c. France, C-329/11, non encore publié au Rec.
C.J.U.E., 28 avril 2011, El Dridi c. Italie, C-61/11, non encore publié au Rec.
Cass. (2e ch.), arrêt no P.11.1623.F, 14 décembre 2011.
Pour citer cette note : P. d’Huart, « Délit de séjour irrégulier et directive retour : révision de sa jurisprudence en vue pour la cour de cassation », Newsletter EDEM, décembre 2013.
[1] C.J.U.E., 6 décembre 2011, Achughbabian c. France, C-329/11, non encore publié au Rec., § 50.
[2] Art. 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE : « Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers : b) faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition ».
[3] Cass. (2e ch.), arrêt no P.11.1623.F, 14 décembre 2011.
[4] Art. 20, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE.
[5] Loi du 19 janvier 2012 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, M.B., 17 février 2012.
[6] C.J.U.E., 19 septembre 2013, Gjoko Filev et Adnan Osmani c. Allemagne, C-297/12, non encore publié au Rec., §§ 52-53.