« DE LA POSITIVITÉ DE L’EGO À LA NEUTRALITÉ DU TIERS
LA PHÉNOMÉNOLOGIE ET SES PERSONNES »
Colloque conjoint organisé par
le Centre d’herméneutique phénoménologique (Paris)
& le Fonds Michel Henry (Louvain-la-Neuve)
Université catholique de Louvain – Institut Supérieur de Philosophie (ISP)
Collège Mercier – Salle Jean Ladrière
3 et 4 novembre 2014
En travaillant à L’essence de la manifestation, Michel Henry notait pour lui-même que « la thèse de l’ego transcendant revient à faire une philosophie de la 1ère personne en 3ième personne ». Or, il s’en indignait aussitôt : « certes [la] 1ère personne peut apparaître dans le monde de la 3ième personne ; tout je peut être un il, pour un autre Ego et peut-être aussi pour lui-même. Mais précisément, comment cela est-il possible ? Comment ce qui m’apparaît dans la sphère de la 3ième personne peut être dit une 1ère personne ? […] Originairement, je suis un Je, et non pas un il, à supposer que je puisse être un "il", un "autre" pour moi-même. C’est de ce phénomène originaire donc, ce fait que je suis d’abord un ego, qu’il faut tout de même rendre compte » (Michel Henry, « Notes préparatoires à L’essence de la manifestation : "La subjectivité" », in Revue internationale Michel Henry, 2012, n° 3, Ms A 5-2-2694, p. 112.). Il va sans dire que, dans ces mots de Michel Henry, c’est Sartre qui est visé ici, La transcendance de l’Ego avançant l’idée selon laquelle « l’Ego » n’est pas un « "habitant" de la conscience » (Jean-Paul Sartre, La transcendance de l’Ego (1936), Paris, Vrin, coll. "Bibliothèque des textes philosophiques", 1992, p. 13) mais l’un de ses objets, la conscience elle-même n’étant qu’une spontanéité impersonnelle. L’exemple du bon livre le montre : non, « le Je » qui « doit pouvoir accompagner toutes nos représentations » (Emmanuel Kant, Kritik der reinen Vernunft, B 131, AK III, 108) ne le fait pas toujours, tant, pris par ma lecture, je m’oublie, tournant les pages une à une sans me dire à chacune que je tourne la page. Cependant, comme Husserl et Heidegger avant lui, comme Merleau-Ponty et Levinas après lui, Sartre n’en développe pas moins une phénoménologie de l’ego, attestant ce faisant lui aussi de la positivité du je, lors même qu’il désire construire une philosophie de la conscience qui ne soit pas une philosophie du sujet. Car, que l’on dissocie ce que certains relient ou que l’on privilégie l’un de ces éléments à l’autre quand d’autres les congédient tous deux, la règle semble vouloir, en phénoménologie, qu’à part le moi — transcendant ou transcendantal —, rien ne puisse valoir comme point de départ — ni, peut-être, comme point de fuite.
Ainsi, la critique de Michel Henry s’élargit, dans la mesure où la problématique en laquelle elle consiste en fait s’adresse à chacun des représentants de ce courant philosophique en droit. Problématique nouvelle, quoique deux de ses trois problèmes soient vieux : celui, moderne, de la reconnaissance d’autrui — « comment ce qui m’apparaît dans la sphère de la 3ième personne peut être dit une 1ère personne ? » — et celui, ancien, de la connaissance de soi — faut-il « supposer que je puisse être un "il", un "autre" pour moi-même » ? —, posent encore, sinon d’abord celui, contemporain, de la personne à laquelle en parler. Doit-on en effet traiter d’autrui à la première personne, puisqu’autrui est, comme moi, un moi, ou à la troisième, puisqu’autrui n’est pas le moi que je suis moi ? Et doit-on traiter de soi à la première personne, puisqu’être soi, pour moi, c’est être moi, ou à la troisième, puisque ne pas être maître de soi indique que le moi n’est pas toujours maître chez lui ? Dès lors, la question de savoir de qui disputer se voit doublée par la question de savoir de quelle façon en discuter. Sans doute est-ce l’apanage de la phénoménologie que d’avoir, non seulement fait d’autrui l’objet d’une interrogation en philosophie — comme le veut l’histoire de celle-ci, qui en crédite d’ordinaire Hegel dans sa Phénoménologie —, mais fait de lui un sujet aux multiples visages — comme le veut aujourd’hui la trinité du moi, de l’autre et du tiers, qui inspire des travaux ailleurs qu’en philosophie. Mais sans doute serait-ce un avantage, pour la phénoménologie, que de comprendre pourquoi et comment le fait de comprendre la subjectivité comme intersubjectivité lui fait confirmer ce proverbe : « jamais deux sans trois ». Pourquoi et comment le fait de penser ces personnes que sont le moi et l’autre, en pensant l’alter comme ego et l’ego comme alter, aboutit-il à de l’impersonnel, puisqu’à la neutralité du tiers ?
Parce que toutes commencent par dire « je », mais que ce « je » désigne toujours un « nous », vise souvent un « tu », distingue parfois le « il » du « elle » ou critique le « on », et parce que plusieurs d’entre elles finissent par dire « es gibt », « il y a », « cela donne » ou par concevoir le tiers moins comme un être réel que comme une entité abstraite, c’est donc des personnes dont parlent et en lesquelles parlent les personnalités de la phénoménologie qu’il sera question dans ce premier colloque conjoint du Centre d’herméneutique phénoménologique et du Fonds Michel Henry. L’entreprise se justifie par un pari. Gageons en effet que l’association des personnes puisse épuiser celles que décrit la phénoménologie comme celles auxquelles elle écrit.
Organisation : Jean Leclercq & Christophe Perrin
Contact : christophe.perrin@uclouvain.be