Les Principes de l'Agroécologies (Chevalier, 2017)
À l’agroécologie est associée une série de vingt-sept principes, divisée par Stassart et al. (2012) en trois sous-ensembles : les principes historiques, les principes méthodologiques, et les principes socio-économiques.
Les principes dits ”historiques” sont ceux mis en évidence par Altieri (2005; Altieri et Toledo 2011), et constituent la base de l’agroécologie. Ceux-ci représentent, selon Altieri et Rosset (1996), des lignes de conduite à suivre pour ” étudier, concevoir et gérer des agroécosystèmes qui soient à la fois productifs et conservent les ressources naturelles, et qui soient sensibles aux particularités culturelles, socialement justes et économiquement viables ”. Ils permettraient d’atteindre le but de l’agroécologie, à savoir un agroécosystème caractérisé par une biodiversité élevée, une efficience biologique, un maintien de la productivité, une capacité d’autorégulation, un recyclage important et une diminution des pertes de ressources, soit un agroécosystème qui soit le plus proche possible des écosystèmes naturels (Altieri et Rosset 1996; Altieri 2005). Ces principes, au nombre de cinq, sont les suivants (Altieri et Rosset 1996; Altieri 2005; Stassart et al. 2012) :
1. Améliorer le recyclage de la biomasse, la disponibilité en nutriments et l’équilibre des flux de nutriments,
2. Garantir des conditions de sol favorables pour la croissance de la plante, via la gestion de la matière organique et l’amélioration de l’activité biotique du sol,
3. Minimiser les pertes dues aux flux de radiation solaire, d’eau et d’air grâce à la gestion du microclimat, la récolte de l’eau et une gestion du sol via l’accroissement de la couverture du sol,
4. Augmenter la diversité génétique et spécifique de l’agroécosystème dans le temps et dans l’espace,
5. Favoriser les interactions biologiques favorables et les synergies entre les composantes de l’agrobiodiversité, afin de promouvoir les processus et les services écologiques clés.
Ces cinq principes qui sont à la base du modèle agroécologique porté par Altieri ne sont cependant pas suffisants pour prendre en compte la multitude de conceptions de l’agroécologie, discutée au point précédent, et encore moins pour représenter l’agroécologie comme ”écologie des systèmes agroalimentaires” (Francis et al. 2003) et comme pratique interdisciplinaire, ces principes historiques n’intégrant aucune dimension sociale, culturelle, ou encore politique. Il semble également illusoire qu’ils ouvrent à eux seuls la porte vers l’objectif d’agroécosystèmes socialement justes, économiquement viables et sensibles aux particularités culturelles fixé par Altieri et Rosset (1996). L’ajout de principes s’est dès lors avéré indispensable pour représenter de manière générale le terme ”agroécologie”, en incluant sa dimension socio-économique, sans perdre les nuances qu’il cache.
Les principes ajoutés sont le sixième principe ”historique” ainsi que les quatre principes méthodologiques et les trois premiers principes socio-économiques. Les quatre premiers (principes 6 à 9) ont été formulés en 2010 par des chercheurs de l’INRA (Stassart al. 2012), et les quatre suivants (principe 10 à 13) ont été proposés par Stassart al. (2012). Ces huit principes sont présentés ci-dessous:
6. Valoriser l’agro-biodiversité comme point d’entrée de la reconception de systèmes assurant l’autonomie des agriculteurs et la souveraineté alimentaire,
7. Favoriser et équiper le pilotage multicritère des agroécosystèmes dans une perspective de transition sur le long terme, intégrant des arbitrages entre temps courts et temps longs et accordant de l’importance aux propriétés de résilience et d’adaptabilité,
8. Valoriser la variabilité (diversité et complémentarité) spatio-temporelle des ressources, i.e. exploiter les ressources et les caractéristiques locales, et faire avec la diversité et la variété plutôt que chercher à s’en affranchir,
9. Stimuler l’exploration de situations éloignées des optima locaux déjà connus, ex. des systèmes ”extrêmes”, à très faibles niveaux d’intrants et/ou biologiques, aussi bien en élevage qu’en production végétale,
10. Favoriser la construction de dispositifs de recherche participatifs qui permettent le développement de recherche ”finalisée” tout en garantissant la scientificité des démarches. La conception de systèmes durables est en effet complexe et implique la prise en compte de l’interdépendance des acteurs, de leurs ambiguïtés, ainsi que de l’incertitude des impacts socio-économiques des innovations techniques,
11. Créer des connaissances et des capacités collectives d’adaptation à travers des réseaux impliquant producteurs, citoyens-consommateurs, chercheurs et conseillers techniques des pouvoirs publics qui favorisent les forums délibératifs, la mise en débat public et la dissémination des connaissances,
12. Favoriser les possibilités de choix d’autonomie par rapport aux marchés globaux par la création d’un environnement favorable aux biens publics et au développement de pratiques et modèles socio-économiques qui renforcent la gouvernance démocratique des systèmes alimentaires, notamment via des systèmes cogérés par des producteurs et des citoyens consommateurs et via des systèmes (re)territorialisés à haute intensité en main d’œuvre,
13. Valoriser la diversité des savoirs à prendre en compte : savoirs et pratiques locaux ou traditionnels, savoirs ordinaires aussi bien dans la construction des problèmes et la construction des publics concernés par ces problèmes que dans la recherche de solutions,
A ces treize principes, il est encore possible d’en ajouter quatorze, exprimés par Dumont et al. (2015, 2016), qui mettent l’accent sur l’aspect socio-économique de l’agroécologie et de mouvements apparentes (commerce équitable, économie sociale et solidaire, entreprises coopératives, mouvements agricoles alternatifs à l’agriculture conventionnelle). Ces quatorze principes sont les suivants (Dumont et al. 2015):
14. Diversité des savoirs et capacité de les transférer, les savoirs traditionnels, empiriques et scientifiques sont échangés entre les membres d’une association,
15. Durabilité et capacité d’adaptation des organisations agricoles via, principalement, leur appartenance à un réseau de producteurs, consommateurs, conseillers techniques et scientifiques,
16. Partenariat entre producteurs et consommateurs marque par la présence, formelle ou non, d’un contrat social entre producteurs et consommateurs,
17. Accès et autonomie par rapport au marché pour les producteurs et toute structure collective de production ou transformation,
18. Gouvernance démocratique, le pouvoir des membres d’une organisation n’est pas basé sur leur capital ; les décisions sont prises via un processus démocratique,
19. Partage de l’organisation, co-organisation des producteurs et/ou acteurs des étapes de transformation,
20. Proximité géographique entre les parties prenantes des différentes étapes de production, transformation et consommation,
21. Limitation de la distribution du profit, les bénéfices sont utilisés pour atteindre un but social et non pas uniquement pour maximiser le rendement en capital investi,
22. Développement du monde rural et maintien du tissu rural, les projets d’un système alimentaire participent au développement rural ainsi qu’à la préservation du tissu social,
23. Indépendance financière, les producteurs et organisations agricoles sont maîtres des décisions économiques et techniques qu’ils prennent, même si cela implique de limiter la quantité d’intrants utilisée,
24. Équité environnementale favorisée par la prise en compte des externalités environnementales négatives dans chaque choix économique,
25. Équité sociale en chacune des parties prenantes à tous les niveaux du système alimentaire,
26. Engagement politique,
27. Implémentation conjointe des différents principes dans les actions pratiques, les principes défendus par une organisation doivent être implémentés ensemble et non de manière isolée.
Sources:
Altieri, M.A., 2005, 'Agroecology : principles and strategies for designing sustainable farming systems'.
Altieri, M. A., et Rosset, P., 1996. 'Agroecology and the conversion of large-scale conventional systems to sustainable management'. International Journal of Environmental Studies, 50(3-4), 165-185.
Altieri, M. A., et Toledo, V. M., 2011, 'The agroecological revolution in Latin America : rescuing nature, ensuring food sovereignty and empowering peasants'. The Journal of Peasant Studies, 38(3), 587-612.
Chevalier, C., 2017, 'Jardins créoles en Guadeloupe : un modèle agroécologique ?' Mémoire. Faculté des Bioingénieurs - Université catholique de Louvain. 99-102.
Dumont, A. M., Vanloqueren, G., Stassart, P. M., et Baret, P. V., 2015,. 'Définir les dimensions socio-économiques de l’agroécologie: entre principes et pratiques'. 2ème Congrès Interdisciplinaire du Développement Durable.
Dumont, A. M., Vanloqueren, G., Stassart, P. M., et Baret, P. V., 2016, 'Clarifying the socioeconomic dimensions of agroecology: between principles and practices'. Agroecology and Sustainable Food Systems, 40(1), 24-47.
Francis, C., Lieblein, G., Gliessman, S., Breland, T. A., Creamer, N., Harwood, R., Salomonsson, L., Helenius, J., Rickerl, D., Salvador, R., Wiedenhoeft, M., Simmons, S., Allen, P., Altieri, M., Flora, C., et Poincelot, R., 2003, 'Agroecology : The Ecology of Food Systems'. Journal of Sustainable Agriculture, 22(3), 99-118.
Stassart, P. M., Baret, P., Gregoire, J.-C., Hance, T., Mormont, M., Reheul, D., Stilmant, D., Vanloqueren, G., et Visser, M., 2012, 'L’agroécologie : trajectoire et potentiel pour une transition vers des systèmes alimentaires durables'