Robert Triffin (° Flobecq, 5 octobre 1911 - Ostende, 23 février 1993) a suivi ses études secondaires au collège Notre-Dame de la Tombe à Kain, près de Tournai. En 1929, il entre à l’Université de Louvain et s’inscrit à une candidature en philosophie et lettres préparatoire au droit. Après avoir également suivi les cours du baccalauréat spécial à l’Institut supérieur de philosophie (1930-1931), il obtient successivement une candidature (1932) puis un doctorat (1934) en droit. Il s’oriente ensuite vers l’économie et obtient une licence en sciences économiques (1935) qui lui ouvre les portes d’une bourse de la Belgian American Educational Foundation (BAEF) pour compléter sa formation aux États-Unis (1935-1938).
À son retour en Belgique, l’absence de perspectives professionnelles le conduit à envisager une expatriation vers le Nouveau Continent. Encouragé dans ce sens par la BAEF, il est engagé en septembre 1939 en tant qu’ « instructor » par l’Université de Harvard où il avait défendu son doctorat en économie un an plus tôt. À côté de ses charges d’encadrement, il prépare l’édition de sa thèse qui a été couronnée par le prix Wells. La publicité faite autour de celle-ci lui ouvrira les portes du monde académique. L’entrée en guerre des États-Unis le pousse à demander sa naturalisation et à se mettre au service de l’administration. En août 1942, il rejoint le Board of the Federal Reserve System à Washington et se consacre principalement aux affaires touchant à la coopération avec l’Amérique latine. Ses fonctions le conduisent à visiter au cours des quatre années qui suivent une vingtaine de pays latino-américains et à piloter des réformes conséquentes notamment au Paraguay, en République dominicaine et au Guatemala. En 1946, il est recruté par le Fonds monétaire international pour poursuivre son action dans ce domaine. C’est ainsi qu’il mène à bien une difficile et délicate mission en Équateur en 1947.
Début 1948, sa carrière adopte un tournant majeur. Robert Triffin est en effet alors dépêché en Europe en tant que représentant du FMI. Il suit de près l’évolution du redressement économique des pays européens mais surtout participe officieusement aux multiples discussions qui entourent la mise en place de plans d’intégration monétaire au sein de l’Organisation européenne de coopération économique. Soucieux de se garantir à cet égard une marge de manœuvre plus large, il passe au service de l’administration du plan Marshall (ECA) à l’automne 1949. Il se révèlera comme l’un des principaux concepteurs et négociateurs de l’Union européenne des paiements qui voit le jour en 1950.
En juillet 1951, il met un terme à ses fonctions officielles pour rejoindre le département d’économie de l’Université de Yale. Au cours des 25 années qui suivront, il alliera constamment missions de consultance pour divers organismes nationaux ou internationaux, charges d’enseignement et activités d’édition. Ses deux ouvrages majeurs, Europe and the Money Muddle (1957) et Gold and the Dollar Crisis (1960), l’établissent comme un économiste de renommée mondiale. Son énonciation de ce qui sera connu comme le « dilemme de Triffin » l’établit comme un expert incontournable. Il est d’ailleurs consulté à cette époque tant par l’administration présidentielle américaine que par le Comité d’action pour les États-Unis d’Europe de Jean Monnet.
En 1969, il jouera de nouveau un rôle important dans les coulisses du Sommet de La Haye pour concevoir un plan d’intégration monétaire de la Communauté économique européenne par phases soutenu Willy Brandt. Les réticences des banques centrales européennes et l’initiative du Président Nixon de mettre de facto fin à la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 oblitèrent la marche vers la monnaie unique.
Proche de la retraite, Robert Triffin s’éloigne petit à petit de la scène publique tout en persévérant dans ses tentatives de sensibilisation des décideurs aux vertus d’une coordination poussée des politiques monétaires. En 1977, il revient s’établir en Belgique et travailler au sein de l’Institut de Recherches économiques et sociales de l’Université catholique de Louvain. Il recouvre la nationalité belge en 1981. Il joue au cours de ces années un rôle crucial aux côtés de Fernand Collin et de Jacques Riboud pour développer l’utilisation privée de l’unité de compte européenne. Le succès de l’écu, qui succède à l’unité de compte, poussera, à la fin des années 1980, les banquiers centraux à reprendre la main et à dessiner les contours techniques d’une unification monétaire alors ardemment soutenue par plusieurs Etats membres. Robert Triffin décédera quelques mois après la signature du traité de Maastricht qui ouvre définitivement la voie à la monnaie unique européenne.
Jérôme Wilson
Pour plus d'information, voir Wilson, J., «Triffin (Robert)», Nouvelle Biographie Nationale, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, Bruxelles, 2003, p. 344-347.