Brève d'écran* de décembre 2017 du Président Michel Loriaux
(Cette rubrique est ouverte à tous. Contactez-nous si vous souhaitez proposer un article pour diffusion via les "Brèves d'écran")
Johnny forever
Ouf ! la semaine infernale est passée. Johnny repose dorénavant sur l’île de Saint-Barthélemy, dans les Antilles. Une petite concurrence à Jacques Brel sans doute qui lui est enterré aux Marquises.
Pendant près d’une semaine les médias se sont déchaînés sans relâche du soir au matin et du matin au soir. Les antennes ont chauffé comme jamais et les réseaux sociaux ont été saturés. Impossible d’y échapper, à moins de se réfugier dans un monastère.
On a tout appris de la vie de Johnny, dont le prénom seul a éclipsé même le nom de scène qu’il s’était donné pour échapper à sa morne belgitude et entrer dans le rêve américain : Hallyday, son enfance abandonnée, ses cinq mariages, ses divorces, ses traversées du désert, ses défonces, ses trips, ses Harley-Davidson, ses succès fracassants, son millier de chansons, sa cinquantaine d’albums...
On le croyait indestructible et capable de toujours rebondir, sauf une dernière fois où le miracle n’a pas eu lieu. Le miracle, ce fut plutôt la venue massive de ses fans pour assister au passage du convoi funéraire le long des Champs-Elysées jusqu’à l’église de la Madeleine. On en attendait quelques dizaines de milliers et il y en eut plus d’un million, suite à l’annonce des funérailles populaires (à défaut de nationales) que les autorités du pays avaient décidé d’accorder au vieux rockeur pour avoir fait rêver les français pendant près de 60 ans.
Jean d’Ormesson qui avait eu le mauvais goût de décéder la veille de la mort de Johnny a failli rater sa sortie, lui qui la préparait pourtant depuis de longues années à travers une œuvre abondante, structurée autour de l’amour, du plaisir et de la mort...
En moins de 48 heures, la France a perdu deux de ses monstres sacrés, l’un de la littérature, l’autre de la chanson. Heureusement, les autorités publiques avaient trouvé le moyen d’éviter que la mort de Johnny n’éclipse totalement celle de l’académicien en lui organisant une cérémonie d’hommage aux Invalides où le président de la République avait prononcé l’éloge du facétieux polémiste comme il le fit le lendemain pour Johnny. Etre le chef suprême de la nation n’empêche pas d’être régulièrement de corvée « Hommage » !
Emmanuel Macron qui attendait le convoi sur le parvis de l’église a su trouver des mots simples et puissants pour honorer celui qu’il a désigné comme un héros national. Jusque-là, je croyais que les héros étaient des résistants comme Jean Moulin, des savants comme Marie Curie ou des écrivains comme Victor Hugo, mais il faudra dorénavant savoir que les héros sont d’abord des footballeurs ou des artistes du show business, même s’ils n’ont pas toujours brillé par une vie de citoyen exemplaire.
Johnny reconnaît lui-même qu’il aurait pu devenir un délinquant si des anges gardiens bienveillants n’avaient pas veillé sur lui et remis sur le droit chemin lorsqu’il s’en écartait dans des bagarres de blousons noirs ou des démêlés avec le fisc français, sans parler de ses tentatives d’exil fiscal. C’est dans l’air du temps où chacun doit jouer ses bonnes cartes pour sortir de l’anonymat de la foule. Manifestement, Johnny en avait, à commencer par sa puissante voix capable d’allumer tous les feux et d’ouvrir les portes des pénitenciers.
Mais ce qui m’a peut-être paru le plus choquant, c’est la façon dont le pouvoir a profité de cette circonstance tragique pour surfer sur la vague d’émotion provoquée par le décès de la vedette.
Les « gens de peu » qui étaient venus en masse rendre un dernier hommage à leur idole et qui sont si souvent taxés de populisme avaient tout à coup retrouvé considération et respect, au même titre que les bobos et les bourgeois qui avaient aussi succombé un jour au charme du rockeur. Pourtant, à l’intérieur de l’église de la Madeleine, ces derniers étaient nettement plus nombreux que les fans des premières heures obligés de suivre la cérémonie dans le froid sur les écrans géants dressés pour la circonstance, hiérarchie sociale oblige !
Il n’empêche qu’on a échappé de justesse à l’incident diplomatique, quand le président Macron a failli faire usage du goupillon pour asperger d’eau bénite le cercueil, en oubliant l’espace d’un instant que la laïcité républicaine l’empêchait de poser des actes religieux, même pour une religion majoritaire, historiquement implantée dans le pays depuis des siècles et même s’il était censé participer à la cérémonie à titre privé. C’est à cela que servent les mensonges d’état.
Ah, la laïcité, cette grande avancée politique dont les français sont tellement fiers, mais qui rend leur vie tellement compliquée !
Cependant la question plus sérieuse que je me suis posée, c’est de savoir, comme on ne cesse de le répéter, si Johnny était vraiment l’idole de toutes les générations, tous âges confondus, ce qui expliquerait sa durée dans le temps.
Autrement dit, celui qu’on appelait à ses débuts l’idole des jeunes (et la hantise des parents) est-il devenu au fil des années l’idole des papys et des mamies fédérant ainsi tous les publics qui ont jalonné son existence.
Possible, mais je n’en suis pas absolument convaincu. En scrutant les visages des foules denses amassées le long du parcours du convoi funéraire, je n’ai pas eu l’impression de découvrir beaucoup d’adolescents ou de jeunes adultes. Peut-être ont-ils déjà tourné la page de Johnny et regardent-ils vers d’autres idoles ?
En fait je crois plutôt que Johnny a d’abord séduit les jeunes de son âge, voire même parfois les enfants, en détrônant les « chanteurs à la papa » des décennies soixante et septante et que, par la suite, ces publics acquis à sa musique, d’abord via le rock et ensuite via le twist, lui sont restés fidèles en vieillissant en même temps que la star, jusqu’à atteindre un âge vénérable de 70 ans ou plus.
Cela n’enlève rien à son pouvoir fédérateur et à sa capacité de conquérir de nouveaux publics en renouvelant son répertoire et en faisant appel à des paroliers et des compositeurs davantage dans la mouvance de l’époque actuelle.
Allez, soyons fair-play et reconnaissons, comme l’écrit son ami Philippe Labro, que Johnny « l’icône sans rival » est entré dans la légende en mourant en ce mois de décembre 2017. Bravo et merci l’artiste d’avoir tant aimé ton public qui te l’a si bien rendu.
Michel le Belge
(Liège, un jour de décembre 2017)
* Conscient que les chroniques que j’ai régulièrement produites dans les colonnes de "Générations" depuis quelques années étaient parfois un peu trop longues pour soutenir l’attention et l’intérêt de nos lecteurs, j’ai pensé qu’il pouvait être souhaitable de livrer occasionnellement mes réactions aux événements du Monde en qualité d’observateur sous une forme plus concise et surtout plus légère en les appelant "Brèves d’écran", allusion non dissimulée aux brèves de comptoir puisque les discussions n’ont plus lieu au bord d’un comptoir en zinc en sirotant un verre de blanc, mais devant les caméras des chaînes télévisées ou sur les écrans de nos portables (avec bien sûr un verre de coke).