Concepts
Eisenberg, Cumberland et Spinrad (1998, p.242) définissent les compétences émotionnelles comme « la compréhension de ses propres émotions et celles d’autrui, la tendance à exprimer ses émotions d’une façon appropriée selon la situation et la culture, et la capacité à inhiber ou moduler ses émotions en vue d’adapter son comportement pour atteindre ses buts d’une façon acceptable socialement ».
Lorsqu’on s’intéresse aux compétences émotionnelles des enfants, on distingue le développement de la reconnaissance des émotions, de l’expression émotionnelle, de la régulation émotionnelle et de la compréhension des émotions.
Pour reconnaître des émotions d’autres personnes, l’enfant doit être capable de traiter la façon dont elles expriment les émotions de façon non verbale, par les mouvements du visage, le regard, les gestes, les postures et de façon verbale, par ce qu’elles disent, la voix, l’intonation utilisée, etc.
Pour exprimer des émotions, l’enfant va découvrir au fil de ses expériences, comment manifester de façon non verbale (ses expressions faciales, gestuelles, sa posture) et verbale, ce qu’il ressent dans différentes situations. Selon son niveau de développement cognitif et communicatif, sa compréhension des situations, et les personnes avec lesquelles il interagit, l’enfant va progressivement adapter la façon dont il exprime ses émotions négatives et positives.
En fonction des situations que l’enfant vit, il est amené à réguler ses émotions pour s’adapter socialement. Lorsqu’il est frustré, parce qu’il n’obtient pas ce qu’il veut, ou doit attendre, il doit apprendre à contrôler l’expression de son émotion de colère ou de tristesse. Lorsqu’il est confronté à une situation sociale critique, comme par exemple, un conflit avec un autre enfant, il doit pouvoir réguler ses émotions pour que la situation ne s’aggrave pas. Il peut diminuer l’intensité de son expression émotionnelle ou choisir une forme d’expression émotionnelle plus adéquate.
Chez certains enfants, des difficultés à réguler leurs émotions de manière adaptée, peuvent apparaître régulièrement, on parle de dysrégulation émotionnelle.
Intérêt
Qu’il s’agisse de la joie, de la colère, de la tristesse ou de la peur, ces compétences émotionnelles sont essentielles pour le bien-être psychologique des enfants, leurs interactions sociales et leur qualité de vie. Tout professionnel, tout parent peut aider au développement de ces compétences émotionnelles.
Un foisonnement de travaux ont été consacrés au développement émotionnel typique et de jeunes enfants présentant des troubles de développement, dont la déficience intellectuelle, les troubles du spectre de l’autisme, des troubles du comportement (voir notamment recensions de Baurain & Nader-Grosbois, 2013 ; Nader-Grosbois, 2011, 2012 ; Nader-Grosbois & Day, 2011). Les profils émotionnels varient selon les enfants et selon leurs troubles de développement, avec des forces et des faiblesses. Ces travaux montrent qu’il est indispensable de repérer le plus tôt possible les difficultés à reconnaître les émotions, à les exprimer, à les réguler et à les comprendre, au moyen d’outils adaptés et de mettre en place des programmes de prévention et d’intervention à leur égard.
Questions
- Comment les enfants expriment-ils et régulent-ils leurs émotions ?
- Pourquoi certains enfants rencontrent-ils des difficultés à exprimer et réguler leurs émotions de façon adaptée, ou présentent une dysrégulation émotionnelle ?
- Quels sont les facteurs individuels, familiaux, éducatifs, favorables et défavorables pour une bonne régulation émotionnelle ?
- Sur base des profils de compétences émotionnelles, comment intervenir de façon efficace ?
- Chez de jeunes enfants d’âge précoce et d’âge préscolaire
- Chez de jeunes enfants présentant une déficience intellectuelle de diverses étiologies
- Chez de jeunes enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme
- Chez de jeunes enfants présentant des troubles externalisés du comportement
Evaluation
Sur base de modèles récents, les chercheurs ont développé une série de dispositifs d’observation, de mesures pouvant évaluer les compétences émotionnelles afin de mener des travaux de recherche et d’améliorer les pratiques d’évaluation par des professionnels. Plusieurs dispositifs et grilles d’observation ont été validés ainsi que des questionnaires pouvant être complétés par l’entourage de l’enfant, parent ou professionnel. Ces dispositifs et questionnaires évaluant l’expression émotionnelle et la régulation émotionnelle, la reconnaissance des émotions d’enfants d’âge préscolaire et scolaire sont recensés et expliqués dans le chapitre 3 de l’ouvrage ‘Compétences sociales et émotionnelles : enfant typique et déficient intellectuel’ de Baurain et Nader-Grosbois (2013a, pp. 173-208) et dans le chapitre 4 de l’ouvrage ‘Psychologie du handicap’ de Nader-Grosbois (2015) ainsi que dans des articles et des chapitres d’ouvrages collectifs (dont celui de Nader-Grosbois, Baurain, & Mazzone, 2014).
La Professeure Nathalie Nader-Grosbois et son équipe ont notamment conçus de nouvelles méthodes d’observation, mesures et des questionnaires pour évaluer finement les profils de compétences en expression et régulation émotionnelle qui ont été validés. D’autres dispositifs et questionnaires, élaborés par des partenaires internationaux, ont été traduits, adaptés en langue française et validés en Belgique.
Parmi les méthodes d’observation créés ou adaptées, figurent:
- Un dispositif méthodologique et une Grille d’Analyse de la Régulation Socio-émotionnelle par séquences, en situation de jeux dyadiques coopératifs, compétitifs et neutre (Baurain & Nader-Grosbois, 2009a-b, 2011a-b, 2013a, pp.186-208)
- Une adaptation du Still Face Paradigm de Tronick et collaborateurs pour observer les expressions émotionnelles et la régulation socio-émotionnelle entre un enfant et un adulte familier et non familier (Nader-Grosbois & Mazzone, 2015-2016)
Parmi les questionnaires adaptés, figurent :
- L’Inventaire de Régulation Emotionnelle (ERC-vf, Nader-Grosbois, Mazzone, 2014a-b), adapté de l’Emotion Regulation Checklist (ERC, Shields & Cicchetti, 1997) qui permet d’obtenir un score de régulation émotionnelle et de dysrégulation émotionnelle.
Intervention
Afin d’identifier les programmes de prévention et d’intervention efficaces pour améliorer l’expression et la régulation émotionnelle auprès d’enfants et d’adolescents à développement typique ou atypique, plusieurs recensions de littérature scientifique ont été réalisées et publiées dans des chapitres d’ouvrages et des thèses de doctorat.
Certains programmes d’entraînement de la compréhension des émotions ont été conçus et testés par l’équipe, afin d’améliorer la régulation émotionnelle, de diminuer la dysrégulation émotionnelle chez des enfants de différents âges et diverses populations.
Parmi ces programmes d’entraînement à court terme et à moyen terme conçus par l’équipe figurent
Des entraînements proposés aux enfants en petits groupes appliqués à l’école
- Un entraînement de la compréhension des causes et conséquences des émotions chez les enfants (Houssa, Nader-Grosbois & Jacobs, 2014 ; Houssa, Jacobs & Nader-Grosbois, 2017) ;
- Un entraînement du traitement de l’information sociale lors de résolution de problèmes sociaux ou de situations socio-émotionnelles critiques chez les enfants (Houssa, Nader-Grosbois & Jacobs, 2014 ; Houssa, Jacobs & Nader-Grosbois, 2017)
- Un entraînement combiné de la compréhension des émotions du traitement de l’information sociale lors de situations socio-émotionnelles critiques chez les enfants (Houssa & Nader-Grosbois, 2015, 2016, 2017 ; Jacobs & Nader-Grosbois, en cours)
Des entraînements proposés aux parents lors de séminaire en groupes
- Un entraînement des parents pour les rendre plus compétents pour socialiser les émotions de leurs enfants (Jacobs & Nader-Grosbois, en cours).
Des études expérimentales ont comparé, ou ont couplé, ces types d’entraînement de la ToM et du TIS auprès d’enfants d’âge préscolaire avec et sans troubles de développement et ont prouvé leur efficacité par l’amélioration de la cognition sociale, dont la compréhension des émotions, et de la régulation émotionnelle, ainsi qu’une diminution de la dysrégulation émotionnelle (Houssa, Nader-Grosbois, & Jacobs, 2014 ; Houssa, Jacobs & Nader-Grosbois, 2017 ; Houssa & Nader-Grosbois, 2015, 2016, 2017 ; Nader-Grosbois, 2012 ; Nader-Grosbois, 2015 ; Nader-Grosbois, Houssa, Jacobs, & Mazzone, 2016). Dans une étude expérimentale récente, une comparaison de cet entraînement de la cognition sociale et d’un entraînement des fonctions exécutives a mis en évidence des effets différenciés sur la régulation et la dysrégulation émotionnelle d’enfants présentant des troubles de comportement externalisés (Houssa, Volckaert, Nader-Grosbois, & Noël, submitted). Ces deux interventions font l’objet de deux chapitres de l’ouvrage dirigé par Roskam, Nader-Grosbois, Noël & Schelstraete (eds.), ‘Traiter les troubles externalisés du comportement chez le jeune enfant’ : dans le chapitre 3 ‘Stimuler les capacités en cognition sociale’ (Houssa & Nader-Grosbois, 2017) le chapitre 2 ‘Stimuler les fonctions exécutives’ (Volckaert & Noël, 2017).