C.C.E., arrêt n°134 477 du 2 décembre 2014

Le risque de contamination par le virus Ebola ne donne pas lieu au constat d’un besoin de protection internationale.

Le C.C.E. confirme le refus de prendre en considération une demande d’asile subséquente fondée sur la crainte d’être contaminé par le virus Ebola. Cette décision de refus est fondée sur deux arguments. Le premier, basé sur l’exigence d’individualisation du risque, reproche au requérant de ne pas établir in concreto le risque de subir personnellement une atteinte grave. Le second, fondé sur l’absence de protection accessible dans le pays d’origine, aboutit au constat que la responsabilité des autorités ou d’un des autres acteurs visés à l’art. 48/5 n’est pas établie.

Articles 48/4 et 48/5 – Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers – Risque réel – Acteur de persécution – Épidémie d’Ebola - Rejet.

A. Arrêt

Le requérant, de nationalité libérienne, est arrivé en Belgique le 22 avril 2012, bien avant l’apparition de l’épidémie d’Ebola dans son pays d’origine. Il introduit une première demande d’asile dans laquelle il invoque avoir été réduit en esclavage par un cultivateur en Côte d’Ivoire, pays où il avait résidé. Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après C.G.R.A.) prend une décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié et de refus d’octroi de la protection subsidiaire en se fondant sur l’absence de crédibilité. En appel, le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après C.C.E.) confirme la décision du C.G.R.A. Faute d’un recours devant le Conseil d’Etat, la décision est définitive sur l’évaluation des faits.

Suite à ce rejet et sans être retourné dans son pays d’origine, le requérant introduit une seconde demande d’asile le 17 septembre 2014. Il invoque la prévalence et l’ampleur du virus Ebola comme élément nouveau en l’étayant de plusieurs sources documentaires. Le C.G.R.A. lui refuse la qualité de réfugié et la protection subsidiaire.

Le C.C.E. confirme la décision du C.G.R.A. en adoptant une motivation à deux volets fondée sur les articles 48/4 et 48/5 de la loi sur les étrangers. Premièrement, le C.C.E. constate que le C.G.R.A. a « à bon droit considéré que les faits allégués par le requérant ne ressortissent pas au champ d’application de l’article 48/4 » (point 4.12). Analysant la notion du risque réel, il reproche au requérant de n’avoir pas établi in concreto qu’il risque de subir personnellement une atteinte grave, le risque demeurant hypothétique (point 4.8). Deuxièmement, le C.C.E. analyse les motifs de l’acte attaqué relatif à l’article 48/5. Il arrive à la conclusion qu’un défaut de protection au sens de cette disposition ne peut être imputé à l’Etat libérien sur la base de la propagation du virus Ebola. Le C.C.E. rejette ainsi l’argument du requérant basé sur l’hypothèse de l’incapacité de protection dans le chef de l’Etat libérien en arguant que la question de la protection de l’État ne se pose que lorsque l’auteur des atteintes graves alléguées est un des acteurs non étatiques identifiés aux litera b) et c).

Or le requérant, selon le juge, n’est pas en mesure d’identifier un quelconque auteur des atteintes graves. Par conséquent, le C.C.E. constate qu’un défaut de protection tel qu’allégué par le requérant ne pourrait être imputé à l’État libérien (point 4.11).

Sans devoir poser la question préjudicielle proposée par le requérant (point 4.13), le C.C.E. conclut à une décision de rejet dont l’examen est focalisé sur l’identité de l’acteur des atteintes graves.

B. Éclairage

Après avoir constaté que le débat porte sur l’existence d’un risque réel d’atteinte grave au sens de l’art. 48/4 de la loi sur les étrangers, le C.C.E. focalise son attention sur l’identification des acteurs des atteintes graves et celle du risque réel. Pour que le risque allégué par le requérant tombe dans le champ d’application de l’art. 48/4 de la loi sur les étrangers, il exige que la responsabilité des autorités ou des acteurs non étatiques au sens de l’art. 48/5 soit établie. Ainsi, il constate que « la partie requérante est en défaut d’identifier un quelconque acteur des atteintes graves (…) et le C.C.E. n’aperçoit par conséquent pas en quoi un défaut de protection au sens de l’art. 48/5 précité pourrait être imputé à l’Etat libérien »[1]. En d’autres termes, le C.C.E. conditionne l’application de cette disposition à l’identification d’un acteur non étatique pour qu’une protection soit octroyée en cas de défaut de protection de l’État.

L’interprétation par le C.C.E. de l’article 48/5 et l’exigence d’identification de l’acteur appellent quelques commentaires. L’identité de l’acteur importe-t-elle réellement ? L’analyse ne devrait-elle pas se concentrer sur l’existence d’une protection effective contre l’atteinte grave dans le pays d’origine plutôt que sur l’identité de l’auteur ? La question centrale à cette disposition n’est pas tant l’identification de l’acteur pour en déduire une responsabilité de l’État mais de démontrer l’absence de protection de la part des autorités du pays en présence d’une atteinte grave émanant d’acteurs privés[2].

Il n’est pas certain que le C.C.E. abandonne l’approche développée dans l’arrêt sous examen. Les arrêts M’Bodj et Abdida de la C.J.U.E. intervenus[3] après celui du C.C.E., dont la motivation coïncide avec les conclusions de l’avocat général[4], se prononcent sur la responsabilité des acteurs d’atteintes graves. Dans M’Bodj, la C.J.U.E. considère que le risque de subir une violation de l’article 3 CEDH ne relève pas de la protection subsidiaire car la responsabilité des acteurs figurant à l’article 6 de la directive qualification n’est pas établie. Or dans Elgafaji, la C.J.U.E. a considéré que « l’article 15 b) correspond en substance à l’article 3 CEDH »[5] sans préciser le contour de cette substance. Dans M’Bodj, l’avocat général a tenté de préciser la portée de l’article 15 b) sans s’écarter du dictum de l’arrêt Elgafaji[6]. Après une analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt D. c. Royaume-Uni)[7], il arrive à la conclusion suivante : « Pour qu’une personne puisse être considérée comme susceptible de bénéficier de la protection subsidiaire, il n’est donc pas suffisant de prouver que celle-ci courrait un risque d’être exposée à un traitement inhumain ou dégradant une fois de retour dans son pays d’origine, encore faut-il démontrer que ce risque provient de facteurs qui sont directement ou indirectement imputables aux autorités publiques de ce pays soit que les menaces pesant sur l’intéressé sont le fait des autorités du pays dont il a la nationalité ou sont tolérées par ces autorités, soit que ces menaces sont le fait de groupes indépendants contre lesquels les autorités de son pays ne sont pas en mesure d’assurer une protection effective à leurs ressortissants »[8]. L’avocat général ne remet pas en question l’affirmation de la C.J.U.E. dans Elgafaji mais il la précise. Désormais, l’article 15, b), « correspond en substance à l’article 3 de la CEDH », ce qui implique aussi qu’une responsabilité d’acteurs étatiques ou non-étatiques soit démontrée pour prétendre à la protection subsidiaire. La C.J.U.E. s’alignant sur les conclusions de l’avocat général en a déduit deux conditions d’application de l’article 15, b) :

  • Un risque de subir les traitements inhumains et dégradants dans son pays d’origine[9] ;
  • La responsabilité des auteurs des atteintes graves figurant à l’art. 6[10].

L’arrêt du C.C.E suit ce raisonnement en s’inspirant non pas de la C.J.U.E. mais des conclusions de l’avocat général. Un pari gagné car la C.J.U.E. ne s’en est pas écarté. Mais la décision du C.C.E. demeure sujette à critique comme relevé ci-haut.

Ces trois arrêts traduisent la difficulté d’identifier et de démontrer la responsabilité des acteurs de persécution s’agissant des violations des droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, les juridictions constatent les insuffisances générales du système de santé[11] et la gravité de l’épidémie[12] dans les pays d’origine sans octroyer la protection subsidiaire faute d’un risque concret et l’absence d’imputabilité de ces faits aux acteurs des atteintes graves.

T.M.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., arrêt n° 134 477 du 2 décembre 2014.

Jurisprudence

- C.J.U.E., 18 décembre 2014, Mohamed M’Bodj c. État belge.

- C.J.U.E., 18 décembre 2014, Centre public d’action sociale d’Ottignies-Louvain-la-Neuve c. Moussa Abdida, C-562/13.

- C.J.U.E., 17 février 2009, Elgafaji, aff. C-465/06.

Doctrine

- S. Saroléa (dir.), Luc Leboeuf, « La réception du droit européen de l’asile : la directive qualification », Louvain-la-Neuve, 2014.

- L. Tsourdi, « Le régime belge de la régularisation médicale face au juge de l’Union européenne », Newsletter EDEM, novembre-décembre 2014.

Pour citer cette note : T. Maheshe, « Le risque de contamination par le virus Ebola ne donne pas lieu au constat d’un besoin de protection internationale », Newsletter EDEM, janvier 2015.


[1] C.C.E., arrêt n° 134 477 du 2 décembre 2014, point 4.11.

[2] S. Saroléa (dir.), Luc Lebœuf, « La réception du droit européen de l’asile : la directive qualification », Louvain-la-Neuve, 2014, p. 75.

[3] Voy. à ce sujet : L. Tsourdi, « Le régime belge de la régularisation médicale face au juge de l’Union européenne », Newsletter EDEM, novembre-décembre 2014.

[4] Voy. les conclusions de l’avocat général M. Yves Bot, présentées le 4 septembre 2014 dans C.J.U.E., Abdida, aff. C‑562/13, par. 76-77.

[5] C.J.U.E., 17 février 2009, Elgafaji, aff. C-465/06, par. 28.

[6] Voy. les conclusions de l’avocat général M. Yves Bot, présentées le 17 juillet 2014 dans C.J.U.E., M’Bodj, Aff. C‑542/13, par. 43.

[7] Ibid., par. 44-46.

[8] Ibid., par. 58.

[9] C.J.U.E, 18 décembre 2014, Mohamed M'Bodj c. État belge, C-542/13, par. 32.

[10] Ibid., par. 35.

[11] Ibid., par. 35.

[12] C.C.E., op. cit., point 1 B.

Publié le 13 juin 2017