« L’architecture, au même titre que la mathématique ou la musique, ou l’art de manière générale, n’est pas une science mais une discipline. Une science vise un savoir sur le fonctionnement d’une réalité. Une discipline vise une vérité sur la structure d’un réel. Les disciplines accompagnent les sciences, elles sont comme leur exigence sous-jacente, à la fois de l’ordre de l’éthique et de la structure.»
L’argument de la journée était celui-ci : « Alberti, avec le De Re Aedificatoria, entreprend à la fois d’identifier les constituants élémentaires de l’architecture et d’établir les règles destinées à les articuler au sein d’une édification. Le concept de Beau surplombe l’ouvrage et mérite un traitement en soi : il s’institue en tant qu’autorité supérieure dont procède l’articulation concrète des éléments architectoniques. On connaît la formulation la plus canonique : le Beau commande l’instauration d’un juste rapport entre les parties et le tout, de telle façon qu’aucun membre ne puisse être ôté, ajouté ou modifié sans mettre en péril le droit de l’édifice à participer au Beau. Ce principe conduit à considérer les rapports qu’entretiennent entre elles les mesures données aux différents corps et aux différents espacements qui sont associés par une architecture. Des références sont à disposition, qui appartiennent à la nature ou à l’histoire, auxquelles l’architecte doit s’adresser pour conduire son ouvrage : le corps humain et les corps bâtis par les Anciens constituent les références les plus originelles. Le travail de l’architecte est ainsi parfaitement balisé : finalité ordonnatrice (le Beau), règles d’articulations (rapports mesurés entre les parties et le tout), références fondatrices (le corps de l’homme et l’architecture des Anciens).
L’ (in)actualité d’Alberti, et le dilemme qu’elle suppose, s’affiche ici avec acuité. Dans quelle mesure sommes-nous encore couverts par le dispositif (finalité ordonnatrice, règles d’articulation, références fondatrices) déployé par Alberti dans le De Re Aedificatoria ? Où sont les finalités, les règles et les références dans la situation contemporaine ? L’architecture semble bien orpheline aujourd’hui à ces différents égards, invitée par les discours ambiants à saisir l’air du temps, peu préoccupée par l’établissement de ses axiomes, soucieuse de dériver sur les vagues d’une imagerie qui accompagne l’ensemble des pratiques sociales. Mais le questionnement n’est-il pas déplacé si le pari très actuel d’une architecture qui serait capable d’éclore dans l’immanence de son auto-fondation, comme le geste d’un pur désir, venait à convaincre de sa force ?
Il nous paraît nécessaire de faire un pas de côté, de re-considérer une discipline qui fut re-fondée en son autonomie à l’époque d’Alberti, et cela dans la poursuite-même du mouvement inauguré par lui, mouvement qui réclame de ne cesser d’ouvrir la question de la légitimité des pratiques de l’architecture. L’autonomie disciplinaire de l’architecture n’est pas identique à l’autonomie du sujet–auteur–architecte, et vice versa : nous en sommes convaincus. Pourtant chacune est revendiquée aujourd’hui avec vigueur ! Retourner vers Alberti, c’est nous permettre de mieux faire retour sur notre propre situation et de questionner l’état des enjeux de notre discipline.
Nous proposons de vous engager sur ce chemin en considérant le texte d’Alberti de manière rapprochée, en croisant la pensée du projet avec les articulations les plus précises et les plus concrètes du traité, nous voulons dire celles qui engagent directement la fabrication des architectures. »