Nombre de sociologues et d’anthropologues ne lisent pas clairement les différences entre les deux disciplines, si ce n’est en termes de catégorisation institutionnelle. Certes, la sociologie et l’anthropologie culturelle se sont historiquement et tendanciellement partagé deux territoires distincts: celui de l’Occident moderne et industrialisé pour la première; celui des peuples “prémodernes” pour la seconde. Ce faisant, elles ont chacune développé leur propre champ disciplinaire. Cependant, force est aujourd’hui de constater que cette séparation perd de sa pertinence à divers égards. Ainsi, au plan des terrains de recherche, la spatialisation de la modernité et de la prémodernité devient particulièrement délicate, voire impossible à établir face aux forces structurelles et culturelles de la globalisation. Il demeure sans doute des traditions de recherche qui amèneraient la sociologie à davantage s’intéresser aux transformations sociales dans les pays économiquement avancés tandis que l’anthropologie se consacrerait plus volontiers aux résistances et marginalités principalement étudiées dans les régions éloignées des centres de pouvoir.
Au niveau des approches et méthodes, les différences ne sont pas des plus limpides. Si l’usage des chiffres est probablement plus présent en sociologie qu’en anthropologie, le positivisme quantitatif appliqué à la première ne fait plus guère d’émules. D’autre part, si l’anthropologie pratique l’observation participante et l’imprégnation longue d’un terrain, la sociologie ne la refuse certainement pas. Il est manifeste que l’anthropologie rencontre aisément la sociologie compréhensive et les grounded theories.
Une distance se manifeste-t-elle lorsque le sociologue exprime une volonté de prendre en compte des paradigmes et des théories générales ou de produire des théories générales intégrant les transformations structurelles ? Comment alors considérer le dernier ouvrage de Maurice Godelier sur la parenté ou celui de Philippe Descola: Par-delà nature et culture*!
Les frontières entre ces deux disciplines sont pour le moins poreuses, pour ne pas dire vaporeuses. La distinction s’appuie essentiellement sur une attribution institutionnelle d’identités, ce qui n’est toutefois pas négligeable. Quoi qu’il en soit la décision d’appeler désormais la revue RS&A vise à faire converger les apports respectifs des traditions et des démarches de l’anthropologie et de la sociologie.
* Godelier M., Les métamorphoses de la parenté, Paris, Fayard, 2004; Descola Ph., Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.