Quand les langues se délient. Interactions et migrations en Asie mineure au 1er millénaire

En 1870, Heinrich Schliemann mettait au jour les ruines d’une cité importante sur le détroit des Dardanelles. En marge du débat lié à l’identification du site avec la Troie d’Homère, les fouilles menées sous la butte d’Hissarlik ont révélé le rôle crucial de la région dans les mouvements migratoires des peuples depuis les Balkans, l’Anatolie et la mer Égée : outre les traces matérielles plus précisément louvites et grecques, elle aura nécessairement été sur le sillage des Thraces et des Phrygiens venus des Balkans.  D’un autre côté, après la chute de l’empire hittite (c. 1200), le début de l’âge du fer voit l’émergence de groupes linguistiques et politiques jusqu’alors absents des sources : parallèlement à l’essor et à l’expansion des Phrygiens, les Lyciens, Lydiens et Cariens se distinguent à l’extrême ouest de l’Asie mineure avec une langue indo-européenne de la branche anatolienne.

Devant l’indigence des sources, les recherches menées sur l’occupation de l’Anatolie occidentale à l’âge du bronze et la préhistoire des peuples et langues attestés à l’âge du fer ont principalement été envisagées par l’onomastique. Les hypothèses fondées sur l’étymologie du nom de Troie donnent un cas exemplaire : à partir de l’identification du site d’Hissarlik à la Τροἰη de l’Iliade, d’une part, et au toponyme hittite Tarṷisa, d’autre part, les essais de reconstitution d’une racine commune aux deux noms se sont accompagnés, en effet, de tentatives visant à relier le nom de la cité à un groupe ou à une langue en particulier.

En montrant l’incapacité de ces reconstructions à rendre compte de l’ensemble des données du problème, nous présenterons l’intérêt d’une approche linguistique comparative effectuée non pas seulement sur un plan purement génétique, mais aussi aréal, à même de préciser la situation ethnolinguisitque de cette région particulière au tournant de l’Europe et de l’Asie et de contribuer à la compréhension de la genèse et de la formation des peuples qui l’ont habitée.