Axe prioritaire de recherche (2013-2016)
Sans doute l’âge baroque a-t-il constitué, pour la plupart des littératures occidentales, un âge d’or pour la poésie, en ce qui concerne tant la qualité de l’expression que la reconnaissance sociale dont elle a fait l’objet. Cependant, depuis la fin du XVIIe s., la trajectoire de la poésie a dérivé vers une progressive marginalisation sociale qui en a fait un art destiné à « l’immense minorité », pour reprendre une expression de Juan Ramón Jiménez. Au XXe s., cette marginalisation semble se radicaliser dans le champ littéraire. Alors que les genres narratifs dominent la scène éditoriale et le marché du livre, « l’autre voix » (O. Paz) de la poésie y occupe (proportionnellement) un créneau restreint. La poésie serait devenue la voix d’une intimité de moins en moins communicable, de plus en plus préoccupée par son propre statut. Pourtant la conception de la poésie qui préside à une telle représentation semble par ailleurs elle-même révoquée au travers de nouvelles pratiques et de nouveaux objets. En effet, au long du XXe s., spécialement, on observe aussi une présence marquée de la poésie dans l’espace public, sous des formes anciennes et nouvelles, à la croisée des arts et des médias, dont l’inventaire et l’exploration systématiques méritent d’être entrepris, d’autant plus qu’elles acquièrent une forte visibilité dans certains domaines linguistiques: ce phénomène multiforme, qui mobilise désormais collectivement divers acteurs de la création humaine, engage sans doute une autre conception de la poéticité, voire de la littérarité, à commencer par une nouvelle performativité, en dehors des contours livresques traditionnels, et une nouvelle puissance signifiante.
La problématique rapidement ébauchée peut se décliner selon cinq axes principaux, qui tenteront de cerner ces nouveaux objets poétiques et d’en éclairer les fonctions (dont l’ « hygiène psychique » de la société, dont parle le poète – stadsdichter et Dichter des Vaderlands – Ramsey Nasr ; mais aussi : commémoration, didactique, esthétique, amusement…) au sein des différents champs linguistiques et culturels qui sont ceux du Centre de recherche ECR (français, anglais, espagnol, allemand, italien, neerlandais) :
- Poésie et performance : oralité, théâtralité, arts de la scène,
- Inscription de la poésie (publique) dans l’espace urbain ou le paysage (land art):
- altération de support et de statut : poésie et écriture durable (le monument), poésie et écriture éphémère (les graffitti, les installations), intermédialité,
- poésie et mobilisation sociale, lien au politique, idéologie et engagement,
- conditions de lisibilité : poésie de circonstance, référentialité, dépassement du langage,
- co-auctorialité et poésie collective (en lien avec la communauté de lecteurs) : vers un nouvel art social partagé.
- Traçabilité, archivage et mémoire de la poésie publique : consumérisme, pérennité, vulnérabilité (articulation entre poésie de circonstance, éphémère, occasionnelle, et héritage/patrimoine),
- La poésie dans le champ littéraire : textualité matérielle, fonctionnements éditoriaux, rapport à la dimension institutionnelle et incidence sur la notoriété (« grandeur littéraire »), circulation
- Effets de lecture et nouveaux schèmes de lecture : implication du lecteur/spectateur et interaction, rythmiques de lecture, partage de l’expérience de lecture, rétention multisensorielle sinon synesthésique du poème, subjectivation collective de l’expérience émotionnelle