Une recherche menée par une équipe de l'Earth and Life Institute de l'UCL et le Pr Hans Ressen de l'Université d'Amsterdam démontre que les causes des refroidissements climatiques abrupts sont bien plus complexes que ce qu'on pensait jusque-là.
Parler de la pluie et du beau temps, ce n'est pas si anodin. A l'Earth and Life Institute de l'UCL, on en sait quelque chose... Une étude menée avec le Pr Hans Renssen, de l'Université libre d'Amsterdam, sur le Dryas récent vient de démontrer que les re froidissements climatiques intenses sont dus à des facteurs déclencheurs bien plus complexes que ce qui avait été perçu auparavant. Cette découverte fait l'objet d'un article publié dans la revue scientifique Nature Geoscience. Et elle a toute son importance, car elle permet de mieux comprendre le système climatique global.
« Étudier le passé, c'est la seule solution qu'on a pour étudier des situations différentes du climat actuel », explique Hugues Goosse, professeur et directeur de recherche FRS-FNRS en climatologie à l'UCL. « On peut tester les hypothèses sur le passé, mais l'inconvénient, c'est qu'on ne choisit pas le design expérimental. On doit se baser sur des situations existantes ».
Dans cette optique, le Dryas récent attire tout particulièrement l'attention des climatologues... Entamé il y a 12.900 ans, il se caractérise par un « coup de froid » durant une période de réchauffement des températures. La phase climatique tempérée qui avait démarré à la fin de la glaciation (période de l’Allerød) a ainsi été stoppée net par ce brusque refroidissement du climat, ce qui démontre la sensibilité du système climatique face aux perturbations. « Durant le Dryas récent, en quelques années voire quelques décennies, le climat est pratiquement redevenu aussi froid dans certaines régions que pendant la période glaciaire », précise Hugues Goosse. « Cela reste intrigant : alors qu'on va vers le chaud, pourquoi une période très froide apparaît soudainement ? »
Si on s'y intéresse aujourd'hui, c'est parce que « le climat va se réchauffer, cela ne fait aucun doute. Mais quelle va être la distribution spatiale de la hausse des températures ? Où et quels seront les impacts ? Comment comprendre et estimer cela ? Ce n’est pas suffisant de dire que cela va se réchauffer presque partout. Les intensités sont différentes selon les régions ».
Une combinaison de plusieurs hypothèses
La première cause avancée par les scientifiques pour expliquer cette période intense de refroidissement était jusque-là une modification de la circulation océanique provoquée par un déversement massif d'eau douce dans l'océan Atlantique Nord, eau provenant de la fonte des glaciers causée par le réchauffement climatique. « Les glaces, en fondant, ont perturbé la circulation océanique. Les courants ont été modifiés, entraînant un refroidissement, une réduction drastique du transport de chaleur par l'océan. Une fois cette eau évacuée, après quelques siècles, on observe un retour à la tendance normale. Cette hypothèse est la plus standard. Mais il semble que ce soit seulement une partie de l'explication... »
D'autres hypothèses ont été émises, notamment une modification de la circulation atmosphérique, soit un changement dans l'orientation des vents, du peut-être à la fonte des calottes glaciaires. Les vents du nord, plus fréquents, auraient provoqué une baisse des températures.
Troisième option : il semble que la terre ait absorbé moins de rayons solaires, probablement en raison d'une forte présence de poussières dans l’atmosphère.
Pour le Pr Renssen, aucune de ces causes n'a pu provoquer seule ce refroidissement. Différentes expériences de modélisation ont au contraire permis de démontrer que seule une combinaison de ces mécanismes pouvait expliquer l'apparition du Dryas récent : modification de la circulation océanique, diminution modérée de l’absorption des radiations solaires et circulation atmosphérique altérée.
Collaboration UCL-Université d'Amsterdam
Pour arriver à ces conclusions, il a travaillé avec une équipe du Earth and Life Institute, composée d'Aurélien Mairesse, docteur en climatologie, Hugues Goosse, professeur et directeur de recherche FRS-FNRS et Pierre Mathiot, ex-chercheur post-doctorant. Invité à l'UCL, le Pr Renssen a pu utiliser des outils permettant la quantification des impacts des mécanismes proposés sur le climat et mettre en place le design expérimental permettant de tester ses hypothèses initiales. Hypothèses qui ont été raffinées grâce à différentes simulations contraintes par les reconstructions de température de surface disponibles.
Conclusion : les causes de déclenchement des périodes de refroidissement intense sont donc bien plus complexes que ce qui avait été perçu auparavant. Pour les chercheurs, cette complexité doit être prise en compte dans les études qui se concentrent sur la réponse du système climatique aux perturbations, pour aller plus loin dans la compréhension des mécanismes liés à l'évolution du climat.
Estimation de la différence de température de l’air en surface en juillet entre le Dryas Récent et la période qui l'a précédé directement (il y a 13.000 ans) montrant le refroidissement marqué sur l’Europe (Figure tirée de Renssen et la. 2015)L'influence de l'homme
« Appréhender la complexité des changements nous permet de comprendre leurs origines et de voir si des mécanismes similaires peuvent jouer un rôle dans le futur », développe Hugues Goosse. « Comprendre permet de faire des prévisions valables. Mais on sait qu'on ne doit pas se limiter à étudier le passé, d'autres facteurs entrent en compte... A l'époque du Dryas récent, il y avait plus de glace qu'aujourd'hui. Par ailleurs, l'effet de réchauffement direct dû aux gaz à effet de serre est beaucoup plus fort maintenant. Dans le futur, on ne s'attend donc pas à ce que la Terre se réchauffe et puis que cela s'arrête soudainement comme il y a 12.900 ans. Ce n'est pas une analogie parfaite. » Et ce, d'autant que l'activité humaine influe également sur le climat. « L'effet de l'homme sur le climat est prouvé. On ne peut pas comparer les périodes sans en tenir compte. Dans le passé, on assistait à des phénomènes complètement naturels. Aujourd'hui, la terre se réchauffe essentiellement en raison du CO2 généré par l'homme. »
Cette étude a été menée avec le soutien du FNRS, du projet européen Past4Future et Nederlandse Organisatie voor Wetenschappelijk Onderzoek.
Anne-Catherine De Bast
Coup d'oeil sur la bio de Hugue Goosse
Hugues Goosse est directeur de recherches au Fonds de la Recherche Scientifique (F.R.S FNRS) et professeur à l’Université catholique de Louvain où il enseigne la climatologie et des disciplines connexes. Ses recherches sont consacrées au développement de modèles climatiques, à la comparaison entre les résultats de modèles et différents types d’observations ainsi qu’à l’application de ces modèles pour étudier les changements climatiques passés et futurs. Il se consacre à la fois aux variations d’origine naturelle et aux changements climatiques induits par les activités humaines.