Une équipe de chercheurs en nanosciences de l'UCL est parvenue à mettre au point une nouvelle technique permettant de tester la résistance des nanomatériaux, ces matériaux minuscules nécessaires à la fabrication de toutes sortes d'objets du quotidien. Le secret ? Un procédé nettement plus rapide et générique que tout ce qui avait été imaginé jusque-là !
Les nanomatériaux sont partout. Dans les téléphones, les ordinateurs, les capteurs de pression atmosphérique ou sur les carrosseries des véhicules. On ignore souvent jusqu'à leur existence, mais ils font partie intégrante de notre vie quotidienne, essentiellement sous la forme de nanofils, de nanotubes, de films minces, de nanoparticules ou de nanorubans. D'où l'importance de pouvoir compter sur leur résistance. Mais mesurer celle-ci n'est pas simple, vu la taille plus que microscopique de ces éléments. Une équipe de chercheurs de l'UCL, menée par les Prs Thomas Pardoen et Jean-Pierre Raskin, a pourtant mis au point une technique d'essais mécaniques qui permet d'étudier la déformation jusqu'à la rupture de ces minuscules matériaux. Une technique qui fait gagner beaucoup de temps aux scientifiques.
Les nanomatériaux ? Aussi dans les appareils photos et les smartphones !
Concrètement, les nanomatériaux sous forme de couches minces sont utilisés dans la vie courante à des épaisseurs très petites, entre un micron (un millionième de mètre) et un nanomètre (un milliardième de mètre). Il s'agit donc de matériaux extrêmement fins, qu'on peut par exemple appliquer sur un vitrage afin de lui donner des propriétés particulières : empêcher les griffes, filtrer les rayons infrarouges ou ultraviolets,... Pour cela, on dépose sur le verre des couches de l'ordre de quelques nanomètres ou dizaines de nanomètres chacune. Elles sont invisibles jusqu'à un certain point : c'est quand on arrive à une somme de 100 ou 200 nanomètres qu'on commence à obtenir un léger aspect opacifiant. Les nanomatériaux sont aussi présents dans la microélectronique : ils sont nécessaires à la fabrication de composants électroniques, de circuits intégrés. On les retrouve dans les appareils photos, les smartphones, les capteurs pour airbags,...
« Les nanomatériaux permettent d'arriver à des fonctions complexes de l'électromécanique, précise Jean-Pierre Raskin. Pour bien comprendre ce qui est possible, on a besoin de connaître leurs propriétés, à l'échelle à laquelle ils sont utilisés. »
De fait, s'il est courant d'effectuer des essais mécaniques au niveau de la technologie macroscopique pour vérifier que les matériaux utilisés supportent les efforts auxquels ils sont soumis, il est plus compliqué de mesurer la résistance des matériaux nanoscopiques. « Les propriétés d'une tige en aluminium d'un centimètre de diamètre sont différentes de celles d'une tige de 10 nanomètres de diamètre. Si les propriétés varient peu entre un mètre et un millimètre, par exemple, on constate d'importantes différences au niveau de la résistance mécanique des matériaux quand ils sont plus petits qu'un micron. Transférer et adapter les données des uns aux autres n'est donc pas fiable. Pour savoir comment cela se passe à cette échelle nanométrique, il faut faire des essais expérimentaux. Or manipuler des objets de cette taille est très difficile ».
Le résultat de dix ans de recherche
L'un des tests les plus courants en mécanique des matériaux est la traction uniaxiale. Il s'agit de tester la résistance à la rupture en tirant sur le matériau et ainsi d'obtenir le point de rupture et la déformation pour une force appliquée. Mais comment le faire à cette échelle ? Des chercheurs ont opté pour les techniques MEMS (Micro Electromechanical System), qui permettent de faire des essais de traction sur les systèmes électromécaniques. « Mais c'est horriblement compliqué, constate Jean-Pierre Raskin. Cela ne fait pas vite avancer la science... »
Du coup, depuis une dizaine d'années, des chercheurs de l'UCL planchent sur une autre méthode. Une technique qui vise également à tester la résistance de nanomatériaux par la traction, mais en utilisant les contraintes résiduelles. « Il y a toujours des contraintes résiduelles à l'intérieur d'un matériau déposé, précise Jean-Pierre Raskin. Par exemple, le vernis appliqué sur un meuble pourrait craquer s'il sèche trop vite. Pourquoi ? Parce que chaque matériau déposé a une certaine contrainte interne. On ne sait pas si le matériau va bien réagir à un effort donné. C'est donc vu comme un gros problème par la communauté scientifique. Nous, on s'est dit qu'il fallait utiliser ces contraintes à bon escient ».
En clair : utiliser un matériau dont on connaît le comportement pour en étudier un autre. Par exemple, déposer du nitrure de silicium, dont les propriétés sont en partie connues, sur de l'aluminium, dont on veut tester la résistance. La contrainte interne du premier va servir à étirer le second. Sous les deux matériaux, une couche sacrificielle est gravée dans l'acide chlorhydrique afin d'obtenir une « photographie » du test. « On profite donc de la contrainte interne d'un matériau pour en déformer un autre, insiste Jean-Pierre Raskin. En fonction de la géométrie de l'élément, on applique une force donnée. Cela permet d'avoir la déformation à la rupture. L'idée est de multiplier le nombre d'échantillons pour en tirer des conclusions ».
Collaborations à l’international et financements
Cette technique, à l'étude depuis 2005, occupe en permanence une équipe d'une quinzaine de chercheurs effectuant des thèses de doctorat ou des recherches post-doctorales. De nombreuses collaborations ont également été menées avec des laboratoires étrangers sur le sujet. Par ailleurs, des chercheurs de l'UCL, avec des collègues de l'ULB et de l'Université d'Anvers, viennent de publier un article dans la prestigieuse revue Nature Communications. Ils y font notamment le point sur cette technique révolutionnaire de caractérisation des nanomatériaux, mise au point et brevetée par les laboratoires néo-louvanistes. Ces recherches sont, entre autres, possibles grâce au soutien de la Direction générale des technologies de la recherche et de l'énergie de la Région wallonne, le FNRS ou encore à des financements de type ARC (Action de Recherche Concertée de la Fédération Wallonie-Bruxelles).
Anne-Catherine De Bast
Financements qui ont permis d'effectuer les recherches : 10.05 – 10.10 Action de Recherche Concertée, contract no. ARC 05/10 – 330, “Innovative technologies for physical and (bio)chemical nano-sensors”, co-promoteur avec Prof. D. Flandre (DICE) et Prof. T. Pardoen (IMAP), 625,000 Euros. 10.05 – 10.10 FSR 2005, “Innovative technologies for physical and (bio)chemical nano-sensors”, co-promoteur avec Prof. D. Flandre (DICE) et Prof. T. Pardoen (IMAP), 275,000 Euros. 09.07 – 09.10 DGTRE-RW, First Spin-off, MEMSCAR, “Développement d’un microlaboratoire on-chip pour la mesure des propriétés mécaniques, thermomécaniques et électromécaniques de films, poutres, tubes et composants de taille nanoscopique”, co-promoteur avec le Prof. T. Pardoen (IMAP), 304,200 Euros. 10.08 – 10.11 DGTRE-RW, WINNOMAT 2, DINOSAURE, “Développement d’un outil de dimensionnement pour produit multicouches nanométriques formable et durable sur base d’un microlaboratoire d’essai on chip”, co-promoteur UCL avec le Prof. T. Pardoen (IMAP), autres partenaires du projet : ULB, ULg, ArcelorMittal, 723,686 Euros. 06.08 – 06.15 FEDER, DGTRE-RW, MINATIS, “Micro et nanofabrication, caractérisation et fiabilité de composants miniaturisés”, co-promoteur UCL avec les Profs. D. Flandre, L. Francis, I. Huynen et J. Proost, autres partenaires du projet : Ulg et SIRRIS, 6,326,408 Euros. 10.09 – 09.12 DGTRE-RW, Plan Marshall – Open Innovation, MEMSVIT, “Développement d’un projet d’innovation ouverte centre sur le transfert de capteurs miniatures sur vitrage”, promoteur, collaboration avec AGC Flat Glass Europe, 566,600 Euros. 09.09 – 09.11 DGTRE-RW, Partenariat-Public-Privé (PPP), GRIFFE, “Compréhension et maîtrise des mécanismes d’abrasion et de rayure dans les couches minces nanométriques sur acier avec sous-couche absorbante, et identification d’outils de formulation avancés”, co-promoteur UCL avec Prof. Thomas Pardoen, partenaires du projet : UCL et ArcelorMittal, 1,328,382 Euros. 01.11 – 12.13 FNRS – Crédits aux Chercheurs, “Lab-on-chip for graphene testing”, convention no. 1.5072.11, promoteur, 155,500 Euros. 10.11 – 09.16 Action de Recherche Concertée, StressTronics, “Electro-mechanical properties of materials at the nanometer scale – A step towards a new field: StressTronics –”, promoteur avec les Profs. T. Pardoen, J.-C. Charlier and Benoît Hackens, 1,100,000 Euros. 07.12 – 06.15 DGTRE-RW, Pôle MECATECH, ROMISY, “Robustesse des Micro Systèmes 3D”, Open Engineering, TAIPRO, CISSOID, SAMTECH, Ulg – Microsys, promoteur UCL, 305,900 Euros. 10.12- 10.17 P7/21 IAP, Multiscale mechanics of INTErface dominated MATErials (INTEMATE), co-promotor UCL with Prof. T. Pardoen, Prof. M. Wevers (KULeuven), Prof. A.-M. Habraken (Ulg), Prof. L. Rabet (ERM-KMS), Prof. J. Degrieck (Ugent), Prof. J. G. Sevillano, CEIT (Spain), Prof. M. Geers, G.D. TU/e (NL), Prof. H. Van Swygenhoven-Moens, PSI & EPFL (CH), Prof. M. Fivel, INPG (F), 1,004,000 Euros. Collaborations avec les labos étrangers : EMAT, University of Antwerp, Groenenborgerlaan 171, 2020 Antwerpen, Belgium Service de recherches Métallurgiques Appliquées, CEA Saclay 91191 Gif-sur-Yvette, France CNRS SIMAP/Univ. Grenoble Alpes, F-3800 Grenoble, France Chalmers University of Technology, Department of Microtechnology and Nanoscience - MC2, Nanofabrication Laboratory, SE-41296, Göteborg, Sweden Institut d'Electronique et de Microélectronique et de Nanotechnologie (IEMN), UMR CNRS 8520, Villeneuve d’Ascq, France Materials Engineering, characterization, synthesis and recycling, Université Libre de Bruxelles, 1050 Brussels, Belgium CEMES-CNRS and Universite´ de Toulouse, 29, rue J. Marvig, 31055 Toulouse, France
Coup d'oeil sur la bio de Thomas Pardoen
Thomas Pardoen a fait ses études et son doctorat à l'UCL, où il a également obtenu un master en philosophie. Il a réalisé un séjour de recherche postdoctorale à l'Université de Harvard avant de revenir à l'UCL en 2000 en tant que professeur.
Ses intérêts de recherche couvrent le domaine de la nanotechnologie, la micro et la macro-mécanique des matériaux et des systèmes. Il a supervisé 38 doctorants (23 thèses accomplies) et 16 postdoctorants. Il a publié plus de 160 articles dans des revues scientifiques internationales. Il a reçu le Grand Prix Alcan de l'Académie française des sciences en 2011 et une chaire Francqui de l'Université de Liège en 2015.