Annulation par le C.C.E d’une décision de refus de protection internationale pour défaut d’assistance d’un interprète lors de l’audition au CGRA.
Le Conseil du contentieux des étrangers annule une décision de refus de protection internationale pour irrégularité substantielle au motif que le dossier administratif ne permet pas de savoir avec certitude que le demandeur a été assisté d’un interprète.
Décision de refus de statut des réfugiés – Décision d’annulation par le C.C.E. – Irrégularité substantielle – Défaut d’assistance d’un interprète – Article 51/4 de la loi du 15 décembre 1980.
A. Arrêt
La requérante, de nationalité burundaise et d’origine ethnique tutsi, introduit une demande d’asile en Belgique au motif qu’elle a été abusée pendant de nombreuses années par un homme à qui elle avait été confiée par sa sœur.
Le C.G.R.A. refuse de lui accorder une protection internationale en raison de l’absence de crédibilité de son récit.
La requérante conteste, dans son recours, la motivation de la décision négative du C.G.R.A. Elle relève une irrégularité substantielle devant, à tout le moins, conduire à l’annulation de la décision en ce qu’il ressort du rapport d’audition que celle-ci a commencé sans la présence d’un interprète en raison d’un retard, sans ensuite préciser si la requérante a finalement été assistée d’un interprète et, le cas échéant, à quel moment de l’audition.
Le Conseil relève, à titre liminaire, que l’article 51/4 de la loi du 15 décembre 1980 stipule que :
« §1. L’examen de la demande d’asile visée aux articles 50, 50bis, 50ter et 51 a lieu en français ou en néerlandais. La langue de l’examen est également celle de la décision à laquelle il donne lieu ainsi que des éventuelles décisions subséquentes d’éloignement du territoire.
§2. L’étranger visé à l’article 50, 50bis, 50ter ou 51 doit indiquer irrévocablement et par écrit s’il a besoin de l’assistance d’un interprète lors de l’examen de la demande visée au paragraphe précédent. Si l’étranger ne déclare pas requérir l’assistance d’un interprète, il peut choisir, selon les mêmes modalités, le français ou le néerlandais comme langue de l’examen. Si l’étranger n’a pas choisi l’une de ces langues ou a déclaré requérir l’assistance d’un interprète, le Ministre ou son délégué détermine la langue de l’examen, en fonction des besoins des services et instances. Cette décision n’est susceptible d’aucun recours distinct.
§ 3. Dans les procédures devant le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, le Conseil du contentieux des étrangers et le Conseil d’État, ainsi que si l’étranger demande, durant le traitement de sa demande d’asile ou dans un délai de six mois suivant la clôture de la procédure d’asile, l’octroi d’une autorisation de séjour sur la base de l’article 9bis ou 9ter, il est fait usage de la langue choisie ou déterminée conformément au paragraphe 2 ».
En l’espèce, il ressort du dossier administratif que la requérante a sollicité l’assistance d’un interprète swahili puisqu’elle a été assistée lors des phases antérieures de la procédure. Le Conseil constate qu’il est dans l’impossibilité de savoir si elle a été assistée d’un interprète lors de son audition au C.G.R.A. Il ne peut donc être certain qu’elle a eu une compréhension suffisante des questions posées.
La décision étant entachée d’une irrégularité substantielle qui ne peut être réparée, le C.C.E. annule la décision et renvoi l’affaire au C.G.R.A.
B. Éclairage
Le droit à l’assistance d’un interprète lors de l’examen d’une demande d’asile est consacré tant par le droit interne que par le droit européen. En droit interne, outre l’article 51/4 de la loi du 15 décembre 1980 précité, c’est l’arrêté royal du 11 juillet 2003 fixant la procédure devant le C.G.R.A. ainsi que son fonctionnement qui en règle les modalités d’application.
L’article 20 de cet arrêté royal indique que si le demandeur a requis l’assistance d’un interprète, ce dernier doit maîtriser une des langues parlées par ce demandeur. Par ailleurs, le C.G.R.A. doit tenir compte de la situation spécifique du demandeur lors de la désignation de l’interprète. Enfin, il doit traduire fidèlement les propos du demandeur.
L’article 15 impose à l’agent, après avoir expliqué le rôle de l’interprète, de vérifier en début d’audition que le demandeur d’asile et l’interprète se comprennent « suffisamment ». Par ailleurs, cet article exige de l’agent qu’il vérifie que le demandeur d’asile n’a pas d’objection à être entendu par une personne d’un sexe autre que le sien « s’il y a des indications de persécutions liées au sexe ».
L’article 16, relatif aux notes que l’agent doit prendre des déclarations du demandeur, lui impose de noter, entre autre, la présence éventuelle d’un interprète, l’objection ou l’absence d’objection du demandeur à être entendu par une personne d’un sexe autre que le sien et, le cas échéant, une description succincte des incidents avec l’interprète. L’article 21, quant à lui, offre la possibilité au demandeur de changer d’interprète tout au long de l’audition.
Le droit à l’assistance d’un interprète figure également parmi les principes fondamentaux et garanties procédurales énoncées au chapitre 2 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (« directive procédures refondue » ou « DP II »).
La volonté du législateur européen est de « garantir une détermination correcte des besoins de protection internationale dès la première instance »[1] en offrant aux demandeurs, par le biais de garanties procédurales, un accès effectif à la procédure pour permettre aux autorités compétentes un examen approprié et exhaustif de la demande[2].
Dans la continuité de ce qui précède, l’article 15, § 3, c), DP II dispose plus particulièrement que : « Les États membres prennent les mesures appropriées pour faire en sorte que l’entretien personnel soit mené dans des conditions qui permettent au demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande. À cet effet, les États membres : [….] choisissent un interprète capable d’assurer une communication appropriée entre le demandeur et la personne qui mène l’entretien. La communication a lieu dans la langue pour laquelle le demandeur a manifesté une préférence sauf s’il existe une autre langue qu’il comprend et dans laquelle il est à même de communiquer clairement. Dans la mesure du possible, les États membres fournissent un interprète du même sexe si le demandeur en fait la demande, à moins que l’autorité responsable de la détermination ait des raisons de penser que cette demande est fondée sur des motifs qui ne sont pas liés à des difficultés de la part du demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande ».
Cet article ne refond en réalité que partiellement l’article 12 de la directive 2005/85 du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (directive procédures ou DP I) en ajoutant la possibilité au demandeur de solliciter que l’interprète soit du même sexe que lui.
En effet, le législateur a souhaité que des garanties procédurales spéciales soient mise en place pour certains demandeurs du fait notamment de leur âge, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, d’un handicap, d’une maladie grave, de troubles mentaux, ou de conséquences de tortures, de viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle afin de créer les conditions pour qu’ils aient effectivement accès à la procédure rendue moins accessible en raison de la particularité de leur situation[3].
Plus précisément, le législateur relève qu’« afin d’assurer une égalité réelle entre les demandeurs femmes et hommes, il convient que les procédures d’examen tiennent compte des spécificités de genre. Il importe notamment que les entretiens personnels soient organisés de telle sorte que les demandeurs femmes et hommes qui ont subi des persécutions fondées sur le genre puissent faire part de leurs expériences. La complexité des demandes liées au genre devrait être correctement prise en compte dans le cadre de procédures fondées sur le concept de pays tiers sûr, sur celui de pays d’origine sûr et sur la notion de demandes ultérieures »[4].
Enfin, il exige que « pour toutes les demandes de protection internationale, les décisions soient prises sur la base des faits et, en première instance, par des autorités dont le personnel possède les connaissances voulues ou a reçu la formation nécessaire en ce qui concerne les questions relatives à la protection internationale ».[5]
On peut en conclure que si le degré de protection offert par la législation belge est satisfaisant, il semble qu’il reste en deçà du degré de protection offert par la nouvelle directive et que les modifications réglementaires déjà intervenues sont insuffisantes.
En effet, pour travailler comme interprète au C.G.R.A., il n’est pas requis d’être en possession d’un diplôme reconnu ou non en Belgique (de traducteur/interprète ou non) et/ou d’être assermenté[6], ce qui pose question eu égard à l’exigence de compétence tant au niveau linguistique que du degré de connaissance des problématiques de protection internationale.
À cet égard, le code de déontologie des interprètes nous semble insuffisant en ce qu’il ne relève que d’une ligne de conduite du C.G.R.A. intervenant a posteriori de l’engagement et sans contrôle possible du juge.
En outre, tandis que l’article 15 de l’arrêté royal du 11 juillet 2003 n’exige qu’une compréhension « suffisante » du demandeur de l’interprète, le droit européen exige une compréhension « appropriée ». Bien que l’article 20 de l’arrêté royal invite le C.G.R.A. à tenir compte de la situation spécifique du demandeur lorsqu’il désigne l’interprète, il est muet sur les critères et exigences requises pour parvenir à une telle évaluation.
En ce qui concerne la faculté de demander l’assistance d’un interprète de même sexe, cet article 15 de l’arrêté royal exige « des indications de persécutions liées au sexe » alors que l’article 15 de la DP II ne permet d’y déroger que lorsque les motifs sont étrangers à des difficultés de la part du demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande.
S.D.
C. Pour en savoir plus
Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 27 juin 2014, n° 126.434.
Législation
- Arrêté royal du 11 juillet 2003.
- Article 51/4 de la loi du 15 décembre 1980.
- Directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.
Pour citer cette note : S. DATOUSSAID, « Annulation par le C.C.E. d’une décision de refus de protection internationale pour défaut d’assistance d’un interprète lors de l’audition au C.G.R.A. » Newsletter EDEM, août 2014.