C.C.E., arrêt n°119.223 du 20 février 2014

Le certificat médical comme élément nouveau. Bis repetita.

Le Conseil du contentieux des étrangers annule une décision de refus de prise en considération d’une demande d’asile multiple pour défaut de prise en compte d’un certificat médical attestant de troubles psychologiques (PTSD).

Art. 51/8 et 57/6/2 de la loi du 15.12.1980 – Éléments nouveaux – Demande d’asile subséquente – Certificats médicaux attestant d’un état de stress post-traumatique – Annulation.

A. Arrêt

Le requérant, de nationalité soudanaise, a introduit une première demande d’asile en tant que MENA le 19 février 2009, invoquant entre autres le fait qu’il avait été enrôlé de force comme enfant-soldat. Le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (ci-après : C.G.R.A.) a rejeté sa demande d’asile pour absence de crédibilité ; cette décision a été confirmée par le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après : C.C.E.).

Le 13 mars 2013, le requérant introduit une seconde demande d’asile, en présentant, comme éléments nouveaux, divers certificats médicaux attestant de ce qu’il souffre d’un stress post-traumatique (PTSD) et que cette maladie a un impact négatif sur sa capacité à être interrogé par les instances belges d’asile. Le dernier certificat médical déposé fait état d’une amélioration de son état, après de longs mois de traitement.

Le 15 mars 2013, l’Office des étrangers (ci-après : O.E.), alors encore compétent pour ce faire, prend une décision de refus de prise en considération de cette seconde demande d’asile. Un recours est introduit contre cette décision auprès du C.C.E. qui l’annule par l’arrêt n°108.583 du 26 août 2013[1].

Le 4 octobre 2013, le C.G.R.A., alors nouvellement compétent pour ce faire, prend une nouvelle décision de refus de prise en considération d’une demande d’asile multiple, sans entendre le requérant.

Le C.G.R.A. refuse à nouveau de considérer les certificats médicaux déposés comme des éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que le requérant soit reconnu réfugié, basant sa décision sur les motifs suivants :

  1. Les certificats médicaux mettent en doute la capacité du requérant à être interrogé par les instances belges d’asile au vu du stress post-traumatique dont il souffre, mais, dans le même temps, le C.G.R.A. remarque que le requérant n’a jamais fait mention, lors de son audition à l’O.E., de problèmes psychologiques ou de problèmes de concentration. Le C.G.R.A. insiste en outre sur le fait que le requérant a pu répondre aux questions.
  2. Le C.G.R.A. insiste sur le fait que les certificats médicaux sont postérieurs de trois ans à l’arrivée du requérant en Belgique, et datent de plus d’un an et demi après le premier arrêt négatif du C.C.E.
  3. Enfin, le C.G.R.A. explique ne pas pouvoir considérer les certificats médicaux comme éléments nouveaux en ce que le diagnostic de PTSD est basé sur les déclarations du requérant qui ont été jugées comme non crédibles par le C.G.R.A. et par le C.C.E. dans le cadre de sa première demande d’asile.

L’arrêt commenté rejette tous les arguments défendus par le C.G.R.A. et par l’Etat belge, également présent à la cause.

Le C.C.E. reprend tout d’abord les constatations médicales se trouvant dans les documents déposés. Il relève que le médecin spécialiste a constaté que le requérant présentait tous les symptômes objectifs du PTSD et qu’il répondait donc aux conditions de base du PTSD. Il souligne que la dernière attestation médicale mentionne les progrès réalisés par le requérant en thérapie, ainsi que le fait que le médecin est d’avis que, désormais, une audition du requérant serait possible dans de bonnes conditions.

Partant de ces prémisses, le C.C.E. répond point par point à l’argumentation du C.G.R.A. :

  1. Le fait que ni le requérant, ni son avocat, n’aient spontanément remarqué, lors de ses auditions, les difficultés qui s’étaient fait jour, est irrelevant, et n’est pas de nature à affaiblir la force des constatations médicales consignées dans les documents médicaux déposés. Il en est de même du fait que le requérant n’a commencé son traitement médico-psychologique qu’un an et demi après avoir reçu sa première décision négative.
  2. Par contre, il est important de prendre en considération la réelle possibilité et la réelle capacité d’une personne de répondre aux questions qui lui sont posées lors d’une audition. Le C.C.E. est d’avis que l’état psychologique du requérant, attesté par les constatations du médecin, peut avoir joué un rôle sur cette capacité.
  3. L’argument du C.G.R.A. selon lequel il ne faudrait pas tenir compte des éléments médicaux apportés parce qu’ils se basent sur les déclarations du requérant est écarté. Les constatations médicales sont basées sur des éléments bien plus larges que les seules déclarations du requérant. Le médecin a analysé de manière précise les différents symptômes objectifs attestant du PTSD dont souffre le requérant.

Insistant enfin sur la nécessité d’examiner les documents médicaux présentés dans le cadre d’une demande d’asile avec la prudence nécessaire[2], le C.C.E. annule la décision du C.G.R.A., et ce avec d’autant plus de conviction qu’il apparaît que le requérant est désormais en état de réaliser une audition et qu’il n’a pas été réentendu.

B. Éclairage

L’arrêt commenté, fait suite à un précédent arrêt du C.C.E., déjà commenté dans le cadre d’une Newsletter de l’EDEM[3], et dans lequel la juridiction administrative avait déjà eu l’occasion de rappeler aux instances d’asile qu’il fallait prendre en compte les certificats médicaux qui attestent de la vulnérabilité des demandeurs et de son impact sur l’examen de la crédibilité de leurs déclarations.

Il s’inscrit dans une tendance très claire que les instances d’asile ne peuvent désormais plus ignorer : les juridictions belges et internationales insistent sur la prise en compte des certificats médicaux dans le cadre des procédures d’asile, tant au niveau de l’examen au fond des demandes et de l’examen de crédibilité qui y est attaché, qu’au niveau du risque de violation de l’article 3 C.E.D.H. en cas de retour.

L’arrêt commenté, provenant d’une chambre néerlandophone du C.C.E., confirme la position déjà adoptée par une chambre francophone dans son arrêt n°99380 du 23 mai 2013, où le C.C.E. avait pris en compte une attestation faisant état d’un trouble psychologique pour asseoir la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile[4].

Il s’inscrit également dans le sillon de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, telle qu’elle résulte entre autres des arrêts R.J. c. France[5] et I. c. Suède[6].

Gageons que, enfin, les instances belges d’asile entendent cette jurisprudence et en appliquent les enseignements lors de l’examen de demandes d’asile, fussent-elles « multiples ». Le C.C.E. leur enjoint, dans l’arrêt commenté, non seulement de tenir compte des certificats médicaux déposés, mais également d’entendre une nouvelle fois les demandeurs lorsque le trouble dont ils sont atteints a potentiellement pu influer sur leur capacité à répondre aux questions qui leur étaient posées lors des interviews précédentes.

M.L.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., arrêt n° 119.223 du 20 février 2014.

Doctrine

L. Leboeuf, « Le certificat médical comme élément nouveau », Newsletter EDEM, septembre 2013.

M. Lys, « L’absence de crédibilité d’un demandeur d’asile ne peut occulter la prise en compte cumulée d’un certificat médical et de facteurs relatifs à la situation sécuritaire générale d’un pays dans l’évaluation du risque de mauvais traitements en cas de retour », Newsletter EDEM, septembre 2013.

S. Saroléa, « La prise en compte des attestations psychologiques », Newsletter EDEM, juin 2013.

S. Sarolea, « Le renvoi d’un demandeur d’asile sri lankais portant des cicatrices compatibles avec la torture relatée entraîne une violation de l’article 3 CEDH », Newsletter EDEM, septembre 2013.

M. Tissier-Raffin, « La force probante des certificats médicaux dans l’appréciation du risque de violation de l’article 3 de la CEDH », Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 23 octobre 2013.

Pour citer cette note : M. LYS, « Le certificat médical comme élément nouveau. Bis repetita. », Newsletter EDEM, mars 2014.


[1] Voy. L. Leboeuf, « Le certificat médical comme élément nouveau », Newsletter EDEM, septembre 2013.

[2] De manière intéressante, le C.C.E. tire cette obligation du rapport au Roi concernant l’article 23, § 1, du Règlement de procédure devant le C.G.R.A., affirmant que, si les dispositions du rapport au Roi n’ont pas force de loi, elles donnent bel et bien des indications sur la ratio legis des normes adoptées.

[3] L. Leboeuf, « Le certificat médical comme élément nouveau », op. cit.

[4] S. Saroléa, « La prise en compte des attestations psychologiques », Newsletter EDEM, juin 2013.

[5] S. Sarolea, « Le renvoi d’un demandeur d’asile sri lankais portant des cicatrices compatibles avec la torture relatée entraîne une violation de l’article 3 CEDH », Newsletter EDEM, septembre 2013.

[6] M. Lys, « L’absence de crédibilité d’un demandeur d’asile ne peut occulter la prise en compte cumulée d’un certificat médical et de facteurs relatifs à la situation sécuritaire générale d’un pays dans l’évaluation du risque de mauvais traitements en cas de retour », Newsletter EDEM, septembre 2013.

Publié le 16 juin 2017