L’UCL est reconnue pour son implication et l’expertise de ses centres en matière d’immigration. L’université s’est notamment fortement impliquée dans l’accueil des réfugiés.
La Fondation Francqui a accueilli la candidature de François Crépeau, proposée par l’UCL, en collaboration avec toutes les universités du pays, au titre de Chaire International Francqui Professor en sciences humaines de la Belgique pour l’année 2017-2018. François Crépeau est professeur et titulaire de la Chaire Hans et Tamar Oppenheimer en droit international public, à la Faculté de droit de l'Université McGill. Il a été Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme des migrants de 2011 à 2017. Cette nouvelle année académique sera dès lors à nouveau marquée par l’organisation de class of excellence et d’évènements scientifiques et publics consacrés aux migrations.
Pas un jour ne se passe sans que les migrations ne posent des questions aux universités et à leurs chercheurs. L’actualité des flux mais aussi la meilleure maîtrise des outils permettant de les évaluer suscitent l’émergence de nouvelles problématiques à traiter mais aussi de méthodes d’analyse innovantes.
Les questions sont complexes et requièrent une expertise de qualité. Celle-ci s’appuie sur la recherche fondamentale mais aussi sur la recherche orientée ou appliquée. Le nombre d’appels à projet dans ce secteur va croissant, qu’ils émanent d’institutions publiques, privées ou d’ONG. Le transfert des compétences en ces matières à l’Union européenne conjugué en amont aux initiatives des Nations Unies et en aval aux politiques nationales ont multiplié les lieux de décision et donc le besoin d’analyse.
Il existe aussi une demande importante d’information et de compréhension des enjeux de la part des étudiants mais aussi des acteurs de terrain, des médias, des décideurs ou encore du grand public.
La « crise des réfugiés » * a accentué cette tendance. Les réponses adoptées dans l’urgence, parfois aussitôt revues, renforcent la nécessité d’étudier les migrations de manière objective pour développer un discours scientifique rigoureux.
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* L’expression même de “crise” mérite une analyse critique sur laquelle nous ne nous arrêterons pas ici. Son usage désormais commun reflète toutefois une situation problématique dans sa réalité et/ou dans son ressentiment ; elle mérite une analyse fine.
Cela implique une expertise disciplinaire aigue. Elle est développée à l’UCL dans plusieurs instituts et centres de recherche au travers de disciplines telle que la psychologie, sociale et clinique, la santé publique, la sociologie, l’anthropologie, la démographie, l’économie, le droit. Ces questions intéressent également les philosophes, les politologues, les historiens, les biologistes, les géographes, les médecins, et bien d’autres scientifiques. Les questions liées aux migrations traversent la recherche universitaire.
L’approche disciplinaire est importante mais elle n’est pas suffisante pour appréhender la complexité des problématiques liées aux migrations. Elle doit se doubler d’une approche interdisciplinaire.
Comment réfléchir en effet à la gestion légale des flux migratoires sans, dans le même temps, en mesurer l’ampleur et l’évolution ? Comment concevoir des politiques d’intégration sans s’intéresser aux stéréotypes ? Comment analyser l’impact de la présence des migrants dans un pays de résidence sans évaluation économique ? Comment prévoir les flux sans l’apport des géographes, des politologues, des climatologues ? Comment adapter les règles de preuve applicables dans la procédure d’asile sans l’apport des psychologues, des médecins et des professionnels de la santé sur le stress post-traumatique et celui des anthropologues sur le dialogue interculturel ? Comment préparer et accompagner les changements induits par les questions de migration dans le système de santé et de sécurité sociale ? Comment développer des approches spécifiques pour des publics vulnérables tout en maintenant l’équité et favorisant l’intégration ? Comment conjuguer conditionnalité, développement et enjeux éthiques ? Comment réfléchir à ces questions fondamentales sans le regard du philosophe ?
Les exemples sont nombreux pour démontrer la nécessité et la pertinence d’une approche interdisciplinaire. Cette dernière ne se substitue pas à la recherche disciplinaire mais la complète et l’enrichit. Elles se nourrissent l’une de l’autre.
Réseaux existants de facto et réalisations
Des consortia de chercheurs travaillant sur les questions migratoires existent de facto depuis des années à l’UCL et au sein d’autres universités. Des synergies se développent naturellement autour de certains sujets et au gré des affinités et rencontres personnelles.
La démarche de l’UCL autour de l’accueil des réfugiés a multiplié ces rencontres et a suscité de nouveaux projets. Elle a aussi développé les interactions et la coopération entre les services centraux de l’université, les instituts et les facultés.
Ces synergies portent sur les trois missions de l’UCL : recherche, enseignement et service à la société.
Sans pouvoir citer toutes les réalisations, il est intéressant de mentionner :
En matière de recherche
Au sein des instituts, certains groupes de chercheurs se coalisent autour des questions migratoires, au-delà des « frontières » des centres. Ainsi, par exemple, au sein de JURI, l’EDEM qui regroupait initialement des chercheurs en droit international et européen a intégré des pénalistes, des constitutionnalistes, a invité des conférenciers étrangers avec des juristes travaillant en droit économique. A l’IRSS, plusieurs projets de recherche en lien avec les questions de migration et santé rassemblent des professionnels de santé (médecins, infirmiers…), des psychologues mais également des sociologues, des démographes ou encore des politologues. Citons, à titre d’exemple, le travail réalisé dans le cadre du MIPEX -Migrant Integration Policy Index- par rapport à l’inclusion des migrants (en ce compris les réfugiés et les demandeurs d’asile) dans le système de santé belge.
Au-delà des disciplines, des projets conjoints existent entre les instituts ; d‘autres sont actuellement en préparation. Pour n’en citer que quelques-uns :
- MIND (Mobilité, Interculturalité et Diversité) est un groupe de recherche transversal, créé avec le soutien de l’Institut IACCHOS. MIND rassemble les chercheurs et doctorants de l'UCL qui mènent des travaux sur la Mobilité, l’Interculturalité et/ou la Diversité dans les sociétés contemporaines.
Au sein du groupe se croisent les regards de l’anthropologie, de la démographie, de l’histoire et de la sociologie, ainsi que le droit, la géographie et la psychologie.
- Le projet LIMA (Personal Aspirations and Processes of Adaptation: How the Legal framework Impacts on Migrants’ Agency), créé dans le cadre d’un financement ARC, a débuté à l’automne 2015 et court sur une période de 5 ans. Il réunit des juristes, des sociologues et des démographes et vise à confronter l’environnement normatif aux réalités concrètes de l’immigration.
- La Chaire Hoover traite également des questions migratoires en croisant les regards de plusieurs disciplines. Elle organise de nombreuses activités interdisciplinaires qui réunissent des chercheurs de plusieurs disciplines.
- Projet GLOBMIG (déposé dans le cadre des appels ARC 2017, par F. Docquier, Philippe Bocquier, Jean-Yves Carlier et Pierre Schaus) – recherche abordant notamment le rôle des sources de données innovantes (big data, données géo-localisées, etc.) dans la compréhension des phénomènes migratoires à une échelle spatiale très détaillée.
De nombreuses pistes de synergies existent et n’ont pas encore (suffisamment) été exploitées :
- Utilisation des nouvelles technologies pour objectiver et analyser des données chiffrées relatives aux migrations ; exploitation des nombreuses bases de données et collectes de données sur les mouvements de population passés et actuels ; analyse des données provenant des réseaux de téléphonie, …
- Croisement entre les questions procédurales et les données de santé qui influent sur l’aptitude à relater ou à prouver, tout en y associant une réflexion sur les stéréotypes et les questions d’interculturalité ;
- Analyse de l’eurobaromètre en matière migratoire par une approche croisée : psychologie sociale (stéréotypes), sciences politiques, démographie, réalités juridiques, …
- Compréhension et analyse des mécanismes d’implémentation du changement en faveur de la diversité dans des contextes complexes et soumis à des influences multiples comme le milieu scolaire, les soins de santé, le marché du travail…
Outre ces collaborations internes à l’UCL, le rassemblement des chercheurs permet également de croiser les réseaux des uns et des autres, notamment au niveau international et, de là, élargir les horizons de chacun des centres. A titre d’exemple, les chercheurs de l’IRSS ont été membres de deux réseaux européens COST consacrés à la santé des migrants et minorités ethniques (COST-HOME & COST-ADAPT).
En matière de service à la société
Depuis des années, des centres de l’UCL assurent des missions de formation, d’expertise de terrain, dans le secteur de l’immigration (auprès de la Croix Rouge, de Fedasil, du Service Public Fédéral Santé Publique, du Conseil de l’Europe, de la Banque mondiale …). Cette expertise s’est, par exemple, concrétisée dans l’élaboration de recommandations vers des soins interculturels en 2011 (projet ETHEALTH) à l’attention de la ministre de la santé publique.
L’implication de l’UCL dans l’accueil des réfugiés a généré une série d’initiatives.
- Le 26 octobre 2015, une grande journée de réflexion interfacultaire s’est tenue autour du thème « Réfugiés et migrants : comprendre pour agir ». Elle était destinée aux étudiants, aux membres du personnel et au public. Après un état des lieux interdisciplinaire autour des questions relatives aux réfugiés et aux migrants, quatre ateliers participatifs ont été organisés. Ils étaient animés par des acteurs de terrain, des chercheurs et des étudiants et ont débouché sur des propositions d’actions concrètes.
- Dans la foulée, à la demande des acteurs de terrain, une équipe de professeurs et de chercheurs de la faculté de droit, de la faculté de psychologie et des sciences de l'éducation et de l’Ecole des sciences politiques et sociales ont organisé trois journées de formation destinées au personnel des associations qui accompagnent les réfugiés.
- L’accueil de ces initiatives a incité leurs promoteurs à poursuivre leurs actions. Un projet de conférences interdisciplinaires a été proposé dans le cadre de Louvain 2020 et le projet a été retenu. Au cours de l’année 2016-2017, six conférences ont été organisées, intitulées Migrations : regards croisés. S’y sont ajoutées d’autres activités telles que ciné-débat, réseautage, …
Ces conférences se caractérisaient par une approche résolument interdisciplinaire sur différentes thématiques transversales liées aux migrations. Les professeurs et leurs équipes de chercheurs en sciences humaines de l’UCL se sont associés à des experts belges et internationaux pour informer, échanger et raisonner les questions que posent les migrations. Ces conférences ont connu un large succès (plusieurs centaines d’inscrits à chacune d’elles).
La préparation de ces conférences a donné lieu à un important travail rédactionnel de manière à construire une approche par thème plutôt que par discipline. Il ne s’agissait pas de superposer des disciplines mais de construire un regard interdisciplinaire cohérent sur une problématique (trajectoires du point de vue qualitatif, quantitatif, discours, économie, famille, violence). Ce travail a contribué à rapprocher les chercheurs et à les ouvrir à d’autres angles d’approche.
Les conférences se sont terminées par un évènement public à la ferme du Biéreau, associant des artistes à la réflexion sur les migrations dans le monde contemporain
En matière d’enseignement
Les enseignants et chercheurs qui se rencontrent dans des projets interdisciplinaires partagent ensuite cette ouverture avec leurs étudiants (via des invitations dans leurs cours respectifs, des conférences conjointes ou des co-promotions). De plus, il existe une demande grandissante dans certaines filières d’être mieux préparés à la rencontre interculturelle, qu’il s’agisse des futurs médecins, enseignants ou psychologues.
Le travail rédactionnel des conférences interdisciplinaires, Migrations : regards croisés, a servi de base à la préparation de scénarios pour créer un futur MOOC interdisciplinaire. Il est déjà partiellement réalisé et devrait voir le jour en 2018. Un projet de financement a été déposé dans le cadre de l’appel à projet MOOC de ce mois de septembre 2017.
Nécessité de développer
La nécessité d’approfondir et de renforcer les recherches en matière de migrations est une certitude. Un potentiel réel existe au sein de l’UCL et est déjà pour partie exploité.
Toutefois, il est impératif de lui donner les moyens structurels de se développer. Pour que cela soit possible, il faut donner à la recherche interdisciplinaire les moyens de sa réalisation et surtout des lieux où des synergies se créent.
D’une part, il faut que les initiatives qui existent subsistent et se développent au-delà de la crise. D’autre part, il est important d’élargir les réseaux existants, non seulement pour impliquer d’autres disciplines et centres, mais aussi pour enrichir et diversifier les approches. Pour atteindre ces deux objectifs, il faut développer les réseaux, ce qui nécessite un cadre de rencontre et de travail en commun. Il ne s’agit pas d’ajouter des réunions aux réunions mais de trouver les moyens de se connaître, de se reconnaître par des synergies de contenu et d’échanger.
Créer un Louvain4Migration permet non seulement de consolider ce qui existe mais aussi d’étendre et de croiser les réseaux. De nouvelles disciplines commencent à s’intéresser aux questions migratoires : des informaticiens interviennent aujourd’hui dans l’analyse des flux et des données ; des spécialistes en politique industrielle pour tenter d’évaluer l’évolution des besoins sur le marché du travail, des linguistes qui réfléchissent à l’adaptation des programmes d’intégration, …. Sans prétendre réunir toutes les personnes qui travaillent sur ces questions de manière parfois incidente, un réseau organisé favorise des synergies inédites.
Un tel réseau permettrait aussi à l’UCL de se positionner et d’avoir une identité face à d’autres centres de recherche qui ont déjà opté pour une approche interdisciplinaire comme en Belgique le GERME (ULB), le CEDEM (ULG), le Centrum Interculturalisme, Migratie en Minderheden à la KUL, … Il en va de même de centres dans des universités étrangères comme le Refugee Studies Center à Oxford ou le Migration Poliçy Center au sein de l’European University Institute à Florence. Il est intéressant et important que l’UCL puisse aussi être identifié comme un lieu d’expertise en matière de recherche interdisciplinaire sur les migrations. Cela facilite également notre visibilité et la coopération avec des universités dans les pays d’origine des migrants où il existe aussi des centres interdisciplinaires.
Projet
La création d’un Louvain4Migration permettrait :
- De renforcer les réseaux informels qui existent déjà en créant des outils d’échange d’informations plus intégrés et plus conviviaux ;
- D’étendre ces réseaux à des chercheurs de l’UCL appartenant au réseau de l’un ou de l’autre, à des chercheurs restés en dehors des projets interdisciplinaires déjà développés soit pour des raisons de timing, soit parce que leurs disciplines n’étaient pas ou ne sont pas directement en lien avec l’immigration mais le sont incidemment ou nouvellement ;
- De développer les synergies moins communes entre les trois grands secteurs de l’U.C.L. : SSH, SSS et SST :
- avec les sciences exactes (notamment autour de l’utilisation des sources de données innovantes provenant des réseaux de téléphonies, des nouveaux outils de mesurage de la densité de la population, … des millions de données sont aujourd’hui disponibles et leur exploitation requiert le recours aux sciences informatiques) et
- les sciences de la santé, notamment dans le domaine de la traumatologie, de la santé publique, de la problématique des soins en milieux interculturels, en situations précaires, …
dont l’expertise sur des questions liées aux migrations est précieuse ;
- De développer des synergies avec Louvain Coopération notamment autour des questions migrations et développement.
- De mieux gérer les réponses aux appels à projets liés aux migrations ;
- De favoriser l’ouverture des étudiants aux autres approches d’une problématique que celle de leur discipline et les mobiliser autour de projets interdisciplinaires;
Par exemple, suite à la rencontre avec Victoria Kelberer de la Boston Université – invitée par l’ARES dans le cadre d’une bourse Fullbright en octobre 2017 et reçue à l’UCL les 10 et 12 octobre, il pourrait être proposé aux étudiants de plusieurs facultés d’intégrer un « incubateur » de projets. Un groupe d’étudiants y a ainsi créé une application qui sera utilisée par des dizaines de milliers de réfugiés en Jordanie (https://www.bu.edu/pardeeschool/tag/urban-refuge/).
L’on pourrait ainsi rassembler dans un même cours des étudiants en sciences humaines et des informaticiens ou des ingénieurs (par exemple ceux qui dont un des projets est de concevoir des applications :
https://sites.uclouvain.be/projetsBacEPL/projet-bac-3-en-informatique/
ou encore les étudiants et enseignants du projet IngénieuxSud
- De développer encore davantage l’approche interdisciplinaire des enseignements en cette matière en complétant l’offre que proposera le MOOC interdisciplinaire sur les migrations (mini master, certificat, …) ;
- D’attirer à l’UCL des étudiants étrangers souhaitant se former dans ce secteur de manière transversale ;
- De donner une visibilité aux synergies existantes en interne et en externe.