Etudier les gènes homéotiques, des gènes « architectes » à l’œuvre au cours de développement de l’embryon et dans le temps long de l’évolution
La forme d’un animal, son organisation, sa physiologie, résultent de son ontogenèse, à savoir de la succession des événements qui ont pris cours depuis la fécondation dont il est généralement issu jusqu’à la maturité sexuelle. Le développement reprend ainsi la période embryonnaire, la période fœtale, la période néo-natale puis la maturation jusqu’à l’âge adulte.
En termes d’évolution des espèces, comprendre comment les différentes formes animales ont évolué impose donc de comprendre comment les processus développementaux à la source de la morphogenèse et de la physiologie ont évolué. Depuis plus de vingt ans maintenant, il s’est établi un dialogue en l’étude de l’évolution biologique et l’étude des phénomènes cellulaires et moléculaires qui sous-tendent l’ontogenèse.
Ces processus développementaux, ces phénomènes cellulaires et moléculaires qui assurent le bon développement d’un individu sont en bonne partie héréditaires. Il suffit pour s’en convaincre de reprendre l’adage selon lequel les chiens ne font pas des chats ou de constater les ressemblances entre jumeaux partageant le même patrimoine héréditaire. Ainsi, la génétique du développement cherche à comprendre comment les processus développementaux sont en effet contrôlés par l’activité des gènes dans le temps (à quelles étapes du développement) et dans l’espace (dans quelles structures, tissus ou organes).
Notre équipe de recherche étudie précisément les rôles et les modalités d’action de gènes actifs durant l’ontogenèse. Plus particulièrement nous étudions des gènes qualifiés d’« architectes » car leur activité détermine la structure de l’organisme (où se développent sa tête, son thorax et son abdomen) et est cruciale à la bonne mise en place d’organes dès les premières étapes du développement embryonnaire. Ainsi, de manière corollaire, quand ces gènes sont mutés, et donc dysfonctionnent, des organes apparaissent malformés, certaines structures se développent à un mauvais endroit, ou à un mauvais moment. La découverte de ces gènes il y a près de quarante ans chez la mouche drosophile, appelés gènes homéotiques,a fait exploser l’étude du développement dans un cadre de comparaison entre organismes, donc dans un cadre d’évolution. Par exemple, la mutation d’un de ces gènes, Antennapedia, entraîne l’apparition de pattes à la place des antennes sur la tête de la mouche, et le même gène.
Ces gènes homéotiques existent chez presque tous les animaux et leurs fonctions les plus fondamentales ont été conservées au cours de l’évolution animale. Ainsi, chez les vertébrés, et donc les mammifères comme nous, l’activité de ces gènes contribuera à donner aux futures vertèbres leur forme propre selon la place qu’elles occupent le long du grand axe du corps (tête – queue) : vertèbres cervicales, thoraciques, lombaires, sacrées, coccygiennes. Ces gènes sont aussi actifs dans le positionnement et la structuration des membres, dans la régionalisation du futur cerveau, du futur tube digestif ou du système respiratoire, etc…
On comprendra alors, et de nombreuses évidences expérimentales le soutiennent, que les changements apparus dans ces gènes (les mutations) au cours de l’évolution ont entraîné des modifications dans la structuration de l’organisme, dans leur forme : modification du nombre de pattes chez les arthropodes, adjonction de côtes sur presque toutes les vertèbres chez le serpent, cloisonnement du cœur chez les mammifères, etc.
Comprendre les fonctions et les modalités de ces gènes homéotiques contribue donc à identifier ce qui a été -on en a parfois la preuve- ou a pu être -quand on l’infère- à l’origine de l’évolution des formes animales.
Références :
Ouvrages, essais ou chapitres de livres généralistes
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Articles spécialisés
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