C.C.E., 25 juin 2014, n°126 219

Le C.G.R.A. doit respecter le droit d’être entendu tel que consacré par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le droit d’être entendu tel que consacré par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relève d’un principe général de droit de l’Union. Il peut en conséquent être invoqué par un demandeur d’asile à l’encontre des décisions du C.G.R.A. qui mettent en œuvre le droit de l’Union. Le droit d’être entendu n’est pas violé à l’encontre du demandeur d’asile dont le C.G.R.A. refuse de prendre la seconde demande en considération sans l’auditionner à nouveau, tant qu’il n’apparaît pas que l’audition aurait amené le C.G.R.A. à adopter une décision différente.

Article 41 Charte des droits fondamentaux de l’U.E. – Article 32, § 4, de la directive procédure – Article 57/6/2 de la loi du 15 décembre 1980 – Droit d’être entendu – Champ d’application de l’article 41 de la Charte Seconde demande d’asile Confirmation.

A. Arrêt

Le requérant, qui affirme être d’origine somalienne, se plaint de ne pas avoir été entendu à l’occasion de sa seconde demande d’asile que le C.G.R.A. a refusé de prendre en considération. Il invoque notamment le droit d’être entendu tel que consacré par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte »). Cette disposition consacre « le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre »[1].

Se référant entre autres à l’arrêt M.M. de la C.J.U.E.[2], le C.C.E. constate que le droit d’être entendu tel qu’il est consacré par l’article 41 de la Charte constitue un principe général de droit de l’Union. Il s’impose donc aux institutions nationales lorsqu’elles mettent en œuvre le droit de l’Union[3]. L’article 57/6/2 de la loi du 15 décembre 1980, qui donne compétence au C.G.R.A. pour refuser de prendre en considération une nouvelle demande d’asile en cas d’absence d’éléments nouveaux, transpose l’article 32, § 4, de la directive procédure[4]. Par conséquent, les décisions de non-prise en considération adoptées par le C.G.R.A. sur base de cette disposition « mettent en œuvre » le droit de l’Union[5]. Le C.C.E. en déduit que le C.G.R.A. devait respecter l’article 41 de la Charte.

En l’espèce, le C.C.E. conclut que le C.G.R.A. a respecté le droit d’être entendu. L’article 34, § 2, c), de la directive procédure autorise les États membres à ne pas entendre un demandeur qui ne présente aucun élément nouveau pour supporter sa demande ultérieure[6]. Cette disposition a été transposée en droit belge par l’article 6, § 2, de l’Arrêté royal de procédure devant le C.G.R.A.[7] Elle implique que la décision d’entendre le demandeur sur sa nouvelle demande d’asile relève du pouvoir d’appréciation du C.G.R.A.[8] Le C.C.E. précise en outre que, conformément à une jurisprudence constante de la C.J.U.E., la violation du droit d’être entendu n’engendre l’annulation de l’acte attaqué que s’il apparaît que l’audition, si elle avait été menée, aurait conduit l’institution concernée à adopter une décision différente[9]. Or, le C.C.E. n’aperçoit dans le cas d’espèce aucun élément de nature à démontrer que l’audition du requérant aurait impliqué la prise en considération de sa seconde demande d’asile par le C.G.R.A.[10]

B. Éclairage

Le droit d’être entendu tel que consacré par l’article 41 de la Charte peut être invoqué à l’encontre du C.G.R.A.

Dans sa jurisprudence antérieure, le C.C.E. jugeait que l’article 41 de la Charte ne pouvait pas être invoqué à l’encontre du C.G.R.A.[11] Il renvoyait à l’article 41, §1er, de la Charte selon lequel « toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union »[12]. L’article 41 de la Charte revêt un champ d’application spécifique, limité aux décisions adoptées par les institutions et organes de l’Union, alors que les autres droits de la Charte s’imposent aux États membres lorsqu’ils « mettent en œuvre » le droit de l’Union[13].

Dans l’arrêt annoté, le C.C.E. prend bonne note de la jurisprudence de la C.J.U.E. selon laquelle le droit d’être entendu tel que consacré par l’article 41 de la Charte reflète un principe général de droit de l’Union[14]. En tant que principe général de droit de l’Union, le droit d’être entendu s’affranchit de la limitation du champ d’application fixée par l’article 41, § 1er, de la Charte. Ainsi, dans l’arrêt M.M., la C.J.U.E. a jugé que le droit d’être entendu bénéficie au demandeur de protection subsidiaire, que les instances nationales d’asile ont l’obligation d’auditionner[15].

Pour cette raison, le C.C.E. admet l’invocation du droit d’être entendu consacré par l’article 41 de la Charte à l’encontre des décisions adoptées par le C.G.R.A., en tant qu’il exprime un principe général de droit de l’Union.

Tout comme l’ensemble des autres droits consacrés par la Charte, les principes généraux de droit de l’Union ne s’imposent aux États membres que lorsqu’ils « mettent en œuvre » le droit de l’Union. La C.J.U.E. adopte une interprétation large de la condition de « mise en œuvre » du droit de l’Union. À l’occasion de l’arrêt Akkerberg Franson, la C.J.U.E. estime ainsi qu’une législation nationale adoptée par un État membre afin de sanctionner le non-respect par un particulier d’une disposition nationale transposant une norme européenne « met en œuvre » le droit de l’Union, quand bien même l’adoption de cette sanction relève de l’autonomie procédurale des États membres[16].

En l’espèce, la condition de « mise en œuvre » du droit de l’Union ne pose aucune difficulté : la décision de non-prise en considération d’une demande d’asile est adoptée en application d’une disposition de droit belge, l’article 6, § 2, de l’arrêté royal de procédure devant le C.G.R.A., transposant une disposition d’une directive européenne, l’article 34, § 2, c), de la directive procédure. Au vu de la jurisprudence de la C.J.U.E., il nous semble cependant que les principes généraux de droit de l’Union pourraient être invoqués à l’encontre de l’ensemble des décisions du C.G.R.A. qui soit mettent en œuvre la directive qualification, lorsqu’elles procèdent à l’examen au fond d’une demande d’asile, soit mettent en œuvre la directive procédure, lorsqu’elles refusent de prendre en considération une demande d’asile, soit mettent en œuvre le protocole additionnel n° 24 dit « protocole Aznar »[17], lorsqu’elles refusent de prendre en considération la demande d’asile introduite par un ressortissant d’un État membre de l’Union.

Le droit d’être entendu n’implique l’annulation de la décision en cause que si son respect aurait engendré l’adoption d’une décision différente par le C.G.R.A.

Dans l’arrêt annoté, le C.C.E. applique la jurisprudence de la C.J.U.E. selon laquelle « une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent »[18]. Mais le droit de l’Union n’est pas le seul à consacrer le droit d’être entendu. Celui-ci relève également des principes de bonne administration tels que consacrés en droit belge par la jurisprudence du Conseil d’État.

La jurisprudence de la C.J.U.E. est plus sévère qu’une certaine jurisprudence du Conseil d’État, selon laquelle la violation du droit d’être entendu implique l’annulation de l’acte attaqué[19]. Si cette jurisprudence bien implantée en ce qui concerne le contentieux disciplinaire de la fonction publique parait plus hésitante en ce qui concerne le contentieux des étrangers[20], il serait intéressant de connaître la position du C.C.E. sur les conséquences de la violation du droit d’être entendu tel que consacré par le droit belge. Pour cette raison, le commentaire suivant de cette newsletter commente l’annulation d’une mesure d’interdiction d’entrée prononcée par le C.C.E. en raison d’une violation du droit d’être entendu.

L.L.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 25 juin 2014, n° 126 219.

  • M. DESOMER, « De Belgische asielprocedure en de Europese administratieve rechtsbeginselen van de hoorplicht en het recht op inzage », T. Vreemd., 2009, p. 15 ;
  • P. ROBERT et S. JANSSENS, « Le droit d’être entendu en matière d’asile et migration : perspectives belge et européenne », R.D.E., 2013, p. 379.

Pour citer cette note : L. LEBOEUF, « Le C.G.R.A. doit respecter le droit d’être entendu tel que consacré par l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », Newsletter EDEM, septembre 2014.


[1] Art. 41, § 2, al. 1, de la Charte.

[2] C.J.U.E., 22 novembre 2011, M.M., aff. C-277/11, EU:C:2012:744.

[3] C.C.E., 25 juin 2014, n° 126 219, § 2.4.1.

[4] Aujourd’hui article 33, § 2, d), de la directive procédure refondue 2013/32/UE.

[5] C.C.E., n° 126 219, op. cit., § 2.4.2.

[6] Article 34, § 2, c), de la directive 2005/85/CE, aujourd’hui article 34, § 1er, de la directive procédure refondue 2013/32/UE.

[7] Arrêté royal du 11 juillet 2003 fixant la procédure devant le Commissariat général aux Réfugiés et aux Apatrides ainsi que son fonctionnement, M.B., 27 janvier 2004, p. 4623.

[8] C.C.E., n° 126 219, op. cit., § 2.4.3.

[9] Voy. entre autres C.J.U.E., 10 septembre 2013, M.G. et N.R., aff. C-383/13 PPU, §§ 38 et s. ; P. d’HUART, « Les conséquences de la violation du droit d’être entendu sur la légalité d’une décision de prolongation de la rétention d’un étranger en séjour irrégulier », Newsletter EDEM, octobre 2013.

[10] C.C.E., n° 126 219, op. cit., § 2.4.4.

[11] C.C.E., 28 mai 2013, n° 103 670, § 3.2. ; C.C.E., 26 mars 2013, n° 99722, § 2.4.1. ; C.C.E., 22 novembre 2013, n° 114 272, § 2.2.1.2.

[12] Notre emphase.

[13] Article 51, § 1er, de la Charte.

[14] C.J.U.E., 18 décembre 2008, Sopropé, aff. C-349/07, Rec., 2008, p. I-10369, §§ 36 à 38.

[15] C.J.U.E., M.M., op.cit. ; L. LEBOEUF, « Le droit d’être entendu s’applique au demandeur de protection subsidiaire », Newsletter EDEM, novembre 2012.

[15] C.C.E., 25 juin 2014, n° 126 219, § 2.4.1.

[16] C.J.U.E., 26 février 2013, Åkerberg Fransson, aff. C-617/10, EU:C:2013:105. La C.J.U.E. juge en l’espèce que la mesure nationale sanctionnant le non-respect des obligations en matière de T.V.A. imposées aux particuliers en vertu d’une directive européenne « met en œuvre » le droit de l’Union, quand bien même la directive en cause ne prévoit pas de sanction mais laisse aux États membres le choix des moyens d’en assurer le respect. Sur cet arrêt, voy. notamment J.-F. AKANDJI-KOMBE, « Arrêt ‘Åkerberg Fransson’: l’application juridictionnelle de la Charte européenne des droits fondamentaux », J.D.E., 2013, p. 184 ; A. BAILLEUX, « Entre droits fondamentaux et intégration européenne, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne face à son destin », R.T.D.H., 2014, p. 215.

[17] Protocole (n° 24) sur le droit d'asile pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne annexé au T.U.E. et au T.F.U.E., J.O., n° C-326, 26 octobre 2012, p. 47.

[18] C.J.U.E., M.G. et N.R., op. cit., § 38.

[19] J. JAUMOTTE, E. THIBAUT et J. SALMON, Le Conseil d’Etat de Belgique, vol. I, 2012, pp. 816 et s.

[20] Pour un exposé de cette jurisprudence, voy. P. ROBERT et S. JANSSENS, « Le droit d’être entendu en matière d’asile et migration : perspectives belge et européenne », R.D.E., 2013, p. 384.

Publié le 14 juin 2017