FIGURES LIBRES / VRIJE FIGUREN / KÜRFIGUREN
Quelle que soit l’échelle de leurs projets, qu’il s’agisse de propositions urbanistiques ambitieuses ou de modestes interventions à l’intérieur d’îlots villageois resserrés, Georges Heintz et Anne-Sophie Kehr abordent l’architecture dans sa dimension large, recherchant, non par le geste mais par l’espace, à déborder les cadres conventionnels qui leur sont proposés. Leur volontarisme architectural n’est pas issu d’une idéologie professionnelle bien-pensante, qui prétendrait imposer au monde une quelconque vérité… Leur engagement, bien réel, procède d’un mélange d’enthousiasme, de compétence et d’énergie. Soutenus par un insatiable désir de créer, Georges Heintz et Anne-Sophie Kehr n’entendent pas se soustraire aux conditions ordinaires du métier pour accéder à « l’original » ou au « spectaculaire ». S’ils se méfient du formalisme, ils redoutent plus encore les inhibitions qui pourraient les amener à se recroqueviller sur eux-mêmes en éludant la question de la « forme ». Ce qu’ils souhaitent, en expérimentant sans complexe des « concepts formels », c’est faire simplement leur travail d’architecte.
Lorsqu’on considère aujourd’hui la production du bureau strasbourgeois, on est frappé par l’intensité de son activité. L’épaisseur signifiante de certaines réalisations, qui se laisse difficilement déceler sous la représentation graphique initiale, semble provenir d’une alchimie particulière entre le processus de conception et la conduite du chantier, entre les matériaux existants et ceux adaptés ou transformés… La spécificité des situations concrètes nourrit la précision abstraite des réponses architecturales. Synthétiques et complexes, les projets qualifient des fragments de territoire en évitant toute rhétorique régressive attachée au « lieu ». L’isotropie contemporaine envahit ainsi les tissus traditionnels au bénéfice de l’urbanité. Et elle le fait avec délicatesse. Comme le souligne Vincent Lieutier à propos du centre de loisirs d’Eckbolsheim, dans la revue Polystyrène, certaines oeuvres de Georges Heintz et Anne-Sophie Kehr sont ciselées comme des « bijoux ». Inhabituel dans le champ de la critique architecturale,
ce terme se justifie ici parfaitement. Un bijou n’a pas de détails. Tout est détail dans un bijou. On peut l’imaginer lui-même comme un « détail »…
[extrait de l’article “L’architecture comme fragment de territoire” par Joseph Abram, publié dans la revue d’a n°194 - octobre 2010]