Arlette Farge est directrice de recherche émérite du CNRS, membre associée du Centre de Recherches Historiques de l’EHESS. Elle a élargi et modifié le périmètre de l’histoire sociale à travers une œuvre de recherche considérable mais aussi originale. Arlette Farge a publié et édité plus de 30 ouvrages ainsi que des dizaines d’articles au rayonnement international, mais elle a fait preuve également et surtout d’un engagement et d’une créativité remarquable dans l’ouverture de nouvelles voies que tout chercheur en sciences humaines pourrait emprunter. Elle a reçu en mai 2016 le Prix international Dan David pour l’ensemble de son œuvre.
À l’origine historienne du XVIIIe siècle, elle s’est intéressée aux comportements populaires (foule, opinion publique, famille, sensibilités) à partir des archives de police, puis a étendu son domaine d’investigation à celui des relations entre hommes et femmes. Son travail et ses publications s’aventurent aussi sur le terrain de l’image, de la photographie et de la littérature. Elle a réfléchi à l’écriture de l’histoire mais aussi plus généralement aux pratiques d’écriture et de lecture. Elle a également écrit une fiction.
Après des études de droit et un DEA en histoire du droit, elle a fait une thèse en histoire sous la direction de Robert Mandrou, consacrée au Vol d'aliments à Paris au XVIIIe siècle (1974). Elle élargit sa première enquête par des essais comme Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle(1982), La Vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités au XVIIIe siècle (1986) ou Logiques de la foule. L'affaire des enlèvements d'enfants à Paris en 1750 (1988, en collaboration avec Jacques Revel). Son souci de « faire parler les archives » et ainsi faire parler les êtres qui se cachent derrière et dans les archives trouve son expression la plus remarquable et la plus largement connue dans son essai Le Goût de l'archive (1989). Arlette Farge y raconte son métier de chercheuse au C.N.R.S., et s'interroge sur la transcription qui, de bribes, de murmures et de cris, reconstitue un discours explicatif.
Arlette Farge a été également une des pionnières dans le domaine de l’histoire des femmes. Elle a dès 1982 réuni et présenté une anthologie de textes de la Bibliothèque bleue véhiculant une image des femmes (Le Miroir des femmes, Montalba). Elle a participé à la grande entreprise de l'Histoire des femmes en Occident, sous la direction de Georges Duby et de Michelle Perrot.
Elle s'attache aux bruits et aux rumeurs, à la propagation de nouvelles, vraies ou fausses, aux hantises et aux rêveries qui ne se confondent pas pour autant avec l'opinion publique telle que la pense Jürgen Habermas. Ce murmure populaire, l'historienne le rend sensible par des effets d'écriture : « Ils ont parlé et j'ai écrit » (Dire et mal dire. L'opinion publique au XVIIIe siècle, 1992 ; Le Bracelet et le parchemin. L'écrit sur soi au XVIIIe siècle, 2003). Le livre devient un montage de textes d'archives et de commentaires d'aujourd'hui, une forme de fugue historique (Le Cours ordinaire des choses dans la cité du XVIIIe siècle, 1994 ; Effusion et tourment, le récit des corps. Histoire du peuple au XVIIIe siècle, 2007), une méditation sur la place de l'émotion dans les sciences humaines, sur les noces du présent et du passé dans ce que Michel de Certeau nomme l'écriture de l'histoire (Des lieux pour l'histoire, 1997). Ces lieux, ce sont la souffrance et la violence (La Déchirure. Souffrance et déliaison sociale au XVIIIe siècle, 2013), la parole ou l'opinion (Essai pour une histoire des voix au XVIIIe siècle, 2009).
L’archive (qu’elle a singularisé à la suite de Michel Foucault) n’est cependant pas sa seule source d’étude, et d’inspiration : une série de gravures de Watteau inspire sa réflexion sur la condition des soldats et des femmes dans la guerre (Les Fatigues de la guerre, 1996), de même que des travaux de photographes contemporains l’aident à relire les rapports de police du XVIIIe siècle (La Chambre à deux lits et le cordonnier de Tel-Aviv, 2000).
Elle conclut son adresse publique lors de la remise du Prix Dan David : « Je crois à l’effervescence des sociétés qui cherchent, inventent ».
Sélection de publications
- (Avec C. Dauphin et A. Farge), Séduction et sociétés. Approches historiques, Éditions du Seuil, 2001.
- La Nuit blanche, Éditions du Seuil, 2002.
- Le Bracelet de parchemin. L’écrit sur soi au XVIIIe siècle, Bayard, 2003.
- Sans visages, L’impossible regard sur le pauvre, Bayard, 2003.
- Effusion et tourment, le récit des corps, Histoire du peuple au XVIIIe siècle, Odile Jacob, 2007.
- Quel bruit ferons-nous ?, Les Prairies Ordinaires, 2005.
- Effusion et tourment, le récit des corps, Histoire du peuple au XVIIIe siècle, Odile Jacob, 2007.
- Le silence le souffle, Éditions La Pionnière, oct. 2008, 26 p.
- Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Paris, Bayard, 2009, 311 p.
- Un ruban et des larmes, procès en adultère au XVIIIe siècle, éd. des Busclats, 2011
- La déchirure. Souffrance et déliaison sociale au XVIIIe siècle, Bayard, 2013.
- La Capucine s'adonne aux premiers venus. Récits, suppliques, chagrins au XVIIIe siècle. Accompagné de dessins de Valérie du Chéné, Éditions La Pionnière, 2014.
- Les Passants, Éditions La Pionnière, 2016.
- La révolte de Mme Montjean. L'histoire d'un couple d'artisans au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2016, 184 p.
- Il me faut te dire, Paris, éd. du Sonneur, 2016.