Bruxelles (mis. acc.), arrêt no3554, 17 oct. 2012

L’étranger détenu ayant résisté à son éloignement, une nouvelle décision de détention a été prise à son égard, faisant courir un nouveau délai de cinq mois de détention. Cela viole la directive retour qui permet seulement, dans cette hypothèse, de prolonger la mesure initiale de détention.

L. 15 déc. 1980, art. 7, 27 et 29 – dir. 2008/115/CE, art. 15 – détention aux fins d’éloignement – résistance – nouvelle décision – 8 mois de détention au lieu de 5 - (rejet)

A. Arrêt

L’arrêt concerne un ressortissant tunisien en séjour irrégulier qui a fait l’objet d’une détention d’une durée totale de huit mois en vue de procéder à son retour. Il a d’abord été détenu entre le 20 mars 2012 et le 18 juillet sur base de l’article 7, al. 1 à 3, de la loi du 15 décembre 1980. Il a ensuite introduit une demande d’asile qu’il a retirée six jours plus tard. Dans l’intervalle, il a été détenu sur base de l’article 74/6, § 1er bis, 5°. Suite à son refus d’être rapatrié le 29 juillet, un réquisitoire de réécrou a été pris sur pied de l’article 27, §§ 1 et 3. Le 28 septembre, le rapatriement prévu n’a pas eu lieu et la détention a été à nouveau prolongée, jusqu’au 27 novembre, sur base de l’article 29, alinéa 2. La détention aux fins de procéder au retour aura duré en tout plus de huit mois. La Chambre des mises en accusation a justifié cette durée par le fait que : « La durée de la détention de l’étranger lui est imputable dès lors qu’il aurait pu mettre un terme à sa détention les 18 et 29 juillet 2012 en ne s’opposant pas, sans aucun motif valable, à son rapatriement vers la Tunisie. »

B. Éclairage

Cette pratique, consistant à prendre, en cas de résistance du ressortissant étranger à son éloignement, une nouvelle décision de détention plutôt que de prolonger la précédente, est loin d’être isolée[1]. Elle a été entérinée par la Cour de cassation qui a confirmé qu’un réquisitoire de réécrou sur base de l’article 27, §§ 1er et 3, ne prolonge pas une mesure initiale prise sur base de l’article 7, al. 1, mais constitue un titre autonome de privation de liberté[2]. Ce procédé permet de contourner la limite de quatre mois à la prolongation d’une détention aux fins d’éloignement (art. 7 ou 29).

Cette façon de faire pose problème au regard du droit de l’Union européenne. La directive 2008/115/CE dite retour envisage en effet spécifiquement l’hypothèse du « manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers » à son éloignement et lui attache uniquement la possibilité, pourvu que le droit national le prévoit, de prolonger la détention jusqu’à 12 mois supplémentaires, pour un total de 18 mois maximum[3]. Il devrait s’en déduire que cette même hypothèse de résistance à l’éloignement ne peut être utilisée pour fonder une nouvelle décision de détention et ainsi permettre d’éviter toute forme de limitation à la durée de la détention d’un étranger en séjour irrégulier. Contourner de cette façon la limite à la détention fixée par la directive serait en outre contraire à son objectif de fixer des règles communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

La loi du 15 décembre 1980 limite la prolongation de la détention à quatre mois supplémentaires, pour un total de cinq mois (art. 7 et 29). Bien que la directive retour l’y autorise, le législateur belge n’a pas prévu de délai supplémentaire en cas de résistance à l’éloignement. Au vu de ce qui a été énoncé ci-dessus, cela signifie qu’une détention supérieure à cinq mois fondée sur une nouvelle décision de détention en raison de la résistance de l’intéressé à son éloignement, comme dans le cas d’espèce, viole la directive retour.

P.dH.

C. Pour en savoir plus

- Pour consulter l’arrêt : Bruxelles (mis. acc.), arrêt n° 3554, 17 octobre 2012.

- Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, J.O.U.E., L 348/98, 24 déc. 2008.

- D. Acosta Arcarazo, «The Returns Directive: Possible Limits and Interpretation», in K. Zwaan (dir.), The Returns Directive: Central Themes, Problem Issues, and Implementation in Selected Member States, Wolf Legal Publishers, 2012, pp. 7-24.


[1] Bruxelles (mis. acc.), arrêt no 3698, 25 octobre 2012 ; arrêt no 3484, 11 octobre 2012 ; arrêt no 3686, 25 octobre 2012 ; arrêt no 3687, 25 octobre 2012 ; arrêt no 3346, 3 octobre 2012.

[3] Art. 15, § 6, directive 2008/115/CE.

Publié le 23 juin 2017