Une Chaire pour contribuer à la lutte contre la pauvreté

Parmi les acteurs de la lutte contre la précarisation et la pauvreté, il en est un qui reste méconnu, dont le rôle est sous-estimé. C’est celui des entreprises à finalité sociale. L’une d’entre elles, les Petits Riens, a voulu tisser un partenariat avec l'UCL en finançant une Chaire au sein de l’université. Et c’est Marthe Nyssens, professeure d’économie sociale à l’UCL, qui la pilote, tandis qu’Anais Perilleux, chercheuse au CIRTES - Centre de recherche interdisciplinaire Travail-Etat-Société de l’UCL, la seconde dans sa tâche.

« Chaire les Petits Riens. L’économie sociale au service de la lutte contre la pauvreté ». Le nom est éloquent. Car l’économie sociale occupe une place importante au sein la société, mais trop souvent méconnue, notamment dans les actions visant à faire reculer la précarité dans notre pays. « Si les deux termes, ‘économie’ et ‘sociale’ semblent antinomiques à première vue, ils peuvent être combinés, précise néanmoins Marthe Nyssens. Plusieurs principes inspirent ce mode de fonctionnement : l’autonomie de gestion, la démocratie économique mais surtout la finalité de service plutôt que le rapport financier. Ce qui ne veut pas dire que ces entreprises ne doivent pas être en équilibre financier ni faire de bénéfices mais que le moteur premier est la finalité sociale et non le retour financier sur investissement. » Leur finalité sociale se déploie dans une grande varieté de secteurs : culture, logement, aide à la réinsertion professionnelle, santé, mais aussi circuits courts, recyclage, énergies renouvelables, commerce équitable… Les projets ne manquent pas. D’autant plus en période de crise.

caddie vêtements pauvreté

Les Petits Riens en demande

Comprendre les complexités propres au champ de l’économie sociale et élaborer des éléments de solutions qui promeuvent la durabilité écologique, économique et sociale de ces entreprises sociales, c’est toute la raison d’être de cette nouvelle Chaire. Qui est née déjà de manière originale : « Alors qu’habituellement ce sont les chercheurs de l’université qui cherchent les collaborations possibles, cette fois, ce sont les Petits Riens qui sont venus à nous. Ils nous ont proposé de construire un partenariat pour mieux comprendre leur mode de fonctionnement et voir clair par rapport à leurs défis. Vu notre expertise, nous avons été tentés, d’autant plus que nous avons pu constater que ce type de réflexion transdisciplinaire pourrait bénéficier d'une part à l'avancement des connaissances et d'autre part à de nombreux acteurs de ce secteur », poursuit Marthe Nyssens.

Ce type de chaire est généralement soutenu par de grandes entreprises privées, comme des banques par exemple. Ici, le fait que ce soit une entreprise à finalité sociale est également une spécificité assez unique.

les Petits Riens

Recherche, enseignement, service à la société

Le but de cette Chaire, instaurée pour cinq ans dans un premier temps, sera donc de mener une recherche sur une thématique, qui variera chaque année. « Pour commencer, nous avons décidé de nous pencher sur la performance sociale. Car pour faire comprendre l’importance de son action, notamment aux pouvoirs publics, il faut pouvoir démontrer l’impact que l’on peut avoir sur la société. Ce sont des indicateurs qui manquent à l’heure actuelle. Nous allons analyser les actions et le mode de fonctionnement des Petits Riens pour les définir et voir comment les chiffrer », enchaîne la chercheuse. Ce type de démarche poura être extrapolé à d’autres entreprises sociales, afin de les aider dans leur développement. Par ailleurs, puisque cette recherche s’inscrit dans une université, elle aura également des retombées dans les cours. « Notre mission d’enseignement bénéficiera également des répercussions de cette recherche. Nous pourrons en effet aborder la question traitées au sein de la chaire dans nos cours d'économie sociale », continue la titulaire de la Chaire.

Des séminaires à destination des chercheurs et des acteurs de l'économie sociale seront également organisés autour des thématiques de recherche de la chaire. « Nous pourrons ainsi croiser nos expertises. C’est tout le but de la recherche transdisciplinaire », souligne Marthe Nyssens.

Pauvreté

Les objectifs des entreprises sociales

Les entreprises à finalité sociale peuvent donc avoir des objectifs sociaux multiples. Ainsi, les Petits Riens visent non seulement à récolter des vêtements, meubles et autres objets utiles pour les revendre à petits prix, entre autres, à des personnes défavorisées. Ce que l’on sait moins, c’est que cette entreprise vise à constituer un tremplin pour des personnes exclues du marché du travail. Ainsi, cette entreprise emploie pas moins de 750 personnes ! Les Petits Riens développent également un ensemble d'actions sociales : maisons d'accueil pour les sans abris, restaurant social, formation professionnelle… « Il est donc important pour cette entreprise de connaître son impact sur la vie des bénéficiaires de ses actions : combien de personnes qui ont travaillé pour les Petits Riens ont retrouvé un emploi par la suite ? Qu’en ont-elles retiré en termes d’estime de soi ? Ont-elles pu retisser un réseau social, se réinsérer dans la vie de la cité ? Et les conclusions qui en seront tirées permettront de voir comment faire mieux encore, en identifiant les pratiques efficaces des autres. Et de montrer à quel point ces entreprises sociales sont utiles, sont de vrais acteurs économiques, même si on en parle peu », conclut Marthe Nyssens.

Ce besoin de disposer d’indicateurs fiables, basés sur des travaux avec une rigueur scientifique, est neuf. Même si le besoin de connaître son propre impact ne l’est pas… En effet, les parties prenantes (pouvoirs publics, donateurs, clients…), la crise aidant, ont besoin de preuves de l’efficacité des actions menées.

Collecte de vêtements les Petits Riens

Un financement « bruxellois »

Cette Chaire s’inscrit dans le CIRTES, Centre de recherche interdisciplinaire Travail-État-Société, que dirige Marthe Nyssens. Le projet est financé par les Petits Riens. Ils ont en effet pu bénéficier d’une disposition intéressante pour ces entreprises sociales : en effet, ils ont construit un nouveau bâtiment sur terrain appartenant à la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (SDRB). Une partie du loyer peut être exonérée si l’entreprise développe de la recherche en partenariat avec l'université. L’argent ainsi « épargné » en loyer a donc été réservé au financement de la Chaire, qui donc soutenue indirectement par la Région de Bruxelles-Capitale.

Carine Maillard

​​​​​Coup d'oeil sur la bio de Marthe Nyssens

Marthe Nyssens est titulaire d'une licence en économie de l'UCL, d'un Master en économie décroché à l’Université de Californie à San Diego (USA), et d'un doctorat en économie obtenu à l’Université Catholique de Louvain. Elle est professeure titulaire à l'UCL, où elle enseigne l’économie sociale depuis 20 ans. Elle donne des cours aux futurs économistes et aux adultes en reprise d’étude à la Faculté Ouverte de Politique économique et sociale. Elle dirige une équipe de recherche dans ce domaine au CIRTES (Centre de recherche interdisciplinaire Travail-État-Société de l’UCL). Elle est présidente du Réseau international de recherche EMES (nom issu de l’acronyme pour « Emergence des Entreprises Sociales »), et membre de l'Académie Royale de Belgique. Son travail de recherche se concentre sur les approches conceptuelles du « troisième secteur » (associations, coopératives, entreprises sociales), tant dans les pays développés que dans les pays en développement (Afrique de l'Ouest et Amérique latine). Elle étudie également le rôle que ces organisations jouent dans les politiques publiques. Au travers de ses travaux, elle met l'accent sur l'émergence de différents modèles d'entreprise sociale à travers le monde, et compare ces modèles. Elle étudie également leur rôle dans la réinsertion dans le monde du travail, notamment. Marthe Nyssens est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages faisant référence en la matière.

Publié le 25 avril 2016