Fonctions exécutives et cognition sociale

"INEMO KIDSCHOOL" pour Inhibition – Emotion


Equipe de recherche :

Professeure Nathalie Nader-Grosbois 
Docteure en Psychologie, Professeure à l’UCL
nathalie.nader@uclouvain.be

Professeure Marie-Pascale Noël
Docteure en psychologie, Professeure à l’UCL, Maître de recherche au FNRS
marie-pascale.noel@uclouvain.be

Alexandra Volckaert
Docteure en Psychologie, Neuropsychologue, chercheuse et Professeure invitée à l’UCL
alexandra.volckaert@uclouvain.be

Marine Houssa 
Docteure en Psychologie, chercheuse et Professeure invitée à l’UCL
marine.houssa@uclouvain.be

Nastasya Honoré
Docteure en Psychologie, chercheuse et Professeure invitée à l’UCL
nastasya.honore@uclouvain.be

 

 

Constat

Les troubles du comportement sont à l’origine des demandes les plus fréquentes de consultations cliniques pour les enfants d’âge préscolaire (3-5 ans) et en début de scolarité primaire. Divers facteurs de risque y sont associés, dont un déficit au niveau des fonctions exécutives (FE), et en particulier de l’inhibition, mais également au niveau des compétences socio-émotionnelles (CSE) et de la résolution de problèmes sociaux (gestion des conflits).

Que sont les fonctions exécutives et quel est leur lien avec le comportement?

Les fonctions exécutives correspondent à un ensemble de mécanismes cognitifs permettant l’adaptation du sujet à des situations nouvelles et la mise en place de conduites complexes, notamment lorsque des routines ne suffisent plus ou sont inappropriées (Van der Linden et al., 2000). En d’autres termes, quand une situation particulière demande de contrôler son comportement (plutôt que d’agir de manière automatique), les fonctions exécutives interviennent. Selon Diamond (2013), les trois fonctions exécutives « principales » sont la mémoire de travail, la flexibilité et l’inhibition, et serviraient de fondations pour des fonctions exécutives de plus haut niveaux, telles que la résolution de problème, le raisonnement et la planification.

La mémoire de travail est utilisée chaque fois qu’il s’agit de retenir une information en mémoire pour un court laps de temps, d’effectuer des transformations sur cette information ou de la manipuler et d’éliminer les informations non-pertinentes (Baddeley & Hitch, 1994; Monette & Bigras, 2008). Quand une maman dit à son enfant « s’il te plait, monte dans la salle de bain et va te brosser les dents », l’enfant doit retenir cette information en mémoire à court terme jusqu’à ce qu’il commence l’action en question. Si, en se dirigeant vers les escaliers, l’enfant est interpellé par son frère qui lui demande « où as-tu mis mon hélicoptère ? », il doit garder deux informations distinctes en mémoire, répondre à la question du frère tout en gardant bien en tête (c’est-à-dire, actif en mémoire de travail), le but de l’action première (se brosser les dents).

L’inhibition fait référence à la capacité de supprimer une réponse prédominante, automatique, qui n’est pas adéquate pour la situation en cours (Friedman et al., 2008). De manière plus spécifique, on peut distinguer différentes fonctions de l’inhibition : le contrôle de l’interférence/des distracteurs, l’inhibition d’une réponse prédominante, la gestion de l’impulsivité et l’interruption d’une réponse en cours. Voici un exemple de contrôle de l’interférence ou des distracteurs : si l’enseignant demande aux enfants de l’écouter attentivement, ils doivent porter toute leur attention sur ce qui est dit et inhiber la tendance naturelle de porter son attention sur des distracteurs tels que d’autres enfants qui rient plus loin, le bruit dans la cour de récré, le glacier qui passe etc. Un autre exemple concerne la tendance des enfants à vouloir toucher les jouets dans un magasin bien que leurs parents leur aient interdit de le faire. Ceci illustre l’inhibition d’une réponse prédominante. Enfin, quand un enfant joue sur l’ordinateur et que ses parents lui demandent d’arrêter son jeu pour venir à table, il doit mettre en oeuvre l’interruption d’une réponse en cours.

La flexibilité est quant à elle la capacité de passer rapidement d’une tâche à une autre ou d’alterner entre différents registres mentaux, différents schémas d’action afin de s’adapter à de nouvelles exigences (Monette & Bigras, 2008). Un enfant joue au gendarme et aux voleurs. Dans un premier temps, c’est lui le gendarme et il s’amuse à poursuivre les autres. À un certain moment, ses condisciples souhaitent qu’un autre soit le gendarme. Dans ce cas, notre enfant doit pouvoir passer d’un rôle à un autre et faire donc preuve de flexibilité. Un enfant plus grand qui fait ses devoirs et est distrait par des annonces d’arrivées de mails ou de messages sur son téléphone portable, devra utiliser sa flexibilité : passer du devoir à la lecture du message et revenir ensuite aux devoirs.

Les fonctions exécutives jouent un véritable rôle dans la régulation du comportement et occupent une place centrale dans le contrôle émotionnel et les interactions sociales (Anderson, 2002). A l’école, elles influencent de manière importante les performances académiques, principalement dans les domaines de l’arithmétique et de la lecture/écriture (Best, Miller, & Naglieri, 2011; Monette, Bigras, & Guay, 2011) et elles influencent également la carrière professionnelle.

Le lien entre fonctions exécutives et troubles du comportement a été démontré dans de nombreuses études (voir par exemple Fahie et Symons, 2003 ; Raaijmakers et al., 2008 ; Bohlin, Eninger, Brocki et Thorell, 2012). Il a également été démontré que le développement des fonctions exécutives permet de prédire les comportements difficiles et inversement.

Au Canada, Adèle Diamond montre depuis de nombreuses années que travailler le contrôle cognitif dans des classes de maternelles amène à une plus grande réussite scolaire (2007).

La reconnaissance de difficultés cognitives et/ou comportementales dans les classes de maternelles ont conduit quelques auteurs à développer des interventions visant l’amélioration des fonctions exécutives chez les tout jeunes enfants. Ils ont montré qu’il est possible d’améliorer les capacités d’inhibition (Diamond et al., 2007 ; Thorell et al., 2009), les performances en mémoire de travail (Klingberg et al., 2005 ; Thorell et al., 2009) ou les fonctions exécutives en général (Röthlisberger et al., 2001). Cependant, rares sont les études ayant examiné l’effet de l’amélioration des fonctions exécutives sur le comportement des enfants.

Que sont les compétences socio-émotionnelles et quel est leur lien avec le comportement?

En psychologie du développement, les compétences sociales et émotionnelles (CSE) désignent l’ensemble des processus cognitifs impliqués dans les interactions sociales ou « les mécanismes amenant aux comportements sociaux qui, à leur tour, sont les bases de l’évaluation de l’adaptation sociale des autres » (Crick & Dodge, 1994, p. 74).

Pour appréhender les CSE chez l’enfant, deux types de modèles ont été conçus en psychologie du développement et en psychopathologie du développement. Le premier type de modèle s’intéresse à la façon dont l’enfant développe sa compréhension des états mentaux des êtres humains et se réfère à la Théorie de l’Esprit. Le deuxième type de modèle se penche sur les étapes en jeu lorsque l’enfant est confronté à des situations sociales, pouvant être critiques, ambigües ou pas ; c’est ce qu’on appelle le traitement de l’information sociale (TIS). Ces deux types d’approches peuvent être pertinents pour fonder des interventions entrainant les CSE chez l’enfant.

La Théorie de l’Esprit (Theory of Mind, ToM) correspond à la compréhension des états mentaux, tels que les émotions, les croyances, les désirs, les intentions, les perceptions et elle permet à l’enfant d’inférer les états mentaux pour prédire ses propres comportements ou ceux d’autrui (Premack & Woodruff, 1978). Chez l’enfant, la reconnaissance et la compréhension des émotions de joie, de colère, de tristesse ou de peur, lui permet de s’intéresser à ce qui déclenche une émotion chez une personne (cause) et d’anticiper son comportement (conséquence). Par exemple, il peut comprendre qu’un autre enfant est triste ou pleure parce qu’il a perdu son jouet (cause de l’émotion) et manifester de l’empathie à son égard ou donner un jouet (conséquence par un comportement prosocial). La compréhension des liens entre désirs et émotions chez l’enfant lui permet d’anticiper qu’une personne va se sentir bien, être contente si elle obtient ce qu’elle désire ou va être triste ou fâchée si elle ne l’obtient pas. A propos des croyances, l’enfant va comprendre que ses propres croyances peuvent différer de celles d’une autre personne, en fonction des représentations respectives de la réalité.

Le traitement de l’information sociale « constitue un mécanisme responsable des compétences et comportements sociaux » (Crick & Dodge, 1994, p. 74). Ce processus implique une série d’étapes à mettre en oeuvre lorsque l’enfant doit répondre à une situation sociale, pouvant être critique ou une résolution de problèmes sociaux.

Selon le modèle du traitement de l’information sociale, la résolution de problèmes sociaux correspond à un processus cognitif et comportemental qui va permettre à une personne de pouvoir identifier et découvrir une solution valable à un problème donné (D'Zurilla, Nezu, & Maydeu-Olivares, 2004). Comme le processus de résolution de problèmes sociaux intervient dans l’environnement social de l’enfant, il influence son adaptation sociale (Yeates et al., 2007).

Le lien entre les CSE et les comportements externalisés a été démontré dans plusieurs études (Hughes, Dunn, et al., 1998)(Happé & Frith, 1996; Hughes et al., 2001). Par exemple, Walker (2005) démontre que la compréhension des croyances vient prédire les comportements agressifs et perturbateurs chez des garçons d’âge préscolaire. Hughes (2011, p. 131) explique que l’agressivité chez des enfants semble être le résultat d’une mauvaise compréhension de l’intention d’autrui. Un enfant pourrait par exemple conclure qu’une action a été entreprise de façon délibérée dans le but de blesser l’autre. En ce qui concerne la compréhension des émotions, Hughes et collaborateurs (1998) rapportent un déficit chez les enfants avec comportements externalisés au niveau de la reconnaissance des émotions qui se traduit par un retard de développement de la ToM. Plusieurs auteurs (Eisenberg et al., 2001; Hughes, Dunn, et al., 1998; Speltz et al., 1999) démontrent que plus un enfant a du mal à reconnaitre et à comprendre les émotions, plus il aura des difficultés comportementales (et inversement).

Finalement, nous savons que les CSE influencent les interactions sociales, qui à leur tour agissent sur l’adaptation sociale. Denham et al. (2003) démontrent qu’un enfant de 3-4 ans qui exprime des émotions positives, qui régule ses émotions et qui est capable de reconnaitre et comprendre les émotions d’autrui, est un enfant qui 2 ans plus tard sera perçu comme ayant une bonne adaptation sociale. A l’inverse, un enfant qui est régulièrement fâché aura moins l’occasion d’avoir des ouvertures positives pour une relation avec des pairs, et plus probablement répondra hostilement.

 

Concrètement

Les résultats des recherches précédentes de Marine Houssa, Alexandra Volckaert, Nathalie Nader-Grosbois et Marie-Pascale Noël ont été publiés dans des revues internationales et ont mis en évidence de bénéfices cognitifs, émotionnels et comportementaux (voir les travaux de Volckaert & Noël 2015, 2016 et Houssa & Nader-Grosbois 2016a, 2016b). En combinant les interventions dans le cadre de ce présent projet, nous nous attendons à un impact positif et significatif sur les performances scolaires, la régulation émotionnelle, le contrôle du comportement et l'adaptation sociale chez les enfants ayant bénéficié de l'intervention (enfants plus tolérants, moins égoïstes, plus adaptés socialement, enfants moins agités et impulsifs, et qui régulent mieux leurs émotions). Nous espérons en outre voir un impact positif sur le sentiment de compétence de l'enseignant.

« INEMO KIDSCHOOL » permet une prise en charge des difficultés liées aux problématiques de type hyperactivité/troubles de l’attention et à la gestion des émotions, dans une démarche de prévention, dès le plus jeune âge (3ème maternelle et/ou 1ère primaire).

Pourquoi en prévention?

- Car nous savons que les diagnostics de type trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ne se font pas avant l’âge de 6 ans (DSM-V) mais que les difficultés sont souvent présentes bien avant cet âge (difficultés liées à l’inattention, l’agitation, les colères, etc). Les difficultés comportementales constituent la plainte la plus récurrente chez les parents d’enfants d’âge préscolaire (Owens & Shaw, 2003).

- Car les troubles du comportement sont présents chez 25 à 40% des enfants d’âge préscolaire, dont 7 à 15% à des degrés modérés à sévères. Les troubles du comportement engendrent souvent des difficultés dans les relations familiales, sociales ainsi que dans les apprentissages scolaires (Campbell, Shaw & Gilliom, 2000; Roskam, Noël & Schelstraete, 2011).

- L’intérêt de ce projet de recherche pour l’avenir n’est pas négligeable. Il n’est pas nécessaire de rappeler à quel point les enseignants se sentent démunis au quotidien face au nombre toujours grandissant d’enfants présentant des difficultés comportementales et/ou attentionnelles, ou encore d’enfants qui ne sont pas motivés par l’école. Leur permettre d’acquérir les outils nécessaires pour gérer ces difficultés ou pour réussir à motiver les élèves est donc primordial, augmentant par la même occasion le sentiment de compétence des enseignants (et limitant les cas de burn out fréquents dans cette profession). Il y a donc un intérêt pour les enseignants mais également pour les enfants qui pourront apprendre à gérer leurs émotions et leur impulsivité, sans parler des parents/familles qui se sentiront prises en considération également.

- Car les maternelles installent les bases d’une scolarité sereine et c’est donc dès ce moment qu’il est important d’agir, avant que les difficultés n’apparaissent chez certains enfants.